Qui est Sônia Guajajara, la première femme autochtone à la tête d’un ministère brésilien ?

Pour son troisième mandat, le président Lula, tout juste réélu, a décidé de frapper vite et tôt. Un nouveau ministère pour les droits Indigènes vient d’être créé, avec Sônia Guajajara à sa tête. Mais qui est vraiment cette militante autochtone, par ailleurs nommée par le magazine Time parmi les cent personnes les plus influentes de 2022 ?

Qui est Sônia Guajajara, la première femme autochtone à la tête d’un ministère brésilien ?
Capture d'écran d'une interview publiée sur YouTube

« Je suis heureux, car jamais auparavant au Brésil, une femme indigène n’avait été nommée ministre », se félicite Lula lors de la nomination de son gouvernement le 29 décembre 2022. Chemise et veste d’un gris uni, le président se tient derrière un pupitre, d’où il égraine les noms des derniers appelés à rejoindre son équipe. Sur les trente-sept portefeuilles ministériels, onze sont alloués à des femmes. Une première dans l’histoire du pays. Le chef d’Etat et ses fidèles sont enjoués : Lula s’autorise quelques blagues, la foule rit en réponse. Entre l’investiture des ministres bolsonariens en 2018 et celle du nouveau gouvernement de Lula quatre ans plus tard, la différence de ton est sans équivoque.

Celui qui entame son troisième mandat à la tête du Brésil accueille alors une nouvelle personne sur la scène. Elle arrive coiffée d’un impressionnant cocar sur ses longs cheveux noirs. Fabriquée avec de grandes plumes bleues, la parure en impose. Presque autant que celle qui la porte. La ministre fraîchement nommée lève la main – ou plutôt le poing, et un large sourire illumine son visage. Cette femme s’appelle Sônia Guajajara, et sa nomination est un symbole politique très fort.

Une nouvelle voix pour l’Amazonie

Impossible de passer sous silence la trajectoire fulgurante de cette militante autochtone. Née dans un village amazonien du très pauvre État du Maranhão, Sônia Guajajara a été élevée par des parents analphabètes. Elle quitte le giron familial à ses dix ans, âge auquel elle est envoyée dans la ville la plus proche pour être scolarisée. La jeune fille déménage ensuite dans le Minas Gerais, au Sud-Est du pays, où elle intègre un lycée agricole grâce à une bourse. Puis s’en retourne dans son État maternel pour suivre un cursus en sciences de l’éducation, à l’Université Fédérale du Maranhão. Elle cumule des jobs de gardes d’enfant ou femme de ménage, avant de décrocher ses diplômes d’enseignante et d’infirmière. Tout en gardant en tête une conviction qui l’a perpétuellement guidée : défendre les droits des peuples natifs d’Amazonie. 

Sônia Guajajara arbore d’ailleurs fièrement un nom de famille porteur de sens. Il est celui de la communauté dont elle est originaire, les Guajajara constituant l’un des groupes autochtones les plus nombreux du Brésil. Particulièrement alerte quant à la situation des siens, l’activiste devenue ministre dénonce depuis des décennies les sévices subis par les peuples natifs. Les intérêts des orpailleurs et de l’industrie forestière sont souvent passés avant ceux des premiers habitants de l’un des plus gros poumons verts de la planète. Avec une nette régression durant la présidence de Jair Bolsonaro. Quand elle s’exprime à ce sujet, Sônia Guajajara garde une voix calme et posée. Mais un ton ferme.

Une activiste…

Le 15 novembre 2015, le barrage de Fundão – qui retenait des résidus miniers – cédait, détruisant des villages et polluant l’eau du Rio Doce, rendant sa consommation impropre pour les communautés locales. 40 millions de mètres cubes de boue et de déchets toxiques se sont déversés sur 650 km, emportant avec eux un triste record : cet événement est considéré comme la plus grande catastrophe écologique jamais connue par le Brésil. Trois ans plus tard, Sônia Guajajara s’empare du drame comme d’un levier : « Le Rio Doce a été assassiné  », martèle alors celle qui est devenue la candidate du Parti Socialisme et Liberté (PSOL) pour briguer la vice-présidence du pays. Mais l’échec – son tandem avec le militant politique Guilherme Boulos est évincé dès le premier tour – n’arrête pas l’activiste. 

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« Sang autochtone : pas une goutte de plus » est la campagne à laquelle Sônia Guajajara a participé lors de son tour d’Europe en 2018. Les leaders autochtones sont ici à Londres, le 14 Novembre 2018. © Wandering views

Dès les premiers jours de la présidence de Bolsonaro, Sônia Guajajara entreprend une tournée européenne pour avertir des graves menaces pesant sur les droits autochtones, pourtant inscrits dans la Constitution du pays. Ce dernier déclarait d’abord refuser d’accorder « un centimètre supplémentaire de terre autochtone  ». Avant de se raviser, précisant plutôt : «  pas un millimètre ». Durant son mandat, le populiste remodèle la Funai (un organisme public chargé de protéger les droits autochtones) à des fins purement économiques, relance le forage en Amazonie, ses milices brimant sans arrêt les villages autochtones. Plusieurs communautés ont par ailleurs saisi la Cour Pénal Internationale, accusant Jair Bolsonaro de profiter de la pandémie de Covid pour les laisser mourir.

… devenue ministre

Amazonienne, anticapitaliste, autochtone… Sônia Guajajara incarne toutes les valeurs rejetées par l’ancien président d’extrême-droite. « Elle a toujours résisté contre le machisme en tant que femme et féministe, contre le massacre des peuples Indigènes en tant qu’activiste, et contre le néolibéralisme en tant que socialiste  », résume Guilherme Boulos dans un portait du magazine Time consacré à son ex-colistière. En 2022, les votes de 157 000 habitants de l’État de Sao Paulo propulsent Sônia Guajajara au poste de députée fédérale. 

L’activiste n’exercera pas longtemps ses fonctions : elle est appelée pour inaugurer le flambant neuf ministère des peuples indigènes début janvier. Sônia Guajajara gèrera dans les prochains mois de gros dossiers, qu’elle espère faire entériner par Lula avant les cent premiers jours de son mandat : démarcation de nouvelles terres indigènes, rétablissement du rôle de la Funai… Depuis son bureau de Brasilia, la nouvelle ministre aura de quoi bûcher. Avec le souvenir de sa petite enfance en Amazonie, chevillé au corps.