Quand Jean Moulin entrait dans la Résistance après une tentative de suicide face aux Nazis

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Quand Jean Moulin entrait dans la Résistance après une tentative de suicide face aux Nazis

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Fresque Jean Moulin près de la cathédrale de Chartres en hommage au préfet d'Eure-et-Loir
Fresque Jean Moulin près de la cathédrale de Chartres en hommage au préfet d'Eure-et-Loir
© AFP - RENAULT PHILIPPE / HEMIS

C’est un moment charnière de notre histoire. Celui qui motive Jean Moulin à s’engager dans la Résistance. Le 17 juin 1940, il tente de se donner la mort plutôt que de devoir collaborer avec les Nazis. À l'époque il est encore préfet d’Eure-et-Loir, et voit déferler l'armée allemande sur Chartres.

Retraçons cet épisode déterminant de sa vie. Celui qui marque le point de départ de son épopée. Celle qui allait faire de lui la plus grande figure héroïque de la Résistance française, bientôt envoyé par De Gaulle pour unifier les différents mouvements et actions de résistance.

Une défaite française très mal vécue depuis Chartres

Juin 1940, la France est défaite et exsangue, le gouvernement français a fui, le Parlement concède les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, lequel demande aussitôt l'armistice le 17 juin 1940. Au milieu de la débâcle, notre héros national, Jean Moulin opère son premier geste de résistance. À Chartes, siège de la préfecture d’Eure-et-Loir, comme partout en France, le désordre est total, pour autant, le futur monsieur Rex se refuse au découragement et au déshonneur.

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Le préfet radical-socialiste assiste au triste spectacle des troupes allemandes de la Wehrmacht pénétrant dans la ville le 16 juin 1940, et c'est aussitôt qu’il refuse de plier le genou face à l'occupant. Cet épisode nous est connu grâce à un témoignage qu’il nous a laissé par écrit au début de l'année 1941, lorsqu’il se trouve auprès de sa famille à Montpellier. Un récit de ce qui a été son premier acte de résistance. Des notes prises sur le vif que sa sœur, Laure, a conservées et qu’elle a titré "Premier combat" et grâce auxquelles on a pu connaître cette première épreuve de force face aux Allemands et le climat désespéré dans lequel se trouve le pays les jours qui précèdent sa tentative de suicide. On saisit déjà combien Jean Moulin est extrêmement déterminé à faire face à l’envahisseur et se porter garant de l’honneur des vaincus et ne pas déroger à ses fonctions officielles.

Il avait déjà eu l'occasion de défendre ses principes lors de son engagement aux côtés des républicains pendant la guerre civile espagnole. C’est sa toute première activité clandestine. En tant que chef du cabinet du ministre de l'air du Front populaire, Pierre Cot, en 1936, il participait au ravitaillement clandestin d'armes et d'avions des républicains espagnols qui firent face à Franco. Une expérience par laquelle il commençait à cultiver l’idée qu'en cas de péril extrême la résistance et l’union républicaine étaient une évidence absolue.

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17 juin 1940 : le premier acte résistant de Jean Moulin

L’historien Jean-Pierre Azéma dans sa biographie consacrée à « Jean Moulin : le rebelle, le politique, le résistant », nous apprend qu’au matin du 16 juin 1940, lorsque la 8e division de l’infanterie ennemie commandée par le général Koch-Epach gagne Chartres, le préfet Moulin se tient droit dans la cours de l’hôtel de la préfecture. Et la première chose qu’il exige est d’être fait prisonnier dans sa résidence officielle. Le ton était donné. Puis, dans son récit de 1941, on constate qu'il met en garde l’officier allemand en lui signalant qu’il respectera la loi de l’armée allemande et que l’ordre ne sera pas troublé, mais à condition qu'elle respecte la population civile.

Jean Moulin se doutait bien que les Allemands s’y déroberaient, et cela, avant même qu’ils n’occupent les lieux puisque le 14 juin, il confiait déjà par la lettre à sa mère et à sa sœur qu'il serait fait très vite prisonnier : « Quand vous recevrez cette lettre, j’aurais sans doute rempli mon dernier devoir. Sur Ordre du gouvernement, j’aurai reçu les Allemands au chef-lieu de mon département et je serai prisonnier ». Il n’excluait pas l’hypothèse de s’en sortir vivant tout en les assurant « d’une victoire prochaine ».

