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Idées

Les Américains et leurs armes : un carnage sans fin

EDITORIAL. L’ouvrage de Paul Auster sur la succession des massacres monstrueux qui endeuillent les Etats-Unis est l'occasion pour notre éditorialiste Michel Winock de revenir sur le double péché originel qui a forgé l'histoire étasunienne et façonné son rapport aux armes à feu. 

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Une manifestation en 2019 aux Etats-Unis contre les armes à feu. 

MARK RALSTON / AFP

Exécutions d’enfants et de professeurs, tirs dans la foule, assassinats racistes, tueries de masse, règlements de compte individuels, l’Amérique bat les records d’homicides volontaires. Chaque année, environ 40 000 Américains meurent à la suite de blessures par balle. La moitié concerne les suicides, les autres sont les victimes de meurtres, qui, au-delà de quatre tués, sont considérés comme des massacres.

Le photographe Spencer Ostrander a fixé les images de leurs localisations : écoles, universités, bars, églises, temples, synagogues, parkings, cinémas, discothèques, supermarchés, stations services, cimetières, cliniques, il n’est pas d’espace où le citoyen américain puisse se sentir parfaitement à l’abri. L’écrivain Paul Auster a accompagné les photographies d’Ostrander dans Pays de sang, un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Actes Sud.

La litanie de ces drames pose depuis longtemps la question du droit de vendre, d’acheter et de posséder des armes à feu aux Etats-Unis. Le puissant lobby NRA qui défend ce droit est soutenu par une bonne partie des Américains, se référant au Deuxième Amendemant de la Constitution datant de 1791 : "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé." C’est donc aux origines des Etats-Unis qu’il faut remonter pour comprendre cette tradition.

Double péché originel

Pour Paul Auster, son pays est marqué par un double péché originel. Le premier, dans le cadre de la conquête de l’Ouest, a été la spoliation des terres indiennes à coups de fusil. Dans ce Far West, avant que ne se constituent des États, les pionniers ont pris l’habitude des conflits armés et de l’autodéfense. Transposées au cinéma, ces luttes de l’Ouest ont produit le western, dont les héros sont des tireurs d’élite. Un de ces westerns, réalisé par Anthony Mann, porte même le nom d’une carabine : Winchester 73. De nos jours, des séries télévisées comme Shooter perpétuent la fascination des armes à feu.

Le second péché d’origine a été l’esclavage, héritage de la colonisation britannique. Les esclaves pouvaient fuir, ils devaient être surveillés. Les propriétaires créèrent alors des milices de vigilance : "ces patrouilles d’esclaves constituèrent la première force de police en Amérique, et jusqu’à la fin de la guerre de Sécession, elles fonctionnèrent comme une sorte de Gestapo sudiste." Après l’abolition de l’esclavage, pour contrer l’émancipation des Noirs, l’apartheid et les violences racistes ont fait la loi — au besoin la loi de la poudre.

La prohibition, adoptée en 1919, n ‘a jamais empêché les citoyens de boire de l’alcool, mais elle a développé le gangstérisme et la prolifération du pistolet automatique. Les films de gangsters tout comme les westerns ont nourri une culture de la violence et une validation des instruments de mort.

Les ventes d'armes s'envolent 

Aujourd’hui, la vente des armes aux particuliers ne cesse de progresser. Le Deuxième amendement est ambivalent, mais il est interprété — et officiellement par la Cour de Columbia en 2018 — comme le droit donné aux individus de porter des armes. Les adversaires qui s’y opposent se heurtent à un phénomène de culture : la valorisation de l’homme libre qui se défend virilement, et aussi à son corollaire, la défiance séculaire à l’endroit de l’Etat fédéral. Reagan a popularisé la formule selon laquelle "le gouvernement n’est pas une solution à nos problèmes mais le problème lui-même". Progressivement, les nations démocratiques dans le monde ont adopté l’axiome de Max Weber selon lequel l’Etat détient "le monopole de la violence légitime". Les valeurs de l’individualisme et de l’antiétatisme des Américains nient cet impératif de paix publique.

En lisant l’ouvrage de Paul Auster sur la succession des massacres monstrueux qui endeuillent les Etats-Unis, nous sommes glacés d’effroi. Nous pouvons nous féliciter de vivre dans la vieille Europe — mais jusqu’à quand ?

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