Accéder au contenu principal

Pêche étrangère illégale en Guyane française : "Nos ressources halieutiques sont pillées"

Des bateaux en provenance du Suriname, du Guyana et du Brésil viennent régulièrement pêcher en Guyane française, ce qui inquiète les pêcheurs locaux.
Des bateaux en provenance du Suriname, du Guyana et du Brésil viennent régulièrement pêcher en Guyane française, ce qui inquiète les pêcheurs locaux. © Émission des Observateurs de France 24.

Les pêcheurs de Guyane dénoncent, depuis des années, la pêche côtière illégale pratiquée dans cette région française d’Amérique du Sud. Derrière ce phénomène : des bateaux en bois - les "tapouilles" - qui viennent du Brésil, du Suriname et du Guyana, pour profiter de la richesse halieutique des eaux françaises. Les pêcheurs guyanais estiment que la survie de leur secteur est désormais menacée.

Publicité

Pêcheur plaisancier, actif dans l’ouest de la Guyane française depuis une trentaine d’années, Sylvian Marie Saibou filme régulièrement les bateaux étrangers qu’il croise en train de pêcher illégalement. Il publie ensuite les vidéos de ces "tapouilles" sur Facebook, pour "alerter les autorités" sur le "pillage halieutique" dans la zone.

Une tapouille étrangère dans l’ouest de la Guyane française, en octobre 2021. © Sylvian Marie Saibou / Facebook.

"Ces bateaux utilisent des filets hors-normes"

Le problème de la pêche côtière illégale pratiquée par des embarcations étrangères existe depuis plus de 25 ans en Guyane. En 2010, plus de 60 % des bateaux de pêche étaient déjà illégaux, selon l’IFREMER. Mais les pêcheurs estiment que ce problème empire d’année en année, à l’image de Sylvian Marie Saibou, qui dit avoir croisé jusqu’à 43 tapouilles en une journée en 2022 :

Ces bateaux sont plus longs que les nôtres, entre 12 et 20 mètres, avec des équipages plus importants. Avec mon GPS, je mesure souvent la longueur de leurs filets, car ils sont hors-normes : ils peuvent atteindre les 10 000 mètres, alors que les nôtres mesurent autour de 2 500 mètres. De plus, leurs mailles sont beaucoup plus petites, donc ils récupèrent tout ce qui passe, notamment des poissons qui ne sont pas encore en âge de se reproduire, ce qui détruit les ressources. S’ils continuent à pêcher comme ça, je pense qu’on n’aura plus rien d’ici deux ans.
Les bateaux qui pêchent illégalement en Guyane française viennent du Suriname, du Guyana et du Brésil.
Les bateaux qui pêchent illégalement en Guyane française viennent du Suriname, du Guyana et du Brésil. © Les Observateurs de France 24 / Upian.

"Entre 2019 et 2022, notre production a chuté de plus de 70 %"

Léonard Raghnauth, président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Guyane, confirme ces inquiétudes, estimant que la survie de leur secteur est menacée :

Entre 2019 et 2022, notre production a chuté de plus de 70 %. Avant, pour être rentable, un pêcheur devait naviguer quatre jours maximum. Désormais, ce sont environ 14 jours, et malgré cela, on gagne deux fois moins qu’il y a trois ans, notamment car les sorties longues engendrent plus de charges.

En Guyane, nous avons 130 bateaux de pêche côtière : nous avons toujours limité le nombre de licences délivrées pour préserver nos ressources, contrairement aux pays voisins. C’est pour cela que les bateaux étrangers viennent chez nous, surtout qu’ils ne risquent pas grand-chose en venant pêcher ici.

L’acoupa rouge, une espèce ciblée notamment pour ses vessies natatoires

L’une des espèces de poissons les plus menacées est l’acoupa rouge. Il est notamment convoité pour sa vessie natatoire, un organe interne qui lui permet de contrôler la profondeur à laquelle il flotte dans l’eau. Et pour cause : cette vessie est vendue autour de 130 euros le kilo en Guyane, et entre 1 000 et 3 000 euros sur les marchés asiatiques - où elle est notamment recherchée pour ses supposées vertus thérapeutiques - d’où son surnom de "cocaïne des mers".

L’acoupa rouge (en haut) est particulièrement prisé pour ses vessies natatoires, qu'elles soient mouillées ou sèches (en bas).
L’acoupa rouge (en haut) est particulièrement prisé pour ses vessies natatoires, qu'elles soient mouillées ou sèches (en bas). © Office français de la biodiversité / Nalovic, CRPMEM Guyane.

D’autres espèces sont également menacées. "On ne voit plus ou presque plus de poissons-chats, de dauphins, de lamantins, de raies manta et de tortues luth [une espèce sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, NDLR]", déplore Sylvian Marie Saibou. Un constat partagé par le WWF Guyane : en septembre 2022, l’ONG n’a observé ni dauphin, ni tortue marine lors d’un survol qu’elle a effectué dans l’ouest guyanais, une première depuis qu’elle réalise ce type d’opération.

Synthèse du survol réalisé par le WWF Guyane en septembre 2022.

