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"Tabassés comme des animaux", des Subsahariens coincés dans un no man’s land entre Tunisie et Libye

Des centaines de migrants subsahariens, dont des femmes et des enfants, ont été chassés de la ville tunisienne de Sfax, secouée par des violences depuis la mort d’un Tunisien dans une rixe, dans la soirée du lundi 3 juillet. Un Ivoirien affirme qu’ils seraient plus de 300 coincés dans une zone tampon entre la Tunisie et la Libye, dans des conditions humanitaires dramatiques.

Captures d'écran de vidéos transmises par un migrant subsaharien depuis un no man's land situé à la frontière entre la Tunisie et la Libye.
Captures d'écran de vidéos transmises par un migrant subsaharien depuis un no man's land situé à la frontière entre la Tunisie et la Libye. © Adama (pseudonyme)
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Joint par WhatsApp, un ressortissant ivoirien, Adama (pseudonyme), a indiqué avoir été conduit par les forces de sécurité tunisiennes à la frontière parmi un groupe d’une vingtaine de personnes, dans la nuit de dimanche 2 juillet, soit un jour avant le début des violences à Sfax, qui ont débouché sur une vague d’arrestation de migrants.

Depuis, plusieurs autres groupes de migrants ont été débarqués dans ce même no man’s landentre la Tunisie et la Libye.

 

La géolocalisation transmise jeudi 6 juillet à la rédaction des Observateurs de France 24 montre un point situé à la frontière entre les deux pays, sur la côte, non loin du poste-frontière de Ras Jdir.

"J’ai informé des agences de l’ONU mais les autorités tunisiennes ne leur ont pas encore permis d’accéder au groupe de migrants"

Lauren Seibert, chercheuse pour l’ONG Human Rights Watch, alertait déjà sur leur situation lundi 3 juillet, sur Twitter. Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, elle explique :

J’ai discuté avec certains d’entre eux et ils m’ont expliqué que les forces de sécurité les ont frappés et qu’ils avaient aussi cassé leurs téléphones. Parmi eux, il y a des femmes enceintes et des enfants. J’ai pu vérifier l’identité de deux migrants, qui sont enregistrés comme demandeurs d’asile auprès de l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). J’ai informé des agences de l’ONU mais les autorités tunisiennes ne leur ont pas encore permis d’accéder au groupe de migrants.

Une migrante montre son passeport, dont elle affirme qu'il a été déchiré par les forces de sécurité tunisiennes.
Une migrante montre son passeport, dont elle affirme qu'il a été déchiré par les forces de sécurité tunisiennes. © Capture d'écran d'une vidéo transmise par Adama (pseudonyme).

"Certains boivent de l’eau de mer"

Adama, qui résidait à Tunis mais était de passage à Sfax lors de son arrestation dans la nuit du 2 juillet, décrit une situation qui ne cesse de se dégrader, ponctuée de tensions avec les gardes-frontières tunisiens et libyens qui les empêchent d’accéder à leurs territoires respectifs.

Nous sommes toujours à la frontière, au moins 300 personnes. La Garde nationale [gendarmerie] nous a arrêtés dans différentes localités, à Sfax, mais aussi dans les petits villages près de Tunis.

 

 

"Ils nous ont juste laissé ici, en bordure de mer. Sans eau, sans nourriture" indique Adama (pseudonyme).

 

Ils ne nous ont donné aucune explication, ils nous ont juste laissés ici, en bordure de mer.  Sans eau, sans nourriture. Certains boivent de l’eau de mer.

Je suis ivoirien mais il y a plusieurs autres nationalités : des Camerounais, des Sénégalais, des Tchadiens, des Togolais, des Béninois, des Guinéens, des Maliens. 

Des enfants ont commencé à tomber malades, de déshydratation. Il y a de nombreux blessés, et on n’a pas de médicaments, car les éléments de la Garde nationale nous ont tabassés avec des matraques comme si nous étions des animaux [notre Observateur nous a transmis plusieurs photos d’hommes blessés au niveau de la tête, des bras, des jambes et des pieds, NDLR].

Capture d'écran d'une vidéo montrant un groupe de femmes agitant des bouteilles d'eau vides, jeudi 6 juillet.
Capture d'écran d'une vidéo montrant un groupe de femmes agitant des bouteilles d'eau vides, jeudi 6 juillet. © Vidéo transmise par Adama (pseudonyme).
Capture d'écran montrant une fille en train de boire de l'eau de mer, jeudi 6 juillet.
Capture d'écran montrant une fille en train de boire de l'eau de mer, jeudi 6 juillet. © Vidéo transmise par Adama (pseudonyme).

Nous avons tenté à plusieurs reprises de retourner côté tunisien, ne serait-ce que pour acheter un peu de nourriture, mais les militaires nous en ont empêchés, ils nous ont jeté des pierres. À un moment, un homme en civil a même tenté de nous chasser avec un bâton.

Capture d'écran d'une vidéo montrant un Tunisien en civil venu d'un poste militaire tunisien pour tenter de chasser un groupe de migrants, armé d'un bâton, jeudi 6 juillet.
Capture d'écran d'une vidéo montrant un Tunisien en civil venu d'un poste militaire tunisien pour tenter de chasser un groupe de migrants, armé d'un bâton, jeudi 6 juillet. © Vidéo transmise par Adama (pseudonyme)

Nous avons essayé de passer côté libyen aussi, mais des gardes nous ont sommé de reculer. Ils ont même brûlé nos tentes [des abris de fortune fabriqués avec des draps, NDLR]. C’est de plus en plus tendu. Nous avons demandé de l’eau aux Libyens, en vain.

Hier mercredi, une ONG a essayé d’accéder au lieu où nous sommes, mais les militaires tunisiens lui ont refusé l’accès. Une journaliste espagnole a aussi essayé de venir nous voir, mais ils ne l’ont pas laissée passer. Ils nous ont jetés dans cette zone pour qu’on ne puisse pas avoir accès à l’extérieur. S’il vous plaît, aidez-nous !

Adama affirme en outre qu’au moins trois personnes sont décédées, des suites de leurs blessures. Nous ne sommes pas en mesure de confirmer cette information.

Vidéo montrant un homme en civil à proximité d'un poste militaire tunisien chasser un groupe de migrants. Vidéo transmise par Adama (pseudonyme).

La situation des migrants subsahariens s’est détériorée ces derniers mois en Tunisie, avec l’émergence d’un discours antimigrants très virulent, notamment relayé par le président, Kaïs Saïed, qui avait repris une théorie portée notamment par le Parti nationaliste tunisien, une microformation accusant cette population de fomenter un complot pour "remplacer" la population tunisienne. Le 21 février 2023, Kaïs Saïed avait ainsi appelé à expulser des "hordes de migrants clandestins", dénonçant un "plan criminel" visant à "modifier la composition démographique" du pays.

Un député tunisien, Moez Barkallah, a affirmé mercredi à l'agence Tunis Afrique Presse (TAP) que 1 200 migrants subsahariens avaient été expulsés, depuis le 28 juin, via Sfax, vers les régions frontalières en Libye et en Algérie.

Avec l’arrivée de l’été, les migrants sont plus nombreux à se rendre dans la région de Sfax, où ils attendent de pouvoir prendre place à bord d’une embarcation vers l’Europe, notamment l’île italienne de Lampedusa, qui est proche.

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