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REPORTAGE

De la guerre civile aux portes de Paris, parcours de réfugiées syriennes

Expulsés du parc qu’ils occupaient depuis plusieurs semaines à Saint-Ouen, aux portes de Paris, plus de 160 réfugiés syriens attendent d’être relogés. Une urgence absolue, surtout pour les femmes enceintes et les enfants.

Sarah Leduc | Lamia al-Nassan devant le parc Edouard Vaillant à Saint-Ouen
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La guerre ne lui aura pas volé l’éclat de la jeunesse. Haya al-Khalof a l’œil noisette et le sourire radieux de ses vingt ans. Elle ne sait pourtant pas où elle et sa famille dormiront ce soir. Partie de Syrie il y a sept mois avec son mari Abbas et leurs deux enfants en bas-âge, elle a passé six nuits dans un parc à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Mais comparé à ce qu’elle a laissé derrière elle, l’herbe éparse du jardin public lui semblait la plus douce des couches.

"Tous les parcs du monde sont mieux que la guerre", souligne Haya, en caressant doucement son ventre arrondi par son troisième enfant, à naître dans moins de deux mois. "J’ai vu les armes, les bombes, les chars, les avions. Tous les jours, sous mes fenêtres les hommes se battaient.  Quand ma maison a été touchée par un bombardement, nous nous sommes enfuis", raconte-t-elle sans s’étendre sur les détails du passé, comme pour laisser derrière elle cette guerre qu’elle a fuie.

Originaire d’Alep, ville du nord de la Syrie ravagée par les bombardementsla famille al-Khalof est partie auLiban en octobre dernier, avant de traverser la Jordanie, l’Égypte, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc. De là, elle a rejoint l’enclave espagnole de Melilla, puis l’Espagne et enfin la France. En avion, en car, en bus, à pied, Haya a avalé les kilomètres au fil de sa grossesse sans suivi médical. Mais elle refuse de se plaindre, elle refuse même de s’asseoir sur le bout de trottoir pour soulager son dos. Tout juste admettra-t-elle sa "fatigue" et son "inquiétude pour le bébé".

Comme lesal-Khalof, une trentaine de familles syriennes, soit environ 165 personnes dont plus de 80 enfants, ayant fui la Syrie en guerre depuis le soulèvement contre la dictature bassiste en 2011, ont échoué dans le jardin public de Saint-Ouen. Mais après plusieurs semaines d’occupation, la municipalité a décidé de fermer les portes du jardin le 23 avril, laissant les familles sur le trottoir.

Haya Al Khalof, 20 ans, mère de deux enfants et enceinte de sept mois : "Tous les parcs du monde sont mieux que la guerre"
Haya Al Khalof, 20 ans, mère de deux enfants et enceinte de sept mois : "Tous les parcs du monde sont mieux que la guerre" Sarah Leduc

Accélération des procédures

Face aux grilles cadenassées du parc, Michel Morzière, président de l’association "Revivre" qui apporte une aide administrative et logistique aux réfugiés syriens, ne décolère pas : "Le maire [Michel Delannoy, divers droite qui vient de ravir la municipalité aux communistes, NDLR] a fait une très grave erreur en fermant le parc", fulmine Michel Morzière, qui tente en vain de faire décrocher le téléphone de l’élu, injoignable depuis plus de 24 heures.

L’association se démène pour tenter au jour le jour de trouver un toit pour ces réfugiés, relogés pour certains à l’hôtel pour d’autres dans des familles d’accueil. "Revivre" a réussi, mardi 22 avril, à obtenir 1 200 euros à la municipalité de Saint-Ouen pour le logement provisoire des familles ; elle a elle-même financé plusieurs nuits dans la mesure de ses ressources jusqu’à épuisement des caisses. Des réseaux de solidarité musulmans et autres associations d’aide aux réfugiés ont également apporté leur soutien. Mais aucune solution pérenne n’a encore été trouvée, soulevant la colère des Écologistes.

"La solidarité ne peut pallier la carence des services de l’État", a dénoncé Europe-Ecologie les Vertes (EELV) dans un communiqué publié le 21 avril. Le parti demandait la miseà disposition d’un hébergement d’urgence, type gymnase, qui n’a jamais été trouvé.  

Défaillances du système d’exil français

"Revivre" est parvenu à mobiliser les grandes organisations, tels que l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) ou France Terre d’asile, qui se sont rendues sur place ces derniers jours. Lors de son déplacement, le directeur de l’Ofpra  s’est engagé à accélérer les procédures sitôt les demandes d’asile déposées à la préfecture, chose faite jeudi au matin par une poignée de familles. "J’ai confirmé que les demandes d’asile seraient examinées de manière rapide, soit dans un délai de 15 jours après inscription à la préfecture au lieu des six mois habituels", a assuré à FRANCE 24 Pascal Brice, directeur général de l’Ofpra qui rappelle que 95 % des demandes d’asile déposées par des Syriens ces deux dernières années ont été acceptées.

Une enfant devant les grilles du parc clos Edouard Vaillant, Saint-Ouen
Une enfant devant les grilles du parc clos Edouard Vaillant, Saint-Ouen Sarah Leduc

Mais le sort de ces familles  vient souligner une nouvelle fois les défaillances du système d’exil français, incapable de faire face à l’afflux des réfugiés de guerre qui double d’une année sur l’autre. Selon l’Ofpra, 1 300 Syriens ont demandé l’asile en 2013, soit deux fois plus qu’en 2012, et la tendance au doublement se confirme au premier trimestre 2014. Un afflux difficile à gérer mais "la France prend sa part à l’immigration des Syriens", insiste Pascal Brice, rappelant que François Hollande a promis il y a quelques mois de faire venir 500 réfugiés syriens.

Un geste insuffisant pour les associations. "La promesse d’accueillir 500 Syriens est bien mais dérisoire. Il y a en France une volonté politique d’accueillir mais les dispositions d’accueil ne sont ni optimales ni réalistes par rapport à la situation", estime Sabreen al-Rassace, coordinatrice de l’association Revivre.

"Je vais accoucher dans un parc"

Au-delà du geste politique, l’urgence humanitaire reste à résoudre. Une main crispée sur la grille du parc de Saint-Ouen, l’autre sur son ventre rond, Sonia Ramadan grommèle : "Si ça continue, je vais accoucher dans un parc !" Elle aussi est enceinte de sept  mois. Partie de Lattaquié il y a six mois avec mari et enfant après la mort de sa grand-mère, tuée dans les affrontements, Sonia, 23 ans,  a suivi une route à peu près semblable à celle d’Haya et sa famille. Et comme Haya, elle n’a vu aucun médecin depuis son départ, n’a fait aucune échographie, ni examen. Ne parlant pas un mot de français, elle n’ose pas franchir les portes de l’hôpital.

Zeyna Al Nasser, 22 ans, réfugiée syrienne originaire de Banias. Elle est enceinte de deux mois.
Zeyna Al Nasser, 22 ans, réfugiée syrienne originaire de Banias. Elle est enceinte de deux mois. Sarah Leduc

Pas plus que Zeyna al-Nasser, elle aussi enceinte de deux mois. À 22 ans, cette jeune femme frêle a déjà trois enfants. La main lasse, elle attrape une bouteille de lait tendue par un bénévole pour nourrir le petit dernier de sept mois qui gigote dans ses collants troués. Le garçon est né dans l’enclave espagnole de Ceuta. Zeyna a accouché seule et en urgence, son mari étant alors coincé au Maroc. Ses grands yeux verts sont tirés : "Je n’en peux plus, je suis fatiguée. Je voudrais une maison pour pouvoir me poser avec les enfants." Partie il y a un an et demi de Banias, ville de la côte syrienne où les milices de Bachar al-Assad ont été accusées de se livrer à des nettoyages ethniques, l’exil semble sans fin. Cela fait deux mois qu’elle est arrivée en France et qu’elle est ballotée de gauche à droite avec les enfants, à vivre au gré des dons.

"Heureusement que les musulmans sont là pour nous nourrir, sinon on serait mort !", renchérit Lamia. La jeune femme de 24 ans a l’œil noir et le verbe dur ; elle ne partage pas la reconnaissance de ses paires vis-à-vis de la France et ne cache pas sa déception : "Je pensais que la France nous protégerait, qu’on pourrait mettre les enfants à l’école", se désespère-t-elle, le dernier de ses quatre fils accroché à son sein. Le long périple depuis sa ville natale de Homs a duré plus d’un an et coûté à la famille l’intégralité de son pécule. "J’ai vendu tous mes bijoux, on a tout dépensé. Maintenant, on n’a plus rien et on est obligé de rester ici, se lamente-t-elle, avant de soupirer une dernière fois : "Comment j’aurais pu imaginer qu’en France, on nous laisserait dormir dans un parc ?"

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