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Zohra Bitan : "Vivre dans un quartier populaire, ne signifie ni être incapable, ni être condamné !"
NICOLAS MESSYASZ POUR LE /SIPA

Zohra Bitan : "Vivre dans un quartier populaire, ne signifie ni être incapable, ni être condamné !"

Tribune

Par Zohra Bitan

Publié le

Fondatrice de Campus Marianne, ainsi que du programme « Scier les barreaux de sa tête », et chroniqueuse dans l'émission « Les Grandes Gueules », sur RMC, Zohra Bitan s'adresse aux habitants des quartiers populaires, afin de les exhorter à choisir la voie de l'émancipation et de refuser la récupération de certains responsables de gauche.

Mes chers compatriotes des quartiers populaires,

L’actualité vous a mis une fois de plus sur le devant de la scène politico-médiatique ; il faut dire que les évènements n’y sont pas pour rien. Entre la mort du jeune Nahel et les émeutes qui ont suivi, difficile de ne pas prendre part à ce sujet qui suscite autant de tartufferie intellectuelle que de haine insupportable.

Une gauche hypocrite

C’est dans cet esprit, que j’ose vous confier mes recommandations, celle d’un vécu, d’une expérience très longue, dense et multiple. Et surtout parce que vous comptez pour moi comme si je me sentais le devoir de tout faire pour que vous ne soyez ni méprisés par les adeptes du déni, ni haïs par des artificiers aux mensonges totalement fantasmés ! Débarrassez-vous de tous ces gens qui se servent de vos vies, de vos conditions de vie, pour en faire un commerce politique. Ils ont fait école en formant leurs semblables, ces privilégiés à qui ils transmettent notre histoire, celle de l’opprimé de service, noir ou arabe, qu’il faut sauver et protéger, avec à la clef des juteux postes politiques !

« Cette gauche-là ne vous aime pas. »

Souvenez-vous de la vitesse avec laquelle, par exemple, une branche de cette gauche a limogé Taha Bouhafs (que je n’apprécie guère pour autant), le jeune « arabe », comme ont pu le dire Mathilde Panot et David Guiraud, à propos de Nahel… Souvenez-vous avec quelle ferveur et quel acharnement ils ont défendu l’un d’entre eux pourtant coupable… mais il est de leurs rangs me direz-vous, bien mâle et bien blanc.

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Cette gauche-là, plurielle et aux multiples branches et facettes, je l’ai vue à l’œuvre, sur les estrades et dans les coulisses, dans des costards d’élus et de cadres… Cette gauche-là ne vous aime pas, elle ne nous aime pas, tout comme elle n’a jamais aimé mes parents, qui pourtant étaient convaincus qu’elle seule les rendrait libres.

Des solutions qui enferment

Chers compatriotes des quartiers populaires, fuyez ceux qui ne vous proposent de vous épanouir que dans votre quartier, entre l’école et la cage d’escalier… Chers compatriotes des quartiers populaires, fuyez ceux qui vous racontent qu’ils sont le rempart contre le racisme, alors qu’ils ne sont que les créateurs de ce fameux SOS, qui n’a fait qu’entretenir un racisme dont les multiples branches sont aujourd’hui toutes aussi insupportables les unes que les autres ! Chers compatriotes des quartiers populaires, fuyez ces gens dont le mode d’emploi pour vos vies n’est que celui du chemin à parcourir entre votre cité et l’isoloir pour aller voter.

« Ne croyez plus en ces escrocs au chevet de vos origines et de votre couleur. »

Chers compatriotes des quartiers populaires, empêchez de nuire ces artisans du vivre ensemble, qui s’organisent pour ne jamais vivre parmi vous, ni dans vos écoles, ni dans vos supermarchés, ni dans les RER que vous empruntez ou sur les marchés que vous fréquentez. Chers compatriotes, refusez ceux qui bâtissent des fausses solutions de proximité pour que jamais vous n’ayez besoin de sortir de votre quartier. Chers compatriotes, refusez ceux qui veulent que vous soyez mieux payés dans vos vies professionnelles, mais qui n’œuvrent jamais pour que vous soyez autre chose qu’un employé ! Chers compatriotes, ne croyez plus en ces escrocs au chevet de vos origines et de votre couleur, qui dans les salons, lèvent leurs verres à leurs succès lors de chaque élection…

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Chers compatriotes, si vous saviez comment je les ai vus être contraints de nous discriminer positivement, car pris la main dans le sac d’un entre-soi bien blanc ! Chers compatriotes, si vous saviez comment ces gens, pour qui les Lumières font partie de leur ADN n’ont jamais daigné nous offrir la moindre lueur pour nous éclairer.

