Les grandes entreprises continuent d'alimenter leurs actionnaires, au point de s'endetter ! En moyenne, elles leur versent 71% de leurs bénéfices, au détriment de leurs salariés. Pour rééquilibrer la situation, une nouvelle loi sur le partage de la valeur vient d'être votée à l'Assemblée nationale. Problème : elle cible principalement les petites entreprises et manque ainsi sa cible.

Comment réorienter une partie des bénéfices des entreprises vers les salariés ? C’est la problématique à laquelle s’attaque la loi sur le partage de la valeur présentée par le gouvernement au mois de mai 2023 et  adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. Pour le gouvernement, cette loi doit permettre de redonner du pouvoir d’achat aux Français en période de forte inflation, et de réduire les inégalités sociales.
Participation, intéressement, prime sur la valeur ajoutée… le texte veut élargir l’accès à ces dispositifs de partage des bénéfices à un plus grand nombre de salariés, en ciblant notamment ceux des petites entreprises. L’une des principales mesures du texte prévoit ainsi une obligation pour les entreprises de 11 à 49 salariés d’instaurer un dispositif de partage de la valeur lorsque leurs profits dépassent 1% de leur chiffre d’affaires pendant au moins trois ans. Ces dispositifs sont obligatoires pour l’instant pour les entreprises de plus de 50 salariés. Même chose pour la "prime Macron", le projet de loi prévoit de prolonger son exonération de cotisations sociales et fiscales pour les PME-TPE. Côté grand groupe, y figure simplement l’obligation d’une négociation avec les partenaires sociaux en cas de superprofits. Côté salaire, la loi instaure une obligation de renégocier certaines grilles salariales trop anciennes.

Forte augmentation de la valeur actionnariale


Mais la cible est manquée, critique Oxfam. "Au niveau national, la part du travail dans le partage de la valeur reste assez stable autour de 60%, explique Léa Guérin, chargée de plaidoyer régulation des multinationales chez Oxfam. Mais il y a des disparités. Dans les grandes capitalisations boursières, la part du travail est plus faible et variable." Le rapport d’Oxfam de juin 2023 sur les 100 plus grandes entreprises cotées françaises montre que les dépenses de ces entreprises en faveur des salariés ont augmenté de 22% entre 2011 et 2021, tandis que les versements aux actionnaires, sous forme de dividendes ou de rachat d’actions, progressaient de 57% sur la même période. "Le partage de la valeur se fait de plus en plus en faveur des actionnaires et au détriment des salariés", constate Léa Guérin.
Certains grands groupes n’hésitent pas à s’endetter pour rémunérer leurs actionnaires et s’assurer de leur fidélité. En moyenne, les 100 grandes entreprises ont versé 71% de leurs bénéfices sur ces dix années (65% pour le seul CAC40), certaines alors même qu’elles engrangeaient des pertes. Engie, Vallourec et Eramet ont ainsi accumulé des pertes importantes sur cette période, tout en continuant de verser des dividendes à leurs actionnaires.

Le salaire, principale outil de redistribution


Les petites entreprises, notamment celles n’étant pas cotées en Bourse, présentent un profil très différent. Dans une audition préalable à la loi au Sénat, Sophie Piton, économiste à la Banque d’Angleterre, rappelle que les entreprises de moins de 50 salariés représentent une grande partie du tissu entrepreneurial français, mais seulement un tiers de la masse salariale et un quart de la valeur ajoutée. "Les petites entreprises ont une part de rémunération du travail plus importante que les grandes entreprises et donc, mécaniquement, moins de profits à redistribuer", souligne-t-elle.
Pour l’économiste, le salaire demeure donc le principal facteur de redistribution, les dispositifs de partage des bénéfices pour les salariés ne représentant qu’environ 5% de la rémunération totale du travail actuellement. "La question posée par la loi est bonne mais n’est pas prise sous le bon angle, estime ainsi Léa Guérin. Elle se cantonne au partage des bénéfices, alors que le partage de la valeur est beaucoup plus large et commence avec le salaire." L’ONG milite au contraire pour mieux encadrer les distributions de dividendes, en y ajoutant notamment des critères environnementaux et sociaux.
Arnaud Dumas

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