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Notre dossier : 40 % des élèves infirmiers tombent la blouse, le grand malaise

Entre les attentes des élèves infirmiers et la réalité du terrain (ici une image prise au sein du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud à Gap), le fossé est parfois important.

Entre les attentes des élèves infirmiers et la réalité du terrain (ici une image prise au sein du centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud à Gap), le fossé est parfois important.

Photo illustration Nicolas Vallauri

Erreur d'orientation, stages "maltraitants"... Alors que la France n'a jamais eu autant besoin d'eux, une grande partie des élèves abandonnent la profession au cours de leur formation

De quoi souffrent les élèves infirmier(e) s ? Selon la dernière enquête* du Cefiec, seulement six étudiants sur dix entrés en formation en 2019 dans un institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) en sont ressortis diplômés trois ans plus tard. La moitié des 40 % restants abandonne dans les premiers mois, plaidant une "erreur d'orientation", les autres redoublent, font une césure...

Alors que près de 15 000 postes sont vacants dans les hôpitaux, que des services entiers ferment faute d'infirmiers, la profession connaît une crise dès l'apprentissage. "Il y a un avant et un après Parcoursup, beaucoup d'erreurs de casting", entend-on souvent dans les couloirs des hôpitaux marseillais. Depuis 2019, c'est via l'algorithme que les bacheliers font connaître leur choix, s'exonérant d'un concours qui jusque-là devait se préparer en conscience. "Lors de l'oral, il fallait pouvoir faire valoir sa motivation, réfléchir à son projet, explique Michèle Appelshaeuser, présidente du Cefiec. Cela demandait plus d'engagement que de cliquer dans une case."

77 % des étudiants sont désormais orientés en Ifsi via Parcoursup, 23 % relèvent de la formation professionnelle continue. "Il y a des aides-soignantes mais aussi des personnels de la banque, de l'hôtellerie..., poursuit-elle. Ce sont des gens qui ont voulu, jeunes, faire un métier du soin, qui ont fait autre chose. Et qui y reviennent, parfois même à 45 ans. Ceux-là, en général, réussissent mieux."

L'algorithme est-il en capacité de débusquer les profils qui allient des capacités intellectuelles d'un bon niveau scientifique à des qualités de relations humaines ? Pas si sûr. C'est aussi un déficit d'information sur l'exigence de la formation qui pèse. "Beaucoup d'étudiants sont désemparés face aux changements des habitudes de travail avec le lycée, poursuit Michèle Appelshaeuser. Il faut pouvoir suivre 35 heures de cours par semaine avec beaucoup de travail personnel en dehors. À peine ont-ils eu le temps d'apprivoiser ce nouveau rythme de travail qu'ils partent en stage, après dix semaines de formation." Et il faut beaucoup de maturité à ces grand(e) s ados qui ont eu le bac en juin pour se retrouver jeter dans le grand bain d'un service hospitalier ou d'un Ehpad avant même Noël.

"Pour leur premier stage, en première année, ils vont se retrouver en Ehpad ou en gériatrie, c'est quasi systématique, regrettait en novembre dernier le ministre de la Santé, François Braun. (...) Comme ils n'ont pas de compétences d'infirmières, on leur dit on manque d'aides-soignants, donc tu vas faire les toilettes, et en plus ils se font engueuler." Très critique, François Braun parle de "maltraitance". Et il y a des raisons à cela que le ministre de la Santé, ancien urgentiste, ne peut ignorer.

"Choisir entre soigner ou encadrer"

"L'encadrement des étudiants se fait en temps réel par les infirmiers du service, décrypte la présidente du Cefiec. Ils n'ont pas de temps dédié à cela et ce n'est pas valorisé." Face à la surcharge de travail à laquelle doivent faire face les personnels, "à un moment, ils doivent choisir entre soigner ou encadrer". Pire, "il y a tellement de turn-over dans les équipes que lorsqu'il n'y a plus que des jeunes diplômés et des intérimaires, il n'y a tout simplement plus de possibilité de stages."

C'est aussi lors de ces stages que les étudiants sont confrontés à la réalité des conditions de travail du métier : "Être rappelé sur des congés, le sous-effectif", le manque de reconnaissance... "On fait face à une génération qui ne veut pas que la vie professionnelle prenne le pas sur la vie privée. Et là, elle se rend compte que ça ne lui convient pas. Depuis quelque temps, certains professionnels disent eux-mêmes aux élèves en stage : 'Ne faites pas ce métier, trouvez autre chose'. C'est dire le désarroi". Selon une enquête récente de la Fédération hospitalière de France, 69 % des infirmières ne recommanderaient pas leur métier en raison du stress généré par le manque de moyens humains.

