Des Afghans franchissent la frontière pour entrer au Pakistan. Image d'illustration. Crédit : picture alliance, Jafar Khan
Des Afghans franchissent la frontière pour entrer au Pakistan. Image d'illustration. Crédit : picture alliance, Jafar Khan

Les deux pays frontaliers de l’Afghanistan hébergent des centaines de journalistes afghans en exil depuis le retour au pouvoir des Taliban. La plupart attendent d’obtenir des visas pour des pays sûrs, dont la France. Mais, ces derniers mois, Téhéran et Islamabad ont multiplié les menaces d’expulsions.

Depuis des mois, Abdullah Walizadah vit dans l'angoisse. Ce journaliste afghan en exil au Pakistan a quitté Kaboul il y a dix mois, espérant pouvoir obtenir rapidement un visa pour la France. Mais le précieux sésame n'arrive pas et Abdullah risque de se retrouver en situation irrégulière dans le pays. "Mon visa est valide jusqu'au 19 janvier et je ne sais pas ce qu'il va se passer après", confie à InfoMigrants le jeune Afghan de 25 ans.

Depuis le 31 décembre 2022, les étrangers en situation irrégulière au Pakistan risquent une peine de trois ans de prison ou d'être expulsés vers l'Afghanistan. Parmi eux, beaucoup de journalistes afghans, comme Abdullah Walizadah, qui ont quitté leur pays après le retour au pouvoir des Taliban, en août 2021. Selon les chiffres de Reporters sans frontières (RSF), l’Afghanistan a perdu près de 40 % de ses médias et plus de la moitié de ses journalistes depuis le 15 août 2021.

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"À chaque instant, j'ai peur que la police vienne me chercher pour m'expulser", raconte Abdullah. Le journaliste affirme avoir été arrêté et détenu par les Taliban en Afghanistan alors qu'il travaillait pour une chaîne de télévision locale. "C'est après ça que j'ai décidé de quitter l'Afghanistan et de venir au Pakistan".

Soutenu par RSF, Abdullah Walizadah a déposé une demande de visa auprès de l'ambassade de France au Pakistan en octobre 2022, mais il n'a toujours pas eu de réponse. "L'ambassade m'a convoqué à un entretien, le 10 octobre. Ils m'ont dit que si j'étais admissible, ils me contacteraient dans les deux mois. Après un mois et 29 jours, l'ambassade m'a demandé dans un e-mail : 'Êtes-vous toujours au Pakistan ?' J'ai répondu oui. Mais depuis, je n'ai pas eu de nouvelles."

Difficultés économiques

Comme Abdullah Walizadah, à l'arrivée des Taliban à Kaboul, des centaines de journalistes afghans ont quitté l'Afghanistan pour l'Iran et le Pakistan, dans l'espoir d'y obtenir un visa pour un pays sûr, comme la France. Mais à mesure que l'attente se prolonge, leur situation se dégrade. Sans ressources financières, de nombreux journalistes afghans et leurs familles se retrouvent dans une grande précarité. C'est le cas de Zirak Faheem et de sa famille. Cet ancien directeur adjoint de la chaîne de télévision Tolonews est arrivé au Pakistan en août 2022. Sa femme et ses quatre enfants l'ont rejoint peu après.

Le journaliste affirme avoir été directement menacé par les Taliban en raison de certains programmes sur les discriminations visant les Afghanes diffusés sur la chaîne. Il a envoyé une demande de visa à l'ambassade de France. Dans l'attente de la réponse, il vit dans une angoisse permanente. "Tout est cher ici. La vie est très difficile. Ma femme a vendu ses bijoux. Je ne peux pas envoyer mes enfants à l'école car c'est trop cher", assure-t-il.

La situation de la famille de Zirak Faheem est malheureusement loin d'être une exception. Les différentes organisations professionnelles qui tentent de venir en aide aux journalistes afghans en exil décrivent les même difficultés. "Les personnes sont parties avec un petit peu d'argent. Elles étaient dans des situations précaires et se retrouvent à attendre leurs visas des mois, voire un an. Donc même si elles avaient un pécule en partant, il est consommé, explique Karine Barzegar, journaliste et membre du groupe Afghanistan du Syndicat national des journalistes (SNJ), créé à l'été 2021 pour venir en aide aux journalistes menacés par le retour au pouvoir des Taliban.

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Au Pakistan, "il y a des gens qui dorment dans des parcs, dans la rue, qui manquent d'argent pour nourrir leurs enfants ou pour se soigner", décrit la journaliste qui dénonce le flou dans lequel sont abandonnés les journalistes afghans. "Au ministère des Affaires étrangères on nous dit 'Si les gens n’ont pas de réponse [à leur demande de visa], c’est que c’est non'. Que l’ambassade refuse des demandes pour raisons de sécurité, on le comprend, mais c’est l’absence de réponse et les délais qui posent problèmes".

Manque de personnel

Selon Iqbal Khattak, représentant de RSF au Pakistan, l'ambassade de France à Islamabad fait face à des problèmes de manque de personnel. De quoi ralentir des procédures de visas déjà longues en raison des vérifications nécessaires.

RSF, comme le SNJ, vérifie que les personnes qui leur demandent de l'aide soient bien journalistes et fassent l'objet de menaces récentes. Un travail très long et minutieux qui limite fortement le nombre de personnes que les organisations peuvent assister.

"Nous fournissons ensuite ces informations à l'ambassade qui doit ensuite vérifier les informations relatives à la sécurité avant de délivrer un visa", précise Iqbal Khattak.

"Ça reviendrait à m'envoyer à la mort"

Et la situation est tout aussi difficile dans les autres pays frontaliers de l'Afghanistan. En 2022, RSF a soutenu auprès des autorités françaises les demandes de visa de 68 journalistes afghans exilés dans des pays tiers. "Seuls 7 d’entre eux ont obtenu une réponse positive à ce jour, les autres attendent toujours un retour de la part des autorités françaises, parfois depuis plusieurs mois", a indiqué l'organisation à InfoMigrants.

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Zahra Ahmadi a pu quitter l'Afghanistan pour l'Iran avec sa famille. La journaliste de 26 ans, anciennement employée à la télévision nationale afghane, a déposé une demande de visa à l'ambassade de France avec le soutien du SNJ. Mais en l'absence de réponse des autorités françaises, elle partage les même difficultés que ses confrères afghans au Pakistan. "Ici, aucun de nous n'a du travail. Nous avons de gros problèmes financiers", déplore-t-elle.

À cela s'ajoute la crainte des expulsions car Téhéran n'hésite pas à renvoyer des Afghans. Selon le site Tolonews, en novembre 2022, les autorités afghanes estimaient à 190 000 le nombre d'Afghans renvoyés par l'Iran au cours des six mois précédents.

"Mon visa en Iran est valable pour encore deux mois mais il ne sera pas prolongé, s'inquiète Zahra. Si mon visa expire, les autorités iraniennes m'expulseront vers l'Afghanistan. Ça reviendrait à m'envoyer à la mort".

 

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