Accueil

Société Police et Justice
Au procès pour "viols" de Tariq Ramadan, ses avocats fustigent "une femme infiniment tentatrice"
À l'heure des plaidoiries, au tribunal de Genève, les avocats du prédicateur musulman, jugé pour « viols » et « contrainte sexuelle », ont dénoncé une plaignante éconduite, qui aurait menti sur tout.
AFP

Au procès pour "viols" de Tariq Ramadan, ses avocats fustigent "une femme infiniment tentatrice"

Justice

Par

Publié le

À l'heure des plaidoiries, au tribunal de Genève, les avocats du prédicateur musulman, jugé pour « viols » et « contrainte sexuelle », ont dénoncé une plaignante éconduite, qui aurait menti sur tout. Les avocats de Brigitte, eux, ont insisté sur l'authenticité de son récit, établi notamment par son syndrome post-traumatique.

Au tribunal de Genève, mercredi 17 mai, l’avocat suisse Robert Assaël a commencé sa plaidoirie en comparant la plaignante Brigitte à Tariq Ramadan, « l’authenticité cristalline face à l’opacité », « le courage face à la lâcheté », « David contre Goliath ». Alors que les plaidoiries des avocats venaient clore ces trois journées tendues, où Ramadan était jugé pour « viols » et « contrainte sexuelle », Me Assaël a voulu avant toute chose établir « l’authenticité » du récit de sa cliente. Car Brigitte (prénom d’emprunt), une Suissesse de 57 ans, avait été rudoyée de tous les côtés, entre les attaques chirurgicales de Tariq Ramadan, les questions déstabilisantes de la défense, mais aussi le ton réprobateur des trois juges du tribunal genevois. Exception faite du procureur Adrian Holloway : celui-ci a requis, hier, une peine de trois ans de prison, dont 18 mois ferme, à l’encontre de l’islamologue.

Authenticité, donc. Quelques jours seulement après la « nuit d’horreur » qu'elle dit avoir vécue avec Tariq Ramadan à l’hôtel Mon Repos de Genève, chambre 511, le 28 octobre 2008, Brigitte consulte un psychiatre, rappelle Robert Assaël devant son pupitre. Ce docteur Simon l’écoute, inscrit bien le terme de « viol » dans ses carnets, tout lui en diagnostiquant un « stress post-traumatique » : sentiment de dégoût, hypervigilance, flashbacks, cauchemars... « Non, ce n’est pas le fait d’être éconduite qui l'a menée à un stress post-traumatique, un état qui ne peut être simulé », s’exclame Me Assaël, ventilant par ces mots une théorie prônée par Tariq Ramadan.

A LIRE AUSSI : "J’ai eu peur de mourir" : au procès de Tariq Ramadan, Brigitte raconte des viols brutaux

Il l’admet : malgré cet état, malgré les viols extrêmement brutaux qu’elle décrit, elle continue à envoyer au théologien des messages tendres : « Je veux t’embrasser », « Tu es un homme merveilleux »« Moins vous répondiez, Monsieur Ramadan, plus elle était sous emprise. Mais elle était obsessionnellement en quête d’explications, d’excuses », pointe Me Assaël qui soudain élève la voix, incarne son verbe, se mettant dans la peau de Brigitte : « Que s’est-il passé, toi que j’admirais, intelligent, vif, humaniste ? Pourquoi es-tu devenu un monstre dans cette nuit d’hôtel, en octobre 2008 ? Si je comprends et si tu t’excuses, je pourrais t’accorder mon pardon. » Elle déposera plainte dix ans plus tard, en avril 2018.

Et voici qu’il veut montrer l’absurdité de la théorie de la « vengeance » de la femme éconduite, avancée par Tariq Ramadan. « Elle se serait donc infligé huit mois de thérapie, aurait menti à quatre personnes de A à Z, feint les symptômes constatés ? Et elle se vengerait en déposant une plainte pénale bidon, dix ans après ? Elle pourrait postuler pour la Nuit des Molières… », ironise l’avocat. « Si elle avait voulu le détruire, blessée car éconduite, elle aurait déposé plainte immédiatement en 2008, voire 2009. »

François Zimeray, autre avocat de Brigitte, a lui aussi voulu mettre quelques sous-titres. Pourquoi celle-ci a-t-elle eu tant de peine à prononcer le mot « viol » ? « Ça peut surprendre », reconnaît Me Zimeray, en fixant le président, qui l’avait interrogée sur cette réticence. Brigitte avait répondu qu’elle avait été davantage terrifiée par « sa peur de mourir », réduite sous les coups et les viols répétés dans la chambre d'hôtel à « une poupée de chiffons ». « Certains viols, par leur nature, ne sont pas des actes sexuels », décrypte l’avocat. Selon lui, « il y a des violeurs qui sont violeurs parce qu’ils font l’impasse sur le consentement. Mais il y a des violeurs dont la satisfaction des instincts passe par la souffrance et le supplice des victimes. C’est le cas de Tariq Ramadan ». Il insiste : « Nous sommes ici au-delà du viol », affirme-t-il, voyant dans les actes reprochés à Ramadan « de la torture et de la barbarie ».