"Le nombre de tortues luth venant pondre a décliné de 95 %"

Laurent Kelle, responsable du WWF Guyane, précise : 

Historiquement, les plages de l’ouest guyanais sont le plus grand site de ponte au monde pour les tortues luth. Or, au cours des 20 dernières années, on a constaté un déclin de 95 % du nombre de femelles venant pondre. C’est une conséquence des longs filets maillants dérivants utilisés par les bateaux étrangers : ils les empêchent d’accéder aux sites de ponte et constituent des pièges mortels pour elles, car elles se prennent dedans de façon accidentelle.
Une tortue luth prise dans un filet, en Guyane française.
Une tortue luth prise dans un filet, en Guyane française. © Association Kwata.

Une réponse des autorités françaises "insuffisante"

Face au problème de la pêche illégale étrangère, des professionnels du secteur et le WWF jugent que la réponse des autorités françaises a été "insuffisante" jusqu’à présent. Ils demandent davantage de moyens aux frontières, tout l’année, pour empêcher l’arrivée des bateaux étrangers dans les eaux guyanaises, et des sanctions plus importantes.

Contacté par notre rédaction, le service départemental de Guyane de l’Office français de la biodiversité (OFB) confirme la faiblesse des sanctions : "Quand nous voyons des bateaux étrangers, nous contrôlons les pêcheurs, les poissons et la glace sont jetés par-dessus bord, on leur demande de rentrer… Mais ces bateaux sont rarement déroutés et détruits, car cette procédure coûte 10 000 euros. Et durant deux ou trois ans, nous n’avons pas eu de prestataire ayant la capacité de les sortir de l’eau et de les détruire." D’après l’OFB, il n’est donc pas rare que des "tapouilles" reviennent en Guyane après avoir été contrôlées une première fois.

Un bateau sorti de l’eau avant d’être détruit en Guyane française, en 2022. © CRPMEM Guyane.

"Très souvent, les bateaux attrapés en Guyane, venant soi-disant du Suriname, n’ont pas de permis de pêche chez nous"

Selon Mark Lall, représentant de l’organisation nationale des pêcheurs du Suriname, il faudrait donc que la France détruise systématiquement les bateaux illégaux pour s’assurer qu’ils ne reviennent pas. Il précise toutefois : 

Les autorités françaises nous contactent régulièrement concernant des bateaux attrapés en Guyane, venant soi-disant du Suriname. Mais très souvent, ils n’ont pas de permis de pêche chez nous. 

Au Suriname, nous délivrons environ 500 permis par an. Pour les obtenir, les bateaux doivent remplir des critères : avoir une plaque d’immatriculation de couloir jaune, un nom gravé dans le bois, et un système à bord permettant de savoir où ils se trouvent en mer. Or, les bateaux attrapés en Guyane remplissent rarement ces critères. Nous pensons donc qu’ils viennent majoritairement du Guyana. D’ailleurs, des bateaux du Guyana pêchent aussi chez nous de façon illégale.

Bien sûr, il y a peut-être des bateaux pêchant illégalement qui sont stationnés au Suriname, mais cela me semble compliqué, car il y a beaucoup de contrôles dans nos ports.

Ce bateau, manifestement originaire du Suriname, a été invité à quitter les eaux guyanaises par les autorités françaises, en 2019.
Ce bateau, manifestement originaire du Suriname, a été invité à quitter les eaux guyanaises par les autorités françaises, en 2019. © Office français de la biodiversité.
Extrait d’une vidéo publiée par un pêcheur originaire du Guyana et basé au Suriname, d’après les photos visibles sur son compte TikTok. Quand des embarcations illégales viennent en Guyane, elles pêchent souvent la nuit et se cachent en journée, par exemple dans les mangroves, comme ici. © TikTok.

"Aller en Guyane, c’est trop loin depuis le Guyana"

De son côté, Pamashwar Jainarine, le représentant de l’organisation nationale des pêcheurs du Guyana, assure que les "tapouilles" illégales en Guyane française viennent rarement de son pays :

L’une des raisons, c’est que c’est trop loin : pour aller pêcher en Guyane, il faut naviguer environ quatre jours. Cela implique d’utiliser 500 gallons d’essence [1 892 litres, NDLR], ce qui coûte plus de 2 000 dollars. Pour moi, la plupart des bateaux qui pêchent là-bas sont stationnés au Suriname.

Ce qui est sûr, c’est que les Français sont très stricts par rapport à l’exploitation de leurs ressources, donc ils ont toujours beaucoup de poissons, alors que chez nous, la pêche n’est plus aussi rentable qu’il y a cinq ou dix ans, car elle n’a pas toujours été faite dans une logique de durabilité.

Alors que les professionnels de la pêche du Suriname et du Guyana semblent se renvoyer la balle, le WWF Guyane estime, qu’au-delà des sanctions, il est urgent de renforcer la collaboration entre les pays pour lutter conjointement contre la pêche illégale : "Si rien n’est fait, c’est la sécurité alimentaire du plateau des Guyanes qui pourrait, à terme, être menacée."

Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.