Violences gynécologiques : “Il faut réfléchir à une autre prise en charge, validée par les femmes”

Perrine Millet, gynécologue, forme les soignants à mieux repérer et prendre en charge les conséquences médicales des violences faites aux femmes. Elle explique la nécessité de repenser le suivi des patientes.

Perrine Millet (deuxième en partant de la gauche) lors du débat animé par Flavie Flament après la diffusion du documentaire d’enquête sur les violences gynécologiques.

Perrine Millet (deuxième en partant de la gauche) lors du débat animé par Flavie Flament après la diffusion du documentaire d’enquête sur les violences gynécologiques. Antoine Flament/M6

Par Marie-Joëlle Gros

Publié le 28 juin 2023 à 20h05

Dans le documentaire Écartez les jambes : enquête sur les violences gynécologiques, diffusé sur Téva mercredi 28 juin, des femmes témoignent du traumatisme qu’a été leur accouchement. Épisiotomies recousues à vif, négation de leur dignité… Elles dénoncent ce que d’autres ont longtemps enduré en silence, et cette parole qui se libère les relie à une sorte de #MeToo de la gynécologie. Certaines participent au débat suivant cette diffusion, animé par Flavie Flament. Deux gynécologues leur répondent. Joëlle Belaisch-Allart, présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), campe sur une position de « sachante » peu favorable à l’écoute, tandis que Perrine Millet, pourtant de la même génération, développe un point de vue beaucoup plus empathique.

À quelques années de la retraite, en 2015, cette « somaticienne » a créé un diplôme interuniversitaire (DIU) pour former les soignants sur les conséquences médicales des violences faites aux femmes. Cette formation unique en France est seulement délivrée dans deux universités : Paris-Cité (ex-Descartes) et Grenoble. Depuis 2017, deux cent cinquante soignants (dont la moitié de médecins) ont été formés. Ce sont… essentiellement des femmes. Entretien avec Perrine Millet, que l’injonction « Détendez-vous, madame ! » a toujours hérissée.

À quel moment avez-vous pris conscience que les gestes médicaux de la gynécologie et de l’obstétrique pouvaient être mal vécus par les femmes ?
Dès ma formation initiale. Mais il m’a fallu du temps pour mettre le mot « violences » dessus. Je me souviens très bien de ma sidération, lorsque j’étais interne, devant une femme en plein travail d’accouchement. Elle était littéralement ligotée : une perfusion sur un bras, le tensiomètre sur l’autre et le monitoring sur le ventre… Une aberration ! Ensuite, il y a eu mon expérience des interruptions médicales de grossesse [IMG, accouchements par voie basse et avant terme d’un enfant non viable, ndlr]. On déclenchait les accouchements alors que l’utérus n’était pas encore à terme. Comme on faisait peu de péridurales à l’époque, les femmes souffraient terriblement… Et on ne leur proposait pas de voir leur bébé. Assister à cette souffrance était insupportable. Puis, quand je me suis installée en cabinet, j’ai mesuré combien l’examen gynécologique posait un grave problème de fond. Mon geste est nécessairement intrusif, j’ai essayé de le rendre acceptable, de faire en sorte que mes patientes soient partenaires de la consultation. Je cherchais à les mettre à l’aise. Je les invitais à se dénuder seulement à moitié. Je leur parlais pendant les frottis. Nous sommes des soignants. Notre volonté, c’est le soin. Mais il arrive qu’il fasse mal, et parfois même qu’il soit vécu comme un viol.

Ce ressenti est-il très partagé ?
Un nombre très important de femmes se ferment complètement pendant l’examen : elles font une contraction réflexe de leur périnée. Ça doit nous alerter et nous conduire à leur poser des questions. Et alors on découvre l’immensité des violences commises sur les femmes. Elles sont tellement nombreuses à être concernées ! Or les abus, l’inceste, modifient les réactions du corps. Nous, gynécologues, sommes aux premières loges. Si nous n’y sommes pas formés, nous passons à côté. Il faut sortir du déni sociétal. Nous devons reconnaître le caractère genré, sexiste et systémique des violences faites aux femmes.

Comment s’articule le diplôme interuniversitaire que vous avez créé ?
On commence par beaucoup contextualiser : on donne les chiffres, ça aide à la prise de conscience. On travaille sur la posture : celle du soignant, celle de la patiente. On amène à une réflexion sur la violence non intentionnelle, on invite à une autre prise en charge, validée par les femmes. En réfléchissant aux violences du soin, qui est une anomalie du fonctionnement relationnel due à la position dominante du corps médical, on rétablit la confiance. L’idée n’est surtout pas de les éloigner des gynécologues : nous sommes aux avant-postes des dépistages. C’est donc à nous de savoir nous y prendre avec elles, en ayant conscience qu’elles ont peut-être connu des traumatismes qui vont rendre la consultation et nos gestes extrêmement problématiques. Tous les soignants du corps doivent être formés à cela.

Débat animé par Flavie Flament à 22h00 sur Téva, après la diffusion du documentaire Écartez les jambes : enquête sur les violences gynécologiques.

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