interview« La fréquence des suicides souligne la gravité du harcèlement scolaire »

Harcèlement scolaire : « Un changement de comportement soudain chez l’enfant doit alerter ses parents »

interviewCatherine Blaya, professeure en sciences de l’éducation et sociologie de l’éducation, publie un ouvrage dans lequel elle livre des conseils aux parents d’enfants harcelés ou harceleurs
 En primaire, 12 % des élèves sont touchés par le harcèlment, contre 10 % au collège et 4 % au lycée.
En primaire, 12 % des élèves sont touchés par le harcèlment, contre 10 % au collège et 4 % au lycée. - Canva / Canva
Delphine Bancaud

Propos recueillis par Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Selon le rapport parlementaire d’Erwan Balanant paru en 2020, 700.000 élèves sont victimes chaque année de harcèlement scolaire.
  • Dans son ouvrage Le [cyber] harcèlement chez les jeunes, paru cette semaine, Catherine Blaya, professeure en sciences de l’éducation et sociologie de l’éducation, apporte des réponses aux parents, souvent démunis lorsque leur enfant est victime ou agresseur.
  • Pour 20 Minutes, elle suggère diverses pistes concrètes d’accompagnement aux familles.

Lucas en février, Lindsay en mai… Les prénoms des élèves qui se sont suicidés après avoir été harcelés à l’école sont désormais gravés dans nos mémoires. Selon le rapport parlementaire d’Erwan Balanant paru en 2020 sur le sujet, 10 % des élèves sont affectés par ce fléau, soit environ 700.000 élèves par an. Ce qui correspond, en moyenne, à 2 ou 3 enfants par classe. Avec des variations selon les âges : en primaire, 12 % des élèves sont touchés, contre 10 % au collège et 4 % au lycée.

Dans son ouvrage Le [cyber] harcèlement chez les jeunes, paru cette semaine, Catherine Blaya, professeure en sciences de l’éducation et sociologie de l’éducation, dresse un tableau exhaustif du phénomène. Pour 20 Minutes, elle revient sur les conseils qu’elle donne aux parents afin de mieux aider leurs enfants.

Les cas de harcèlement sont-ils en hausse, ou sont-ils davantage dénoncés ?

Il n’existe pas de chiffres montrant qu’ils sont plus nombreux. Mais la fréquence des suicides d’adolescents souligne la gravité du phénomène.

Plus d’un écolier sur dix est victime de harcèlement à l’école primaire. Comment expliquez-vous que ce fléau démarre si tôt ?

Dès la maternelle, on observe des comportements de compétition. Certains enfants veulent asseoir leur domination sur les autres. Souvent parce qu’ils ont une mauvaise estime d’eux-mêmes, n’ont pas appris à gérer leurs émotions ou rencontrent des difficultés en famille. Ils ont besoin de se narcissiser et le font aux dépens des autres. A cet âge, le harcèlement passe le plus souvent par des agressions physiques.

Au collège, quels sont les motifs les plus fréquents du harcèlement ?

Tout d’abord, c’est le racisme et la xénophobie. Les élèves musulmans sont notamment la cible de contenus haineux sur Internet depuis les attentats de 2015. Viennent ensuite les violences contre les jeunes LGBTQIA+. Et la grossophobie augmente aussi ces dernières années.

Quels signes doivent alerter chez un enfant quand on est parent ?

Un changement de comportement soudain : agressivité, repli sur soi, refus d’aller à l’école, difficulté à s’endormir, perte d’appétit, chute des résultats scolaires…

Un enfant harcelé aura aussi tendance à rester le plus longtemps possible dans la classe pour être en compagnie d’un enseignant ou, au contraire, à essayer de partir très vite, avant les autres. Il va aussi se réfugier au CDI pendant les récréations, va refuser d’aller à la cantine, se rendre souvent à l’infirmerie dans le secondaire… Et s’il est cyberharcelé, il sera très souvent sur son portable pour chercher à savoir ce que l’on dit de lui, montrera des signes de nervosité, sursautera quand un adulte s’approchera de lui et aura des comportements similaires à ceux du harcèlement traditionnel, les protagonistes étant très souvent les mêmes en ligne et hors ligne.

Quels sont les bons réflexes à avoir quand son enfant est harcelé ?

D’abord, il ne faut pas dramatiser et ne pas renvoyer à son enfant une image négative et culpabilisante en sous-entendant qu’il n’est pas capable de se défendre tout seul. Autre recommandation : ne pas tenter de gérer l’affaire seuls. Car si les parents interpellent le harceleur ou sa famille, l’enfant victime peut faire l’objet de représailles et la situation dégénérer.

