Partager
Idées

Iran : la plus grande révolution féministe de l’Histoire

En Iran, la révolution des femmes a fait tâche d’huile, entraînant la population des deux sexes contre un régime dans lequel elle ne se reconnaît plus. Et remet en cause l’accusation de l’Occident par les mollahs. "Notre ennemi est ici. Ils mentent en disant que c’est l’Amérique", souligne notre éditorialiste Michel Winock. 

réagir
Image UGC publiée sur Twitter, le 26 octobre 2022, d'une femme non voilée debout sur le toit d'une voiture, des milliers de personnes se dirigeant vers un cimetière à Saghez, dans l'ouest de l'Iran, pour marquer le 40e jour du décès de Mahsa Amini

En octobre 2022, un femme non voilée debout sur le toit d'une voiture, des milliers de personnes se dirigeant vers un cimetière à Saghez, dans l'ouest de l'Iran, pour marquer le 40e jour du décès de Mahsa Amini

UGC/AFP/Archives - -

La révolution en Iran, éclatée en septembre dernier, a disparu de nos écrans. La férocité de la répression paraît l’avoir annihilée : 600 manifestants tués, dont 60 enfants, près de 30 000 arrestations, environ 20 000 jeunes emprisonnés, une centaine de condamnés à mort… Le régime des mollahs s’est coupé de la société, mais il la domine encore. La révolution n’est pas morte pour autant. Deux publications, la revue Esprit et le magazine l’Histoire (un magazine du groupe Croque futur auquel appartient Challenges) viennent nous rappeler à son actualité.

Toute révolution survient de causes multiples, économiques, sociales, culturelles, politiques, et la révolution iranienne n’y échappe pas. Reste qu’elle a été et demeure une révolution des femmes, dont Jina Mahsa Amini, la jeune Kurde victime d’un crime d’Etat pour n’avoir pas su porter son voile "correctement", restera à jamais la figure emblématique.

Cette révolution des femmes a commencé depuis longtemps. Elle a d’abord été souterraine, invisible, repérée seulement par les démographes. Dans cette société patriarcale qu’était l’Iran, les femmes étaient vouées à devenir ou à rester des mères au foyer. Six ou sept enfants, c’était la progéniture moyenne des familles avant la révolution islamique de 1979. Or le taux de fécondité n’a cessé de s’affaiblir depuis les années 1990, jusqu’à atteindre 1,7 enfant de moyenne par femme en 2019, un taux inférieur à celui de la France. Marie Ladier-Fouladi parle à ce sujet, dans son article de L’Histoire, d’une "sécularisation par le bas", d’une forme d’insurrection intime contre les injonctions populationnistes du régime et, par là même, un acte de résistance.

"Femme, vie, liberté"

Une nouvelle génération féminine s’est dressée contre les tabous et les diktats du pouvoir. Eduquée, elle a eu accès aux études supérieures : un tiers des jeunes femmes en 2016, contre 1,5 % en 1976. Alors que le régime a abaissé l’âge légal du mariage à 10 ans pour les filles, l’âge moyen du premier mariage a reculé, passant de 19,7 ans en 1976 à 24 ans en 2016. En 2006, était lancée la pétition contre les lois discriminatoires dont les femmes étaient victimes : d’invisible, la révolution féministe devient publique. Plus tard, au moment de la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad, elles participent massivement au Mouvement vert qui la remet en cause.

Le slogan de cette nouvelle génération - « Femme, vie, liberté »- qui a donné son nom à ce qui n’est plus une contestation dans le cadre du régime, mais une révolution qui en appelle à sa destruction, est un programme explicite. L’émancipation des femmes passe par la liberté entre les deux sexes, liberté juridique contre la jurisprudence islamique, liberté politique, liberté des comportements. La vie, c’est la revendication de la joie de vivre contre la « culture de mort de la théocratie chiite » (Farhad Khosrokhavar, Esprit), c’est le droit de s’habiller comme on veut, de chanter et de danser. La liberté, c’est à la fois la liberté individuelle et la liberté politique contre la dictature, l’aspiration à un régime démocratique.

"À bas le dictateur !"

La révolution des femmes a fait tâche d’huile, entraînant la population des deux sexes contre un régime dans lequel elle ne se reconnaît plus, "un nous du peuple qui ne veut plus de l’ordre établi par la république islamique" (Chowra Makaremi, Esprit) "À bas le dictateur !" La jeunesse est aux avant-postes. Parfaitement adaptée à la révolution numérique, elle utilise de main de maître les réseaux sociaux, se met en contact avec la diaspora iranienne, forte de trois millions d’individus dans le monde. Elle remet en cause l’accusation de l’Occident par les mollahs. "Notre ennemi est ici. Ils mentent en disant que c’est l’Amérique."

Peut-être voyons-nous en Iran se produire la plus grande révolution féministe de l’Histoire, qui a réussi à entraîner la majeure partie d’une population contre un régime totalitaire. La femme est l’avenir de l’homme iranien. Un formidable mouvement qui n’est pas près de s’éteindre.

Commenter Commenter

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite TOUT savoir de l’actualité et je veux recevoir chaque alerte

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Entreprise
Politique
Économie
Automobile
Monde
Je ne souhaite plus recevoir de notifications