Fin de vie : « Elle est sortie de la résidence avec sa canne et un tabouret »

Un bouquet de fleurs sauvages déposé sur le pont

Un bouquet de fleurs sauvages déposé sur le pont 

Récit  Chez ses beaux-parents, qui sont de fidèles lecteurs, Sylvine a lu « l’Obs » consacré à la fin de vie. Dans une « colère monstre » et sous le choc du suicide de sa mère, 87 ans, au début du mois de mars, elle nous a adressé une lettre bouleversante. La voici publiée.

« Je suis révoltée qu’on pousse de vieilles personnes à passer à l’acte de façon aussi violente sous prétexte qu’elles pourraient encore vivre ainsi des années… Si l’on peut appeler ça vivre », nous dit Sylvine Plantier au téléphone. Depuis trois semaines, cette habitante d’Alès (Gard) vit avec l’image des derniers instants de sa mère qui a marché de son Ehpad au pont le plus proche en portant un tabouret. « Elle avait du caractère… Imaginez la volonté qu’il fallait pour monter dessus et enjamber ce parapet à 87 ans. » Cet acte était prémédité puisque tout chez elle était post-ité : « ça, il faudra le laver ; ça, c’est propre… » Après lecture de notre dossier sur la fin de vie et du « manifeste des 109 », Sylvine nous a envoyé ce courrier :

« Suite à la lecture de l’article sur la fin de vie de votre numéro n° 3049 du 16 au 22 mars 2023, je voudrai vous apporter mon témoignage. Lundi 6 mars 2023, au matin, ma mère, âgée de 87 ans, s’est suicidée en se jetant d’un pont. Mort effroyable, mais mûrement préparée.

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Elle n’était pas atteinte de maladie incurable, ne souffrait d’aucun handicap, aurait pu vivre encore longtemps comme le lui disaient les médecins, mais ne supportait plus de vivre en perdant peu à peu son autonomie, sa dignité, et en devenant de plus en plus dépendante. Elle subissait, comme cela paraît normal à beaucoup, les méfaits de la vieillesse : atteinte de DMLA, elle voyait de plus en plus mal, perdait l’audition, avait des problèmes de canal carpien et ne pouvait plus se servir de ses mains comme elle le souhaitait. Elle avait de plus en plus de mal à se déplacer, une mémoire chancelante, était dépassée par les nouvelles technologies et devait sans cesse avoir recours à quelqu’un pour les démarches administratives, exclusivement sur internet. Elle avait de plus en plus de difficultés à se doucher ou à se laver seule les cheveux et, comble de la dégradation, devenait incontinente et se contrôlait de moins en moins !! Mais tout cela n’était pas vital ! Par contre, elle avait toute sa tête et était très consciente !!!

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Quitter sa maison montagnarde

Divorcée et jamais remise en couple, elle nous avait élevées seule ma sœur et moi tout en menant de front sa vie professionnelle (enseignante en classe unique) et un militantisme politique intense. Elle a toujours mis un point d’honneur à se débrouiller seule. Grande lectrice, passionnée par les activités manuelles, jardinière émérite, élevant des chevaux et des chiens, avec lesquels elle sillonnait toute la région, maniant la débroussailleuse, la scie, la bêche, transportant ses bottes de foin… Elle était toujours en activité et manquait de temps pour faire tout ce qu’elle souhaitait. Et puis, il a fallu qu’elle accepte de quitter sa maison en pleine montagne, car trop isolée, pour un petit appartement au cœur d’un village (elle qui aimait tant ses paysages et sa tranquillité !), ensuite elle dut renoncer à conduire, quitter son petit appartement pour une résidence pour personnes âgées suite à plusieurs chutes afin de bénéficier d’une surveillance, de soins et d’une présence régulière.

Mais elle avait perdu sa chère liberté et tout ce qui avait été sa vie.

Elle, qui manquait de temps en permanence, a découvert l’ennui et l’inaction. Elle fut aussi confrontée, à travers les autres résidents, aux dégradations inéluctables qu’entraîne la vieillesse. Et pour elle ce n’était pas supportable ! Maintes fois, même en ma présence, elle a demandé à ses médecins de l’aider à partir, elle leur a fait part de sa douleur psychologique, a argumenté pour justifier son choix. Mais, même si certains comprenaient sa position et sa demande, rien n’a pu être fait car son corps lui permettait de « vivre » encore (mais de quelle vie parle-t-on !) et elle fut contrainte de passer, seule, à l’acte et de façon abominable !!!

Une poupée et du punch

Pourquoi, à 87 ans, face à une personne en possession de toutes ses capacités d’analyse et de choix, doit-on en arriver à cet acte si violent ? Quel avenir pouvait-on lui proposer si ce n’est une dégradation physique inéluctable et des souffrances psychologiques intenses ?

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Elle a tout préparé minutieusement pendant des semaines, voire des mois, elle nous a écrit, ainsi qu’à son médecin, pour justifier son acte et s’excuser. La veille de son départ, elle a noté sur son calendrier : « derniers préparatifs ». Et, ce lundi matin 6 mars, elle est sortie de la résidence avec sa canne et, dans un sac, un tabouret pour enjamber le parapet, une poupée qu’elle gardait depuis son enfance et une bouteille de punch pour se donner du courage !!! Est-ce humain d’en arriver là ? Alors qu’un sédatif puissant lui aurait permis de s’endormir tranquillement dans son lit et de ne pas se réveiller. Et pour nous, en état de choc et d’horreur à l’imaginer dans ses derniers moments de vie, n’aurait-ce pas été plus supportable ?

Nous savions qu’elle souhaitait partir mais que pouvions-nous faire sinon être présents le plus possible, répondre à ses demandes et besoins ? Même nous, sa famille, enfants petits-enfants et arrière-petits-enfants ne suffisions plus à lui donner envie de vivre, alors, devions nous lui infliger encore longtemps cette DOULEUR ??? »

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