L’inévitable se produisit comme il l’avait anticipé. Deux officiers allemands se présentent à lui le soir du 17 juin pour l’enjoindre de signer un protocole injurieux, déshonorant lâchement l'armée française pour des crimes atroces qu’elle n’avait pas commis sur des civils. Les Allemands lui présentent un rapport où sont consignées les soi-disant preuves accablantes dont seraient responsables les soldats africains de l’armée française. Il refuse catégoriquement de signer, constatant qu’il ne s’agit que des suppositions et des accusations sans fondement.

Pendant que Jean Moulin est transporté sans ménagement au hameau de La Tay, où les Allemands prétendent avoir découvert les crimes dont ils accusent les tirailleurs sénégalais, le président Albert Lebrun fait appel au maréchal Pétain pour gouverner la France, lequel appelle les troupes françaises à cesser le combat.

Le préfet est jeté dans une grange près des cadavres atrocement mutilés pendant de longues heures jusqu’à ce qu’il soit de nouveau enjoint de signer. Sa résistance lui vaut d’être passé à tabac, mais déterminé à ne rien céder, il tente de se suicider plutôt que de devoir collaborer et d’être torturé. Il s'est ouvert la gorge à l'aide de morceaux de verre qui traînaient là et est transporté à l'hôpital de Chartres.

Pendant qu’il est pris en charge, le 18 juin, le Général de Gaulle lance son appel au combat et à la résistance depuis la BBC de Londres. Jean Moulin ne l’entend donc pas. Au micro de "Autant en emporte l'histoire", l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon raconte « qu’il n'était pas en état d'écouter la radio. D’ailleurs, il n'est même pas au courant de la formation du gouvernement collaborationniste dirigé par le maréchal Pétain et sa demande d'armistice intervenue la veille. Lorsqu'il tente de se tuer, il pense que la guerre continue plus au sud. Cet épisode lui a fait toucher directement ce qu'est la réalité de l'occupation allemande loin de correspondre à cette image correcte décrite par la propagande allemande dès l'été 1940. Une expérience qui lui a fait mesurer qu’il n'y a pas de collaboration possible et jusqu'où il était capable d'aller : faire le sacrifice de sa vie et à prendre des risques, car la résistance, il y pense d'emblée en juin 1940 ».

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Rencontre avec De Gaulle et unification de la Résistance française

Il attend patiemment après cette première épreuve, pour se faire officiellement révoquer de son poste de préfet le 2 novembre 1940 par le gouvernement du maréchal Pétain. Il s’agit de ne pas éveiller de soupçon quant à sa volonté de s’engager dans la Résistance. En parallèle, il commence aussitôt à se mobiliser pour collecter le maximum d’informations, pour dresser un état de la résistance en France. Il enquête de part et d'autre de la ligne de démarcation et signifie par là combien il entend servir de trait d'union entre l’ensemble des résistants et Londres. Il prépare également son départ pour l’Angleterre sous une fausse identité. Il lui faut presque un an pour rejoindre l'Angleterre et rencontrer le chef de la France libre. C'est en octobre 1941 que Jean Moulin parvient à lui remettre son rapport sur l’état de la résistance française. Entretenant ce même refus de la défaite et l'amour sacré de la patrie, les deux hommes s'entendent pour ne faire qu'un et rétablir l'honneur de la France.

Le 2 janvier 1942, Jean Moulin est parachuté au-dessus des Alpilles, en tant que représentant officiel de la France libre, dont la mission est d’unifier tous les mouvements de résistance, de coordonner leur unité d’action en constituant une Armée secrète, honorer la formation d’un Conseil National de la Résistance, et préparer la France d’après-guerre.

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Sa mission sera tragiquement écourtée lors d'une assemblée plénière secrète à Caluire, près de Lyon, le 21 juin 1943, puisqu'à peine les protagonistes sont-ils réunis que la Gestapo surgit et arrête tout le monde. Officiellement, Jean Moulin meurt sous la torture sans avoir parlé, le 8 juillet 1943. 20 ans plus tard, ses cendres entraient au Panthéon le 19 décembre 1964, en présence du général de Gaulle et des héros survivants. Il fut l'un des plus grands héros de notre histoire et mémoire française et nous fêtons cette année le 80e anniversaire de son arrestation et de sa disparition.

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🎧  RÉÉCOUTER - Autant en emporte l'histoire :  1940. Le premier refus de Jean Moulin
📖  Jean-Pierre Azéma : Jean Moulin, le rebelle, le politique, le résistant (Éditions Perrin, 2003)
📖  Bénédicte Vergez-Chaignon : Jean Moulin, L'affranchi (Éditions Flammarion, mars 2023)

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