À ce moment, Brigitte sanglote sur sa chaise. L’avocat rembobine cette affaire poisseuse, où se sont succédés témoins contraints de déposer sous X, docteurs apeurés, journalistes pris à partie, proches cambriolés... Tariq Ramadan fusille Me Zimeray du regard, la tête penchée sur son poing.

Le théologien avait agité le spectre d’un « traquenard », tendu de concert par les femmes suisses et françaises – cinq au total – qui se sont parlé et qui ont dénoncé ses agissements à la justice. « C’est pas nécessairement un complot, un traquenard, c’est simplement que ces femmes se sont reconnues et qu’elles ont ressenti le besoin de s’épauler », lance François Zimeray. Qui embraye : « Pour qui, pour quoi, voudrait-elle le faire tomber ? Pour Madame [Caroline] Fourest qui nourrit un dessein idéologique ? Cela voudrait dire que ces femmes auraient inventé un complot et s’infligent l’épreuve d’une procédure judiciaire, de confrontation, atteinte à leur sérénité, tout ça pour satisfaire les ambitions de l’une ou de l’autre, qu’elle n’a d’ailleurs jamais rencontré ? » « Qu’a-t-elle gagné ? Rien. Elle a tout perdu », avait aussi dit Me Assaël.

Place aux avocats du théologien. Yaël Hayat, soprano du barreau de Genève, entame un long préambule où elle a à cœur de dénoncer les « plumitifs » qui ont écrit sur les affaires Ramadan, les « femmes vengeresses » engendrées par la vague #MeToo, la notion d’emprise, « opium censé nous endormir », ou encore la (supposée) « Ramadan-phobie » latente dans la société. C’est ensuite que Me Hayat a abordé le fond. D’abord le manque manifeste de preuves dans cette affaire. « On n’a pas de constats gynécologiques, pas ce slip qu’elle portait, qu’elle dit maculé de sang et de sperme. » Puis le manque de témoins oculaires. « C’est une affaire sans témoins. On a des témoins d’une parole, mais pas de témoins d’un acte », dit Me Hayat. En résumé, selon elle, « il n’y a ni témoignage, ni preuve ». Avant de jouer sa carte maîtresse : après toutes ces années, « seuls les écrits entre Brigitte et Ramadan sont restés intacts. Ce sont les seules pièces de ce dossier. C’est l’avant, c’est l’après. Une boîte noire, ce qui subsiste, ce qui révèle ce qu’elle a été hier, quand elle n’était pas dans le déni », plaide l’avocate.

A LIRE AUSSI : "Je ne suis pas un moraliste": à l'ouverture de son procès, Tariq Ramadan entre arrogance et manipulation

C’est donc une femme « infiniment tentatrice », selon Me Hayat, qui sollicite Tariq Ramadan par messages en septembre 2008 et le rejoint dans le lobby d’hôtel ce soir d’octobre. « Elle prend ses dispositions, elle a toute le nuit. Elle est apprêtée », souligne la pénaliste, pour qui le rendez-vous « est plaisant, mais pas renversant ». Et elle se fait maintenant la ventriloque de la version de l’islamologue. Ce serait donc Brigitte, « infiniment audacieuse », qui monterait les escaliers, frapperait à la porte de sa chambre, se mettrait en nuisette. « Il y a les premiers gestes, les carresses, les baisers. A ce moment là il le dit : "J’ai eu envie d’elle". Elle était désirable. Cela aurait pu arriver si cet instant n’avait pas été interrompu par un imprévu. » Tariq Ramadan affirme en effet avoir été « inhibé par l’odeur de renfermé de son foulard » et une tache de sang menstruel sur les draps. Scénario que dément la plaignante.

« Cet instant est infiniment humiliant pour cette femme. Elle a cherché à le conquérir pendant des jours », selon Me Hayat. Elle raconte une femme « éprise » qui chercherait alors à tout prix à maintenir le lien : en continuant à écrire, puis en allant le voir à une dédicace, puis en le menaçant, puis en déposant plainte. « C’est une histoire folle d’une femme qui est dans sa propre emprise ! A-t-on déjà vu une femme qui cherche une dédicace de son violeur ? Une femme qui cherche à être bénie par le frère de son violeur ? » Les plaidoiries se sont poursuivies tout l’après-midi. Jugement le 24 mai.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne