Femmes photographes iraniennes, un autre récit

© Yalda Moaiery

« Toutes les œuvres qui composent ce livre sont imprégnées de féminisme. » (Anahita Ghabaian Etehadieh)

Contribution à la révolution des femmes ayant lieu actuellement en Iran, l’ouvrage collectif Espace vital, Femmes photographes iraniennes, exposant le regard de trois générations de femmes, est passionnant.

Publié par les Editions Textuel, Espace vital, qui regroupe les travaux de vingt-trois artistes femmes, est un livre conçu sous la direction d’Anahita Ghabaian Etehadieh, qui a ouvert en 2001 à Téhéran la galerie Silk Road, premier espace dédié entièrement à la photographie en Iran.

Les œuvres choisies portent une indéniable charge politique, exprimée le plus souvent par le biais de la métaphore ou du détournement, la question du corps, de l’intime, de l’écologie – voir les séries de photographies tirées sur papier salé de Pargol E. Naloo sur les désastres provoqués par le réchauffement climatique, et les images de Solmaz Daryani sur l’assèchement du lac d’Ourmia -, de la famille et de la mémoire étant des préoccupations constantes.

« La notion de disparition, précise la galeriste, est omniprésente tandis que la nostalgie d’un passé révolu, non vécu, voire fictif, anime de nombreuses artistes. Le geste le plus partagé est celui du détour et de la métaphore. Beaucoup de photographes ont recours à des images d’archive – personnelles ou non -, rejoignant en cela une tendance répandue dans la photographie contemporaine : le réemploi d’images vernaculaires ou de clichés issus d’albums de famille [comme chez Nazli Abbaspour, Sahar Mokhtari et Malekeh Nayiny]. »

© Shadi Ghadirian

Considérée comme une pionnière de la photographie contemporaine, avec Rana Javadi – qui dénonce l’unique présence de photographes iraniens hommes sur les zones de conflit -, Hengameh Golestan rend compte de la manifestation gigantesque des femmes, de tous âges et classes sociales, ayant eu lieu le 8 mars 1979, contre l’obligation décrétée par le pouvoir islamiste du port du voile.

Le visage est l’un des points de préoccupation majeure des artistes femmes.

Gelareh Kiazand observe la beauté des visages féminins assistant, dans un cinéma, à la projection d’un film narrant une histoire d’amour. Les yeux s’embuent, chaque femme devient une icône d’émotion, la lumière se fait sur une intériorité devenue visible.

Mahboube Karamli contemple les adolescentes qu’elle côtoie comme enseignante de photographie dans un lycée. Ici aussi montrer le visage est un enjeu politique, objet également d’une série très forte de Shadi Ghadirian mettant en scène un tchador dont le visage est masqué par un ustensile ménager, casserole, théière, balai, essoreuse à salade, fer à repasser ou gant de nettoyage (2000-2001).

Sur la nappe de la table à manger, il y a une assiette, des couverts, et un poignard sanglant, comme il y a une grenade dans le lit conjugal (série Nil, Nil, 2008).

Ghazaleh Rezaei utilise le flash pour masquer le visage de soldats martyrs devenus ainsi des halos de lumière, alors que Ghazaleh Hedayat gratte son visage, sa peau et sa chevelure pour découvrir en elle son propre fantôme.

© Nazli Abbaspour

Mina Boromand calligraphie ses photographies, ainsi enluminées, tandis que Gohar Dasti met en scène un couple d’aujourd’hui occupé à des activités quotidiennes sur un champ de bataille marqué par les stigmates de la guerre Iran-Irak (1 200 000 morts), qui fut un traumatisme persistant pour toute la société.

Maryam Takhtkeshian, qui emploie des pellicules périmées et un appareil utilisé par les soldats allemands durant la Seconde Guerre mondiale, confie : « Je vois des soldats partout ; en errance dans les rues, sur les affiches oubliées sur les murs de la ville. […] Je vois des soldats partout et me répète qu’aucun n’est revenu de la guerre. »

La dureté de la condition ouvrière est au centre du travail de Mashid Noshirvai.

Tahmineh Monzavi s’intéresse notamment – en noir et blanc – à la vie des toxicomanes, prostituées et transgenres, comme aux ateliers de confection de robes de mariées.

La photojournaliste Yalda Moaiery montre avec une grande force le désespoir de femmes arrêtées par la police des mœurs pour ne pas avoir porté comme il se doit le hijab.

© Gohar Dashti

Maryam Firuzi observe la diversité culturelle dans son pays, arrêtant le temps en se mettant en scène dans la rue en train de lire, tandis que Hoda Afshar représente des personnages possédées par le vent (mythe populaire véhiculé sur les îles du détroit d’Ormuz).

Atoosa Alebouyeh rend compte de son isolement social en des photographies d’une blancheur évoquant sa disparition.

D’une grande maturité, les univers artistiques présentés dans Espace Vital témoignent de la volonté de questionner la place des femmes dans la société, leur puissance comme leur invisibilisation, de la réalité la plus insupportable (série de Newsha Tavakolian, de l’agence Magnum, sur des femmes interdites de chant dans l’espace public), jusqu’à la dystopie devenue concrète d’un monde en voie de disparition (Hoda Amin).

Espace Vital, Femmes photographes iraniennes, sous la direction d’Anahita Ghabaian Etehadieh, coordination Julia Chiron, design graphique Agnès Dahan et Raphaëlle Picquet, Editions Textuel, 2023, 160 pages – avec des œuvres de Nazli Abbaspour, Hoda Afshar, Atoosa Alebouyeh, Hoda Amin, Mina Boromand, Solmaz Daryani, Gohar Dashti, Maryam Firuzi, Shadi Ghadarian, Hengameh Golestan, Ghazaleh Hedayat, Rana Javadi, Mahboube Karamli, Gelareh Kiazand, Yalda Moaiery, Sahar Mokhtari, Tahmineh Monzavi, Pargol E. Naloo, Malakeh Nayini, Mahshid Noshirvani, Ghazaleh Rezaei, Maryam Takhtkestian, Newsha Tavakolian

https://www.editionstextuel.com/catalogue/photographie/voir-tout

Ouvrage publié avec le soutien du ministère de la Culture, de la Fondation Antoine de Galbert, de la Soudavar Memorial Foundation et d’Olivier Legrain, créateur du fonds de dotation Riace France pour les migrants

Anahita Ghabaian Etehadieh a également contribué à l’ouvrage collectif Une Histoire mondiale des femmes photographes, paru chez Textuel en 2020

https://www.editionstextuel.com/catalogue/nouveautes

A voir également, les formidables séries photographiques du Suisse Alexandre Arminjon (atelier Ithaque, Paris) sur la diversité de la jeunesse iranienne

https://alexandre-arminjon.com/iranian-portraiture-2022

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