Soudan : au Darfour, des civils désespérés prennent les armes pour se défendre face aux milices
Alors que les affrontements entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) durent depuis plus d'un mois, des combattants Janjawids - affiliés à ces dernières - sèment la terreur au Darfour-Occidental, en particulier à El-Geneina. Plusieurs vagues d’attaques ont été signalées, faisant des centaines de victimes parmi les civils, notamment parmi les tribus non-arabes. Désespérés, certains d’entre eux ont pris les armes pour se défendre, en l’absence de protection militaire.
Publié le :
Depuis le début du conflit opposant l’armée régulière aux Forces de soutien rapides (FSR), à la mi-avril, les civils du Darfour-Occidental subissent des vagues d’attaques dévastatrices, menées par des Janjawids, une milice arabe affiliée aux FSR.
La dernière vague d’attaques menées à El-Geneina – capitale du Darfour-Occidental – a fait au moins 280 morts et plus de 300 blessés, du 12 au 15 mai, selon le syndicat des médecins du Darfour-Occidental. Un bilan meurtrier, accentué par l'absence de l’armée soudanaise sur le terrain pour protéger les civils, issus de tribus non-arabes (dont les Massalit).
Depuis une semaine, la rédaction des Observateurs reçoit des messages d’habitants du Darfour faisant état de civils prenant les armes – fusils de chasse ou encore pistolets – pour défendre leurs maisons et leurs commerces, face aux attaques et aux pillages des milices arabes. Le 24 avril, des habitants et des commerçants d’El-Geneina avaient toutefois déjà mis la main sur un stock d’armes dans une réserve abandonnée de la police locale.
“Ceux qui ont les moyens financiers ont pu acheter des armes pour se défendre”
Depuis le début du conflit, Khalil (pseudonyme) soigne les blessés et enterre les morts, de façon bénévole, à El-Geneina. Il n’est pas étonné de voir des habitants de la région recourir à l’auto-défense. Pour sa sécurité, nous garderons son identité secrète.
Depuis le 12 mai, j’ai participé à l’enterrement d’au moins 176 victimes des attaques des Janjawids. Je passe toutes mes journées au chevet des blessés par balle dans les dispensaires déployés sur le terrain, à El-Geneina. Nous avons dû déplacer certains des blessés, car les frappes d’artillerie ciblent aussi les dispensaires. Nous avons perdu un des rares médecins présents sur le terrain, tué durant l’une de ces attaques. Nous recevons toutes les deux heures des blessés par balles des snipers des Janjawids qui sont déployés au sud et à l’ouest de la ville. Il devient dangereux de se déplacer à El-Geneina.
Comme aucun organisme sécuritaire officiel n’est présent au Darfour-Occidental, les habitants ont cherché à acquérir des armes légères pour défendre leurs maisons et leurs commerces qui sont ciblés par les miliciens Janjawids, mais aussi par des combattants des FSR.
Il est très facile d’obtenir des armes au Darfour : il suffit d’avoir assez d’argent. Par exemple, pour un fusil Kalachnikov, il faut prévoir environ 1 300 dollars (environ 1 200 €), les balles se vendent à 2 dollars l’unité (1,85 €)... Ceux qui ont les moyens financiers parmi les habitants ont pu acheter des armes légères pour se défendre. Ils ne peuvent pas rester les bras croisés, car personne ne les protège.
Dans la vidéo ci-dessous filmée le 15 mai à El-Geneina, des civils armés prennent d’assaut un véhicule “Thatcher” appartenant aux FSR (“Thatcher” est l’appellation donnée aux pickups Land Cruiser utilisés historiquement par les FSR au Darfour). Ces civils l’incendient ensuite, en criant “Les Janjawids dehors de chez les Massalit” et en proférant des insultes à l’encontre des miliciens. On voit plusieurs de ces civils porter des armes automatiques, dont l’auteur de la vidéo qui apparaît au début de la vidéo.
À LIRE SUR LES OBSERVATEURS >> Au Darfour, le conflit soudanais aggrave les violences communautaires imputées aux Janjawids
Khalil poursuit :
Historiquement [sous le régime de l’ex-président Omar el-Béchir, NDLR], seules les tribus arabes pouvaient légalement avoir des armes. Toute tribu africaine était considérée comme “rebelle” par le régime dès lors que leurs chefs obtenaient des armes pour se défendre contre les Janjawids, et ce, depuis 2003. [Le Darfour-Occidental a été le théâtre de massacres ethniques sous Omar El-Béchir, NDLR]
Ce qui fait que, depuis la chute du régime d’Omar El-Béchir [en avril 2019, NDLR], il est devenu plus facile de s’armer au Darfour, en obtenant ces armes du Tchad voisin par exemple. C’est un mouvement nécessaire car les attaques se sont intensifiées notamment depuis le début de la guerre [le 15 avril, NDLR].
De nombreux accords ont été signés entre les deux chefs des camps en conflit, Abdelfattah Al Burhan (SAF) et Mohammad Hamdan Dogolo (FSR), le dernier en date étant “l’accord de Djeddah” signé le 12 mai, pour autoriser l’accès aux équipes humanitaires. Malgré cela, aucun cessez-le-feu n’a été respecté dans les zones civiles depuis le début des combats au Soudan, faisant de la capitale du Darfour-Occidental un lieu particulièrement vulnérable. Plus de 500 personnes ont été tuées à El-Geneina depuis le 15 avril, a déclaré le gouverneur du Darfour occidental.