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Sur le K2, des montagnes de déchets

Dans l'Himalaya, le deuxième sommet du monde est couvert de déchets laissés par les alpinistes.
Dans l'Himalaya, le deuxième sommet du monde est couvert de déchets laissés par les alpinistes. © Observateurs

Des vidéos publiées en juillet 2022 révèlent l’existence de tas de déchets abandonnés par les alpinistes sur le K2, point culminant du Pakistan et deuxième plus haut sommet du monde. En cause : un été particulièrement chaud qui a fait fondre la neige et émerger les détritus, et une fréquentation inédite. Or cette pollution menace les populations locales et la biodiversité.

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Des tentes déchirées, des cordes abandonnées, des restes d’emballages, le tout au milieu de sommets enneigés. C’est le contraste saisissant mis en lumière par des photos et vidéos publiées depuis juillet 2022 sur les réseaux sociaux. 

Leurs auteurs sont des alpinistes en pleine ascension du K2, 8 611 m, deuxième sommet le plus haut au monde après l’Everest, et l’un des plus difficiles à gravir.

“Que faisons-nous à nos montagnes?”, se demande l’alpiniste péruvienne Flor Cuenca, dans une publication Instagram du 7 août 2022.

“C’était comme si ma maison était souillée de déchets”

Parmi eux, le Pakistanais Wajid Ullah Nagri, originaire d’une vallée voisine, détaille à notre rédaction : 

Tous les alpinistes ont envie de gravir le K2. J’avais hâte de le faire. Mais ce que j’ai vu sur cette montagne m’a brisé le cœur. C’était comme si ma maison était souillée de déchets et qu’elle avait besoin d’être nettoyée. 

Au camp 1, beaucoup de vieilles tentes ont gelé sous la neige, peut-être entre 20 et 30. Quand il fait plus chaud, la neige commence à fondre. Les endroits avec les toilettes ou des déchets alimentaires sentent mauvais. C'est insoutenable.

Sur cette vidéo prise lors de son ascension en juillet 2022, Wajid Ullah Nagri montre les tentes anciennes qui couvrent le camp 2, à 6700 m.
Sur cette vidéo prise lors de son ascension en juillet 2022, Wajid Ullah Nagri montre les tentes anciennes qui couvrent le camp 2, à 6700 m.
Sur cette vidéo prise lors de son ascension en juillet 2022, Wajid Ullah Nagri montre les tentes anciennes qui couvrent le camp 2, à 6700 m. © Mujeeb Sherliat

“On nous dit pourtant de ne laisser aucune trace, que tout ce qui est monté doit être redescendu.”

Également contacté, Eric Gilbertson, un alpiniste américain qui s’est lancé le pari de gravir les sommets de tous les pays du monde, a été témoin du même spectacle.

Je ne m’attendais pas à voir ces déchets sur une si belle montagne, si dure à atteindre. Les autres sommets de plus de 7 000 m ou 8 000 m que j’ai gravis étaient beaucoup plus préservés.

Quand on apprend l’alpinisme, on nous dit pourtant de ne laisser aucune trace, que tout ce qui est monté doit être redescendu.

Or une fois le sommet atteint, alors que l'oxygène est rare et les organismes éprouvés, certains alpinistes se débarrassent de leurs affaires pour être plus légers à la descente.

Sur cette publication Instagram du 11 août 2022, l’alpiniste américaine Sarah Strattan montre les déchets recouvrant les pentes du K2.

Boom touristique

Si cette problématique n’est pas nouvelle, elle a pris une ampleur sans précédent cet été. Yasir Abbas est écologue au Parc national du Karakoram Central, l’organisme chargé de la gestion des déchets sur le K2.

Cette année, l’itinéraire du K2 était saturé. Plus de 150 personnes ont atteint le sommet, dont 140 en une seule journée. Sur une saison habituelle, c’est entre 20 et 40 personnes. 

Nous avons eu un boom touristique, dû à la fin des restrictions sanitaires liées au Covid-19, et à l'organisation de plusieurs expéditions hivernales l’année dernière qui ont remis la lumière sur ce sommet.

Cette vidéo publiée le 27 juillet 2022 sur Twitter par l’alpiniste népalais Mingma Gyabu Sherpa montre la forte affluence présente sur le K2.

Yasir Abbas et l’alpiniste Wajid Ullah Nagri pointent particulièrement du doigt la responsabilité des expéditions internationales et des tours opérateurs, qui proposent de nombreux services (portage, bouteilles d’oxygène,...) à leurs clients. Des formules pour lesquelles ceux-ci déboursent jusqu’à 40 000 euros et qui augmentent la quantité de matériel transporté sur le K2 et le risque d’abandon de déchets. 

Changement climatique

Mais cette fréquentation inédite ne suffit pas à expliquer cette situation, explique Yasir Abbas :

Les températures élevées de cet été ont aussi fait fondre la neige plus que d'habitude, et cela a fait émerger des déchets qui se sont accumulés depuis des années et qui étaient jusque-là enfouis sous la neige.

Le réchauffement climatique touche fortement l’Himalaya. Ses glaciers fondent deux fois plus vite qu’au siècle dernier, selon un rapport publié en 2019 dans la revue Science Advances.

Menace pour la population pakistanaise et la biodiversité

Or cette pollution ne porte pas seulement atteinte à la beauté du lieu. Exposés aux rayons du soleil, ces déchets plastiques émettent des gaz à effet de serre, accélérant la fonte des glaciers.

Ils ont aussi un impact sur l’écosystème fragile de cette région pakistanaise, souligne l'écologue :

Les déchets ne sont pas biodégradables, donc ils polluent les glaciers, ce qui contamine les rivières. Cela menace la faune et la flore, alors que le Parc abrite beaucoup d’espèces menacées : des léopards des neiges, des lynx, des espèces marines…

Mais les glaciers du Baltoro et du Biafo, situés dans le Parc national du Karakoram Central, sont aussi des sources d’eau potable pour le pays entier.  La population pakistanaise, ainsi que de nombreuses industries, en dépend.

Paradoxalement, cette pollution de la neige affecte aussi ceux qui en sont à l’origine, raconte Wajid Ullah Nagri : 

Quand on fait une ascension, on fait fondre la glace pour boire parce qu'on a un petit réchaud et qu'on peut faire bouillir l'eau. C'est fréquent chez les alpinistes de souffrir de diarrhée et de stopper leur ascension à cause de la qualité de l'eau.

L'alpiniste Eric Gilbertson pointe également du doigt les problèmes de sécurité suscités par une telle situation.

Chaque année, des cordes sont ajoutées, mais elles ne sont jamais enlevées. Quand vous voyez une corde, vous ne savez pas si elle est en bon état. Si vous y mettez tout votre poids et qu'elle est coupée au-dessus, c'est dangereux.

Beaucoup de cordes anciennes sont restées sur les parois du K2, comme le montre cette photo de juillet 2022 d'Eric Gilbertson.
Beaucoup de cordes anciennes sont restées sur les parois du K2, comme le montre cette photo de juillet 2022 d'Eric Gilbertson. Eric Gilbertson

Campagne de nettoyage 

Face à cette situation, le Parc national a organisé cet été une campagne de nettoyage d’un mois, en partie financée par le forfait de 200 dollars (environ 200 euros) demandé aux alpinistes gravissant le K2.

Nous avons ramassé près de 20 000 kilos de déchets sur la route du K2, dont plus de 1 600 kilos de déchets entre le camp de base et le camp 4. 

Nous avons dû faire appel à neuf alpinistes pour pouvoir travailler à haute altitude et dans des conditions difficiles avec du vent et des températures très basses.

Ces vidéos publiées le 6 août 2022 sur Twitter montrent la campagne de nettoyage entreprise par le Parc national.

Si les alpinistes ont l'obligation de redescendre tous leurs déchets au camp de base, où une équipe du Parc les collecte, il est en pratique difficile de réaliser des contrôles à plus de 5 000 mètres d’altitude.

 

Pour limiter les dérives, le Parc pourrait en 2023 peser l’équipement des alpinistes à la montée et à la descente, ou limiter le nombre de permis délivrés. 

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