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Dépendance économique des femmes : «Si j’avais su, je n’aurais pas déclaré mon concubinage»

Violences conjugalesdossier
APL, prime d’activité, allocation de soutien familial… Quatre femmes témoignent des conséquences économiques délétères d’un système de prestations sociales encore marqué par une politique familialiste forte.
par Marlène Thomas
publié le 5 mars 2023 à 12h56
(mis à jour le 7 mars 2023 à 12h56)

Elles sont longtemps restées dans un angle mort. Camouflées derrière les inégalités professionnelles – davantage scrutées puisque échappant à l’insondable sphère privée – les inégalités prenant racine au sein des couples sont pourtant criantes. Dans une note révélée par Libération, l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes pointe la responsabilité de l’Etat dans la dépendance économique des femmes au sein des foyers. Aide personnalisée au logement (APL) et prime d’activité conditionnées aux revenus du conjoint, obligation de vivre seule pour percevoir l’allocation de soutien familial (ASF)… Quatre femmes témoignent des conséquences délétères de ce système sur leur vie quotidienne.

Laëtitia, 25 ans, assistante maternelle

«Malheureusement, on tombe amoureux très vite…»

«Assistante maternelle à domicile depuis cinq ans, je perçois en moyenne 650 euros net par mois. J’habite dans l’Oise avec mon compagnon depuis mars 2021. Avant notre emménagement, je touchais 300 euros de prime d’activité par mois. Voulant être honnête, au moment de réactualiser ma situation en août, j’ai déclaré à la CAF qu’on vivait en concubinage depuis mars. On m’a alors sommé de rembourser 1 200 euros de prime d’activité en seulement vingt jours, sous prétexte que le foyer gagnait trop d’argent pour que je perçoive désormais cette aide. Il tenait compte du salaire de 2 000 euros net de mon conjoint, administrateur réseau, alors qu’aucun contrat ne nous unit.

«Depuis, je ne touche cette prime que dans les périodes de creux, durant l’été, à hauteur de 86 euros. Avec mon conjoint, nous partageons les charges fixes à deux tiers-un tiers, pour les courses c’est 50-50. Je suis complètement lésée. Si j’avais su, je n’aurais pas déclaré ce concubinage, pour toucher ma prime d’activité et peut-être même des APL. Je trouve ça très sexiste qu’on nous pousse à dépendre de quelqu’un, particulièrement d’un homme. Malheureusement, on tombe amoureux très vite…»

Linda (1), 37 ans, assistante administrative

«On est encore des mineures, nous les femmes ?»

«Je suis assistante administrative et j’élève seule ma fille de 6 ans. Le père est parti dès le début de la grossesse et a fini par reconnaître ma fille deux jours après sa naissance. Défaillant, il s’est vu retirer son autorité parentale. Mon ex-conjoint ne payant pas la pension alimentaire de 150 euros décidée par la juge, l’allocation de soutien familial m’a été attribuée en 2018. C’est quand même dingue de devoir se poser la question «est-ce que je dois tomber amoureuse ou pas ?» de peur de voir cette aide retirée. Pour l’instant, cette question-là ne s’est pas présentée à moi, mais bien sûr, j’y pense. Demain, si je me mets en couple, il faut vraiment que le mec ait beaucoup d’argent pour que ce ne soit pas un problème pour moi de perdre mon ASF. Je ne gagne que 1 500 euros net par mois. Ça veut dire quoi ? Qu’on est encore des mineures, nous les femmes ? C’est très patriarcal. Tant que le père de ma fille ne paye pas sa pension, le service de recouvrement doit continuer à lui demander de le faire. Cette charge ne doit pas m’incomber.»

Laura (1), 24 ans, étudiante en communication

«Je tiens à mon indépendance financière»

«Je suis étudiante en communication, actuellement en stage. J’ai emménagé avec mon conjoint il y a trois ans. Seule, j’aurais dû toucher 150 euros d’APL. Durant un an, quand nous étions tous les deux étudiants, nous percevions 250 euros d’aide au logement, moins que ce qu’on aurait touché chacun séparément, 300 euros. Désormais doctorant, mon copain gagne 1 800 euros net par mois. Ma situation n’a pas changé, je ne touchais rien jusqu’à peu, et à l’heure actuelle 950 euros pour mon stage. Malgré tout, mes APL ont été supprimées. Cela a suscité des discussions dans notre couple. Mon copain paye 60 % du loyer et moi 40 %, alors que jusqu’à récemment je n’avais pas de revenus. Je paye moins de la moitié grâce à une partie de sa prime d’activité qu’il veut bien partager, ainsi que les APL. Je dépends de lui et de ses revenus. Le reste de nos frais sont partagés à 50-50 car je tiens à mon indépendance financière. Je n’ai pas envie de lui devoir quoi que ce soit. Pour ne pas perdre les APL, nous avons pensé à nous déclarer en colocation plutôt qu’en concubinage comme certains de nos amis. Nous nous sommes ravisés de peur d’avoir à rembourser la CAF.»

Margaux (1), 47 ans, communicante

«La pension alimentaire est incluse dans mon revenu imposable, alors que mon ex a un crédit d’impôt»

«Quand mon fils avait 9 mois début 2010, je me suis retrouvée en fin de droits au chômage. A l’époque, j’étais en concubinage avec son père, également au chômage. Ce dernier touchant trop d’allocations – 1 500 euros –, je n’ai pas été éligible à l’allocation de solidarité spécifique, versée sous conditions de ressources aux personnes ayant épuisé leurs droits. Ni mariés ni pacsés, nous avions, selon la CAF, un devoir de solidarité. Pendant un mois, je n’ai eu aucun revenu. Les tensions préexistantes dans notre couple se sont amplifiées. Nous avions déjà un enfant atypique, les problèmes financiers ont tout fait basculer. Ces tensions ont débouché sur des violences psychologiques mais aussi physiques. J’ai trouvé rapidement un job alimentaire, dans un centre d’appels, payé au smic. Pour moi, c’était une question de survie. J’ai fini par le quitter en 2012 et à porter plainte. Aujourd’hui, il verse une pension alimentaire de 300 euros, mais ne participe pas aux frais de santé de notre fils malgré son handicap. Je dois l’inclure dans mon revenu imposable alors que lui a un crédit d’impôt. Ce sont pourtant les revenus pour mon fils, pas les miens. Encore une fois, on fait un cadeau aux hommes.»

(1) Le prénom a été changé.

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