En Algérie, même les députés qui critiquent le régime sont intimidés

L’Assemblée populaire nationale (APN) algérienne.

Lundi 19 juin, lors d’une séance de questions orales tenue à l’Assemblée populaire nationale (APN) algérienne, un député, pour avoir tenu un discours de vérité, a fait l’objet d’une intimidation en règle de la part du président de cette institution. Ce dernier a bruyamment interrompu l’intervention critique de son homologue et pris la défense d’un ministre, celui de l’Agriculture, et à travers lui le régime algérien, accusé de naviguer à vue, sans «feuille de route».

Le 20/06/2023 à 19h29

Le député d’Oran, Rachid Cherchar, bien qu’élu sous la bannière du Mouvement El Bina, dont le chef Abdelkader Bengrina est un pantin des généraux algériens, n’a pas la langue dans la poche. Lundi 19 juin, lors de questions orales à l’Assemblée nationale populaire, Cherchar a interpellé le ministre de l’Agriculture sur trois volets: le prix exorbitant du mouton de l’Aïd, de celui non moins onéreux des viandes rouges en Algérie, sans oublier l’incontournable sachet de lait que l’Algérien ne peut se procurer qu’au prix d’une attente à la queue leu leu.

Concernant le sacrifice de l’Aïd El Adha, le député d’Oran s’est demandé comment l’Algérien moyen peut-il se procurer un mouton, avec les prix records affichés actuellement.

«Et l’Aid ? On ne vous a pas entendu parler de l’Aïd. Le citoyen n’a pas les moyens pour célébrer l’Aïd. Le mouton coûte dix millions de centimes» (soit environ 7.350 dirhams marocains), a-t-il dit au ministre de l’Agriculture, Mohamed Abdelafid Henni.

Rachid Cherchar a même laissé entendre que les Algériens n’auront d’autre solution, le jour de la fête du sacrifice, que de se rabattre sur les œufs. Ceci, d’autant plus que les viandes rouges sont également inabordables.

«La viande est à 2.500 dinars. Vous nous avez promis la viande à 1.200 dinars le kilo à la veille du dernier Ramadan. On n’a vu que de la publicité. Trouvez une solution pour que l’Algérien puisse manger de la viande tout au long de l’année, pourquoi attendre le mois de Ramadan pour bouger?», s’est offusqué le député.

Il a ainsi dénoncé cette démagogie qui consiste à annoncer de fausses ou d’insignifiantes baisses à chaque Ramadan avant de laisser les prix grimper pendant les onze autres mois de l’année.

Ces chiffres avancés par le député d’Oran sont d’autant plus hallucinants qu’en Algérie, le salaire minimum national (SMN) est officiellement fixé à 20.000 dinars, soit 1.471 dirhams ou 135 euros.

Pourtant, ce n’est pas l’argent qui manque car, selon lui, l’Algérie est un pays qui a «des drahems». Une façon de dire que le peuple algérien est sevré de toutes ses richesses.

Abordant le problème de la rareté du lait, ou plus exactement des sachets où il y a plus d’eau que de lait en poudre, Cherchar a dénoncé une politique de favoritisme et de triche qui désavantage certaines régions par rapport à d’autres.

«Donnez-nous notre quota de lait à Oran. Nous n’avons pas de lait. Notre quota va à Saïda, on le mélange avec de l’eau et on nous le renvoie à Oran», a dénoncé le député, qui n’a pas manqué de rappeler au ministre de l’Agriculture qu’il navigue à vue, comme son prédécesseur. «Vous n’avez pas de feuille de route et donc vous marchez sur les traces de votre prédécesseur», a lancé l’élu.

Cette dernière salve, adressée d’ailleurs à tout l’Exécutif algérien, a été derrière une vive altercation verbale entre le député d’Oran et le président de l’APN, Ibrahim Boughali, qui a bruyamment interrompu le député, en se faisant l’avocat du gouvernement.

Bien qu’élu sans étiquette politique (indépendant), Boughali a ainsi tenté d’intimider le député d’Oran et, à travers lui, tous ses collègues au cas où ils voudraient tenir un discours de vérité.

Par Mohammed Ould Boah
Le 20/06/2023 à 19h29