Ces stages qui représentent pourtant la moitié du temps de formation n'offrent pas toujours de bonnes conditions d'apprentissage. Il n'est pas rare qu'un élève infirmier en troisième année ne sache toujours pas faire une prise de sang faute d'avoir eu l'occasion de s'entraîner en étant encadré. Et débarque sur le marché du travail, fragilisé. "Un stage en crèche, un autre en Ehpad, un troisième en psychiatrie, ça ne va pas, soupire, devant le CV d'une jeune diplômée, un cadre dans un service de soins critiques qui manque cruellement de personnels. Ce serait mettre la personne en difficulté mais aussi les patients et l'équipe autour."

Même une fois les difficultés de la formation passées, selon le Syndical national des professionnels infirmiers, 30 % des nouveaux diplômés quittent la profession dans les cinq ans.

* Le Cefiec est une association professionnelle de structures de formation aux métiers de santé. Cette enquête réalisée entre le 20 septembre et le 20 novembre 2022 repose sur des données recueillies auprès de 152 Ifsi (sur 309 structures adhérentes au Cefiec) soit un panel de 44 745 étudiants en soins infirmiers.

Depuis la réforme de 2019 et le recrutement via Parcoursup : "On ne peut pas attendre d'un outil qu'il fasse le bon travail tout seul"

En 2022, les études d'infirmier ont été les plus demandées sur Parcoursup avec 688 985 voeux formulés
En 2022, les études d'infirmier ont été les plus demandées sur Parcoursup avec 688 985 voeux formulés Photo Cyril Sollier

En 2022, les études d'infirmier ont une nouvelle fois été les plus demandées sur Parcoursup avec 688 985 voeux formulés, selon le ministère de l'Enseignement supérieur, sur l'ensemble des 365 instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) en France. Mais l'augmentation des candidatures s'accompagne également d'un mouvement d'abandon en cours de formation."Depuis 2019, le nombre d'étudiants qui interrompent leur formation en première année a plus que doublé. À l'endroit où on avait 18 arrêts avant 2019, on est à 47 en 2022, reconnaît Sandrine Dray, directrice des soins de la Timone et directrice des écoles et des instituts de formation de l'AP-HM, dont trois IFSI. La première promo Parcoursup a été celle de 2022. On avait inscrit 477 étudiants en 2019 et on en a diplômé 357 en juillet 2022. 25% des étudiants ne sont pas allés jusqu'au bout."

Jusqu'alors, les candidats devaient passer un concours pour chaque école à laquelle ils postulaient, avec frais d'inscription à la clé et déplacements. Depuis 2019, les bacheliers candidatent sur dossier auprès de dix IFSI maximum, d'un simple clic sur Parcoursup, sans frais ni concours. Après une première sélection de l'algorithme de la plateforme, les dossiers des candidats sélectionnés sont envoyés anonymement à un groupement de coordination sanitaire (GCS) associé à une université. "Au CGS d'Aix-Marseille, on a 16 IFSI, explique Sandrine Dray. Ça va de l'AP-HM en passant par la Croix-Rouge, Avignon, Gap ou encore Briançon."

Dès lors, l'un des IFSI attribue une note au dossier, à partir d'une grille de critères établie, qui vaudra pour l'ensemble des IFSI du CGS. "Si le dossier de l'étudiant est refusé, il le sera dans l'ensemble des IFSI rattachés à l'université en question. C'est problématique si on est mal noté, regrette Erwan Duchet, vice-président de la Fnesi (Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières) et étudiant de troisième année à Dax.

Informer

"J'ai une amie qui n'a été prise que dans le Sud-Ouest. C'était loin de chez elle et infirmier ce n'était pas son premier choix", avouait Charles, étudiant de 21 ans dans les Alpes-Maritimes. Deux mois seulement après le début de la formation, fin 2021, cette dernière se réorientait. Difficile pour Sandrine Dray de ne pas y voir un lien avec la façon de faire de Parcoursup : "On a l'impression que Parcoursup a un peu faussé les choses, dans le sens où certains font les choix derrière l'écran des IFSI un peu 'au cas où' ou parce que le copain a fait ça etc." "Les candidats mettent des IFSI dans différentes universités pour maximiser les chances, quitte à être loin du souhait initial", ajoute de son côté Erwan Duchet.

