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ReportagePollutions

« Respirer tue » : à Marseille, une plainte contre la pollution des paquebots

Des associations ont déposé plainte contre X pour stopper la pollution des navires du port de Marseille. Ici, un ferry de Corsica Linea à la sortie du port de Marseille.

Des associations et citoyens ont saisi la justice avec l’espoir de mettre fin aux pollutions atmosphériques et marines des navires du port de Marseille. Une action inédite.

Marseille (Bouches-du-Rhône), correspondance

Une plainte pour espérer en finir avec les rejets des navires qui leur pourrissent l’air et leur environnement marin. L’action juridique était en préparation depuis l’été dernier, elle est désormais sur le bureau du procureur de la République depuis mardi 28 février.

Vingt-cinq habitants de Marseille, ainsi que les associations Cap au Nord et Alternatiba Marseille ont déposé plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui, blessures involontaires, pollution marine, écocide et mise en danger de l’environnement. La responsabilité des auteurs de ces faits pourrait être recherchée par le parquet s’il décidait d’ouvrir un enquête.

D’autres citoyens ou associations peuvent rejoindre la plainte en cours, notamment via un formulaire accessible en ligne. Le collectif Stop Croisières accompagne la démarche en prévoyant des actions à venir vers le grand public. Il vient de mettre une pétition en ligne. Cette action juridique fait suite à des mobilisations de longue date. En juin dernier, outre des manifestations, des activistes en canoë avaient barré l’accès du port de Marseille à deux paquebots.

« Le début d’un combat »

« Les pouvoirs publics et le port n’agissent pas ou beaucoup trop lentement. Il nous fallait passer à un cran supérieur », explique Marie Prost-Coletta, présidente de l’association Cap au Nord. Avec l’espoir que cette première plainte déclenche une enquête judiciaire et un procès, pour permettre la reconnaissance d’un préjudice sur la santé des habitants et sur l’environnement marin. « On est au début d’un combat qui peut faire passer des jurisprudences », s’enthousiasme l’avocate Isabelle Vergnoux.

Les militants d’Alternatiba Marseille, Stop Croisières, Cap au Nord et leurs avocats ont annoncé le dépôt d’une plainte visant la pollution des navires du port de Marseille, le 1er mars 2023. © Pierre Isnard-Dupuy / Reporterre

Pour l’heure, quelques condamnations individuelles de navires ont été prononcées. Le capitaine du paquebot Azura a ainsi été condamné en 2018 à 100 000 euros d’amende pour avoir dépassé les normes de pollution. Bien peu de choses en comparaison aux bénéfices des armateurs, pointent les plaignants et leurs trois avocats.

Qu’ils naviguent ou qu’ils stationnent en escale, les navires polluent l’atmosphère. À quai, leurs moteurs tournent encore pour continuer à être alimenté en électricité. Des nuages de particules fines, d’oxyde d’azote et dioxyde de souffre potentiellement cancérigènes se déversent sur les quartiers à proximité du Grand port maritime de Marseille (GPMM).

« J’ai des problèmes cardiovasculaires »

Les bateaux de croisière sont les plus problématiques : ils font plus de 500 escales par an, pour 1,5 million de touristes débarqués. Une étude, publiée en 2019 par l’ONG Transport & Environment et citée par Les Échos, précise que les paquebots « ont émis autant d’oxydes d’azote que le quart des 340 000 voitures qui composent toute la flotte automobile de la ville » et « deux à cinq fois plus d’oxyde de soufre que l’intégralité des voitures de la ville ».

À Marseille, les paquebots de croisière font environ 500 escales par an. Ici, un ferry de la Compagnie tunisienne de navigation. © Pierre Isnard-Dupuy / Reporterre

Les plaignants ne tiennent pas pour responsables uniquement les géants des mers. C’est toute l’activité du port qui est visée : cargos, ferrys pour la Corse et le Maghreb et même réparation navale. « Je suis née à Mourepiane. Nous avons le nez sur la forme 10 [un espace pour la réparation navale], qui est la plus grande de Méditerranée. Quand les bateaux y restent plusieurs mois, leurs moteurs tournent non-stop. J’ai des problèmes cardiovasculaires, on sait très bien que les particules font des maladies cardiovasculaires », témoigne Michèle Rauzier, membre de Cap au Nord qui habite toujours ce quartier du 16e arrondissement.

Pollution sous-marine

Les solutions tardent à s’imposer. Financé par 41 millions d’argent public, le plan régional d’électrification des quais des ports de Marseille, Toulon et Nice ne devrait aboutir qu’en 2025, s’il ne subit pas des retards supplémentaires. Pour l’heure, seuls quelques ferrys pour la Corse se branchent à quai. Et la compagnie La Méridionale a mis en place un filtre à particules sur l’un de ses navires depuis septembre. Une goutte d’eau à l’échelle du trafic du GPMM.

D’autres bateaux évitent des rejets dans l’atmosphère en lavant leurs fumées à l’eau de mer, rejetée ensuite dans le milieu marin, à l’aide de filtres spéciaux (appelés scrubbers). « Ce n’est pas acceptable de déplacer la pollution de l’air vers la mer », dit Lukas Vollmy, du collectif Stop Croisières. Depuis le 1er janvier 2022, une interdiction de rejets des eaux de lavage des scrubbers est appliquée sur une bande littorale, donc à l’approche et dans l’enceinte des ports. « Mais c’est encore autorisé à plus de cinq kilomètres de la côte, précise l’avocat Nicolas Chambardon, à proximité de la zone Natura 2000 de la Côte bleue et dans le parc national des Calanques. »

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