La résistance par l'écrit : épisode • 1/2 du podcast Ghetto de Varsovie, les archives d'Emanuel Ringelblum

Archives Ringelblum : une des boîtes en fer enfouies avant la destruction du ghetto de Varsovie - François Teste
Archives Ringelblum : une des boîtes en fer enfouies avant la destruction du ghetto de Varsovie - François Teste
Archives Ringelblum : une des boîtes en fer enfouies avant la destruction du ghetto de Varsovie - François Teste
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En octobre 1940, à Varsovie, l'historien et humaniste juif Emanuel Ringelblum compose une équipe pour archiver la vie quotidienne du ghetto. Les nombreux documents collectés constituent l'un des plus grands actes de résistance contre la Shoah en Pologne.

Quand on arrive à Varsovie aujourd'hui, 80 ans après la destruction du ghetto, une imposante tour de verre remplace la synagogue dynamitée par les Allemands le 16 mai 1943. Miraculeusement, juste en face, singulier contraste, l'ancien bâtiment qui était, avant la guerre, l'Institut d'étude judaïque, abrite maintenant l'Institut historique juif. À l'intérieur, la plus grande collection de documents collectés par l'historien Emanuel Ringelblum et son équipe (journalistes, écrivains, sociologues, économistes, artistes... une soixantaine de personnes en tout) pendant toute la vie du ghetto, d'octobre 1940 à mai 1943. Mais attention, l'exposition permanente n'est que la partie émergée de l'énorme trésor immergé dans la partie invisible de l'Institut.

Conservés en sous-sol dans plusieurs coffres-forts et uniquement réservés aux chercheurs, ces documents représentent 35.369 pages très précisément, soit 6.000 documents rassemblant des textes dactylographiés, des rapports (en polonais et en yiddish surtout, mais aussi en hébreu et en allemand), des photos ou encore des affiches et emballages de friandises. Ils mettent en lumière, dans le plus infime détail, la vie clandestine du ghetto, notamment les comités d'immeuble, les organismes d'entraide sociale, la vie culturelle et religieuse. Mais aussi la police juive ou la contrebande. De nombreux documents administratifs disent l'aggravation calculée de la persécution nazie, au jour le jour, par le froid et la faim. Une véritable terreur par la misère.

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La situation sociale donne lieu à des enquêtes de l’équipe de Ringelblum sur la morbidité tuberculeuse et typhique (les Allemands considérants les Juifs contaminateurs naturels du typhus d'où l'obligation de les isoler des autres).

Ces écrits représentent une précieuse mine pour comprendre réellement l'évolution du ghetto et sa tragédie organique. En effet, les seules images filmées arrivées jusqu'à nous sont celles tournées par la propagande allemande avec des scènes inventées où l'abondance ne correspond pas à la réalité ! Seule exception, les quelques photos bouleversantes prises in situ par Heinrich Jöst, sergent de la Wehrmacht et peu publiées. Un témoignage limité en comparaison des riches archives d'Emmanuel Ringelblum et de son équipe baptisée « Oneg Shabbat » (la joie du Shabbat). L'écrit reste donc la véritable empreinte de la vie et la mort du ghetto. Un énorme acte de résistance qui commence bien avant le soulèvement final.

Pour le 10ème anniversaire de l'insurrection du ghetto de Varsovie, récit du soulèvement par l'un des survivants (Dans "Paris vous parle", "Le ghetto de Varsovie", 21.04.1953)

2 min

Parallèlement à son obsession pour une collecte systématique, Emanuel Ringelblum demande à sa collègue Rachel Auerbach de créer un réseau de soupes populaires afin d'alimenter les habitants qui ont faim, notamment les enfants. Car Emanuel Ringelblum est autant historien qu'humaniste et, côté politique, un acteur social appartenant à un parti marxiste révolutionnaire.

À partir d'octobre 1941, l'équipe « d'Oneg Shabbat » met sur pied une agence d'information à destination des organes de presse clandestins. Sa force, pour le destin du ghetto de Varsovie, est de recevoir des rapports des autres ghettos polonais où déjà, l'on massacre et gaze sans discontinuer dans des camions (les chambres à gaz industrielles seront créées plus tard). C'est le cas au centre d'extermination de Chelmno près de Lodz. Le premier rapport complet sur Chelmno, réalisé grâce à un prisonnier échappé, est envoyé au gouvernement polonais à Londres et à la BBC en mars 1942. Ainsi, dès le printemps 42, grâce à Ringelblum, l'extermination des Juifs polonais n'est plus ignorée à l’ouest de l’Europe ! Pour lui, elle annonce aussi une extermination totale. Avec « Oneg Shabbat », ils ne croient plus à la possibilité d'un après-guerre où il s'agira d'écrire leur histoire dans le ghetto et d'en témoigner après une libération attendue. Une conviction macabre qui se confirme début juillet 1942, quand les dirigeants « d'Oneg Shabbat » sont informés d'une déportation de masse. Malheureusement, l'ensemble des habitants du ghetto n'y croit pas, tant elle semble inconcevable par son abjection ! Pourtant, la « grande déportation » commence le 22 juillet 1942 et dure près de dix semaines. Elle conduit à Treblinka entre 265.000 et 290.000 Juifs.

Martin Gray parle du sentiment de culpabilité d'être vivant et de son expérience de la barbarie (dans "Mémoires du siècle", "Martin Gray" (France Culture,16.09.1997)

1 min

Pendant « la grande déportation » et ensuite « la seconde déportation » de janvier 1943, Ringelblum continue de collecter les documents jusqu'à la fin du soulèvement commencé le 19 avril 43 et écrasé mi-mai. Deux mois avant, en février 1943, il a déjà pu fuir le ghetto par un des tunnels sous le mur mais y revient régulièrement pour continuer son travail de collecte. Il est présent physiquement le jour du soulèvement.

Il meurt un an plus tard avec sa femme et son fils à la suite d'une dénonciation dans la partie aryenne de Varsovie où ils se sont réfugiés tous les trois.

En 1999, « les archives Ringelblum » sont inscrites par l'Unesco au registre de la « mémoire du monde ».

Archives Ringelblum : illustration sur une boîte de friandises
Archives Ringelblum : illustration sur une boîte de friandises
- François Teste

Pour en parler

Merci à Aleksandra Galant et à l 'Institut Emmanuel Ringelblum / Institut historique juif de Varsovie

Traduction, Alexandre Dayet.
Lecture des textes (extraits) : Le testament de David Graber par François-Xavier SzymczakLa petite gare de Treblinka de Wladyslaw Szengel, par Malgorzata Strus.

Bibliographie sélective

Générique

Un documentaire de Dominique Prusak réalisé par François Teste. Prises de son à Paris, Delphine Baudet. Coordination, Christine Bernard. Documentation Radio France, Noémie Boncourt. Recherche musicale, Antoine Vuilloz. Attachée de production et pages web, Sylvia Favre-Steyaert.

L'équipe