Le bon réflexe est de prendre immédiatement rendez-vous avec le chef d’établissement ou le CPE. La plupart du temps, les équipes pédagogiques sont réceptives. Mais, si ce n’est pas le cas, il ne faut pas hésiter à envoyer un courrier recommandé.

Et si son enfant est victime de cyberharcèlement ?

Les mêmes conseils s’appliquent. Mais il faut aussi contacter les modérateurs des réseaux sociaux pour leur signaler la situation et demander le retrait de certaines publications. Et faire des copies d’écran qui constitueront des preuves si jamais l’on décide de porter plainte sans omettre de copier la date, l’heure et si possible le nom de l’expéditeur.

Parallèlement, la famille peut aussi avoir recours à une association, comme E-enfance par exemple, afin d’être accompagnée dans ses démarches. Par ailleurs, il ne faut surtout pas répondre aux cyberagresseurs sur le même ton, ce qui ne ferait qu’amplifier le phénomène.

Comment aider son enfant à réagir aux agresseurs ?

Rien ne sert de lui interdire d’aller sur les réseaux sociaux, car le fait d’ignorer ce que l’on raconte sur lui peut accroître son anxiété et développer chez lui un sentiment de paranoïa.

Quelles sont les précautions à prendre en amont quand son enfant commence à s’exposer sur les réseaux ?

Il faut mener avec lui des activités en ligne, comme par exemple l’aider à se constituer un profil, à installer ses paramètres de sécurité ou l’accompagner dans la rédaction de ses premières publications. C’est l’occasion de lui rappeler les risques qu’il encourt en publiant certains contenus. Il faut surtout mettre en place avec lui un dialogue dans un climat de confiance, pour qu’il ne se sente pas jugé sur ce qu’il a envie de partager avec ses pairs. Et contractualiser avec lui le temps autorisé en ligne.

Dans votre ouvrage, vous vous adressez aussi aux parents des élèves harceleurs. Sont-ils souvent dans le déni ?

Oui, car leur premier réflexe est de se dire que leur enfant est incapable de faire du mal aux autres. Il faut pouvoir regarder la situation en face, sans culpabiliser. On peut être un bon parent et avoir un enfant qui développe, à un moment de sa vie, un comportement agressif. Et on peut se sentir démuni face à un enfant difficile.

Certains enfants présentent-ils plus de risques de devenir harceleurs que les autres ?

Ce sont des élèves en recherche de popularité auprès de leur communauté, car ils ont peu confiance en eux, ont du mal à supporter la frustration. Ils présentent aussi des lacunes en termes d’empathie.



Comment expliquer que les enfants harceleurs ont souvent été victimes du harcèlement ?

Parce qu’ils ont besoin de reprendre confiance en eux en dominant un autre enfant.

Comment aider son enfant à changer de comportement ?

Il faut prendre le temps de discuter avec lui pour l’aider à prendre conscience de la gravité de ses actes. Il faut aussi le rassurer en lui disant qu’on l’aime quand même ! Il est aussi nécessaire de travailler avec l’établissement pour imaginer une démarche de réparation auprès de la victime, afin qu’elle soit reconnue comme telle. C’est aussi important pour les témoins du harcèlement, qui comprendront ainsi qu’il n’y a pas d’impunité et qu’ils doivent aussi s’opposer à ce type de comportement et seront protégés s’ils le font. Et enfin, il faut sanctionner son enfant, car le fait de l’aimer n’exclut pas de le punir lorsqu’il a failli.

89 % des Français estiment que le ministère de l’Education n’en fait pas assez contre le harcèlement scolaire. Ont-ils raison ?

Non, je ne crois pas. Car l’Education nationale est mobilisée depuis de nombreuses années pour lutter contre ce fléau. Reste qu’il faut encore développer des démarches globales sur le sujet en faisant de la prévention, en accompagnant les victimes, mais aussi en impliquant activement les élèves (création de contenus de sensibilisation, médiation…). Il faut aussi développer la formation sur ces questions à l’ensemble des personnels de l’établissement, intensifier la prise en charge des cas de harcèlement en primaire, développer le nombre de référents antiharcèlement dans les établissements… Le travail est loin d’être fini. Le programme pHARe développé à l’heure actuelle et que les pouvoirs publics veulent intensifier n’est pas suffisant.

* Le cyberharcèlement chez les jeunes, Catherine Blaya, Mardaga, 19,90 euros.

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