Bien qu'ils reconnaissent la dimension inclusive de la plateforme, ils admettent que la façon de candidater amène à des "mauvais choix d'orientation". "Aujourd'hui des élèves demandent la formation sans savoir concrètement ce que c'est puisque c'est mal renseigné", admet Erwan. "Quand on avait le concours, une majorité faisait une prépa et ça permettait un cheminement vers le métier. L'oral nous permettait de voir la motivation et ce qu'ils connaissaient du métier, constate Sandrine Dray. Aujourd'hui, certains nous disent 'J'ai fait ça parce que je n'ai pas eu ça, je ne suis pas fait pour ça etc.' Ils ont du mal à envisager le métier avant même de se retrouver en stage." C'est pourquoi la professionnelle de santé souhaite informer les lycéens, en amont des candidatures. Même chose pour Erwan Ducher : "Il est important de visualiser Parcoursup comme un outil qu'il faut travailler, qu'il faut développer. On ne peut pas attendre d'un outil qu'il fasse le bon travail tout seul." Pour cela, ils souhaitent mettre à disposition, sur la plateforme, des vidéos de présentation d'étudiants, et faciliter les immersions au sein d'IFSI et de centres hospitaliers.

"On est payé entre 1 euro et 1,70 euro"

Selon une enquête de la Fnesi publiée en mai 2022, 58,1 % des étudiants infirmiers déclaraient travailler à côté de leurs études. "Les étudiants infirmiers sont souvent issus de familles modestes et ont besoin de travailler à côté", souligne Violaine Massot, présidente de l'Esiop, une association qui vient en aide aux étudiants en soins infirmiers. En cause, le coût des formations (un IFSI privé peut coûter dans les 1 000 euros par an) mais aussi les à-côtés, le logement, l'alimentation, l'équipement ou les livres.

Laure, 22 ans, a été prise en 2021 dans un IFSI du département voisin. À cause de cela, elle a dû prendre un appartement... et un job étudiant. "C'était compliqué pour ma mère de participer à mon loyer ou de me donner de l'argent. Du coup, malgré ma bourse, j'ai dû bosser les week-ends." Après sa première année validée, elle a réussi à se faire transférer dans un IFSI près de chez elle. "Je suis retournée chez ma mère. Et honnêtement, je pense que je n'aurai pas tenu un an de plus à enchaîner les deux." Si Laure a pu poursuivre ses études, ce n'est pas le cas de beaucoup d'étudiants, selon Erwan Duchet. D'autant plus quand il s'agit de stage. "En stage, on se retrouve à aller loin, à prendre la voiture, les transports et malheureusement dans tous les IFSI la distance n'est pas toujours prise en compte dans tout ce qui va être remboursement, déplore l'étudiant en troisième année. D'autant plus que nous sommes rémunérés entre 1 euro et 1,70 euro de l'heure en stage. Contre 4,50 euros de l'heure pour tout autre étudiant qui est dans l'enseignement supérieur. Ce qui n'aide pas..."

En quoi consiste la formation IFSI ?

On compte 365 instituts de formation en soins infirmiers en France.
On compte 365 instituts de formation en soins infirmiers en France. Photo MaxPPP

Devenir infirmier ou infirmière est avant tout un métier attractif pour plusieurs personnes. On compte au total 365 instituts de formation en soins infirmiers repartis aux quatre coins de l'Hexagone. Selon Parcoursup, les étudiants suivent trois années d'études qui s'achèvent par l'obtention du diplôme d'État d'infirmier (diplôme reconnu grade licence).

Depuis la réforme de 2019, les bacheliers candidatent sur dossier auprès de dix Ifsi maximum, à travers Parcoursup, sans concours mais par sélection de dossier. Le site officiel du ministère de l'Enseignement supérieur explique que la sélection sur dossier permet la "valorisation des parcours, avec un objectif de diversité du recrutement".

La formation balance entre théorie et pratique. Au total, 4 200 heures de formation sont au programme, dont la moitié (2 100 heures) est consacrée à l'aspect théorique et rassemble cours magistraux, travaux dirigés et travaux personnels. L'autre moitié (2 100 heures) est consacrée aux stages en structures sanitaires et/ou sociales.

Par semaine, le volume de la formation est d'environ 35 h. La formation occupe une grande partie du temps des étudiants.

Parmi les cours enseignés, on retrouve des cours de psychologie, sociologie et biologie fondamentale mais également des cours en soins d'urgence et soins éducatifs et préventifs. L'étudiant est également initié au raisonnement et à la démarche clinique. Selon le site du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, la quasi-totalité des IFSI sont publics ou associatifs.

Pour les étudiants qui ne sont pas sortis du système scolaire depuis plus d'un an, le coût des études est en grande partie pris en charge par le Conseil régional. L'infirmier diplômé doit pouvoir procurer des soins de nature préventive, curative ou palliative dans le but de promouvoir, maintenir et restaurer la santé des patients. Ce métier est une haute responsabilité et exige des qualités de rigueur, vigilance et technicité. Le rythme de travail peut être soutenu et peut se dérouler en week-end.