Aimez la France !

Mes chers compatriotes, si vous réalisiez à quel point l’origine, la couleur, ou le quartier n’étaient pas les éléments de la fatalité au début de l’histoire de vos parents, ou de vos grands-parents… Chers compatriotes, si vous saviez combien ils ont œuvré pour nous cacher tout ce qui pouvait nous permettre de rejoindre la communauté nationale, en nous racontant qu’être français, ça pouvait se faire sans drapeau et sans patrie, sans combat et sans récit, autres que ceux du pays de nos parents ou grands parents ! Chers compatriotes, si vous réalisiez avec quelle détermination ils ont empêché nos identités de se tisser pour faire le ciment du peuple de France, et que l’on aurait pu regarder aujourd’hui comme un patchwork métissé tel un paysage apaisant et de paix !

« Dites-leur que vous n’avez aucun problème avec la Marseillaise et le drapeau français. »

Mes chers Compatriotes des quartiers populaires, dites-leur que vous voulez être libérés de votre condition sociale et réussir. Dites-leur que vous ne voulez plus vivre dans ces quartiers où une minorité vient entretenir et enrichir les fléaux qui vous frappent déjà de plein fouet. Dites-leur que vous rêvez d’écoles privées pour vos enfants car la République vous a abandonné. Dites-leur que vous aimez la France, votre pays et les Français, vos compatriotes. Dites-leur que vous n’avez aucun problème avec la Marseillaise et le drapeau français.

Dites-leur que votre couleur et vos origines sont une fierté que vous êtes capables de porter sans ces porte-paroles qui en usent pour les ériger comme des maux, sans que vous ne l’ayez demandé. Dites-leur que vous saurez faire bonne usage des Lumières et de la Liberté sans que quiconque ne puisse rédiger un avenant spécialement conçu pour vous, des fois que vous seriez incapables de comprendre ces valeurs et progrès.

Préférer l'émancipation

Dites-leur que vous saurez fabriquer vous-mêmes toutes les antidotes nécessaires contre ce racisme qui s’enflamme au fur et à mesure qu’ils l’exploitent en prétendant vous en protéger ! Dites-leur que vous rêvez de manifestations où vos enfants côtoieraient ceux des beaux quartiers, quand l’éducation déraille, quand la république défaille, quand la culture s’éloigne, quand le travail ne paye plus dignement, quand la planète gronde, quand le climat menace, quand le logement devient un luxe.

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Dites-leur que vous saurez fréquenter les opéras, les médiathèques et les bibliothèques. Dites le leur pour les empêcher de vous proposer une culture excluante, car limitée à votre condition de classe populaire des quartiers… Dites-leur que vous saurez porter vous-même vos idées dans les urnes en prenant soin que celles-ci correspondent à vos ambitions, et pas à celles qui arrangent les geôliers de votre condition ! Dites-leur que vous préférerez désormais le difficile chemin de l’émancipation de votre condition et de la réussite là où vous l’aurez décidé. Dites-leur que vous avez compris qu’avec chaque barreau du fatalisme et du misérabilisme qu’ils plantent dans votre tête, c’est votre avenir qu’ils enferment et compromettent.

Chers compatriotes, il est temps de quitter enfin ce couple diabolique que cette gauche vous a contraintss de former avec elle… Chers Compatriotes, dites-vous que si l’histoire des banlieues dure depuis tant d’années, c’est parce qu’une partie de ceux qui se déclarent en être les défenseurs patentés organisent tout ce qu’il faut pour en garder la propriété, dans les conditions que vous connaissez. Chers compatriotes, n’oubliez jamais qu’être arabe ou noir, vivre dans un quartier populaire, ne signifie ni être incapable, ni être condamné !

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne