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Animaux

À Nevers, le maire préfère ses feux d’artifice à la protection des oiseaux

Les feux d’artifice désorientent et font fuir les oiseaux (photo d'illustration).

Malgré la pression de la LPO, le maire de Nevers refuse de déplacer son spectacle pyrotechnique. L’an dernier, une grande partie des sternes avaient abandonné leur progéniture.

« Non, je n’annulerai pas et je ne déplacerai pas le feu d’artifice. » Les courriers, les recours juridiques, la médiatisation de l’affaire… Rien n’aura fait changer d’avis le maire de Nevers, Denis Thuriot. Le 14 juillet au soir, le feu d’artifice de la cité nivernaise sera bien tiré depuis le pont de Loire, à quelques mètres au-dessus de l’île aux sternes. « C’est complètement aberrant ! » dit Johann Pitois, délégué général territorial de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Bourgogne-Franche-Comté, qui ne décolère pas. Actuellement, la plus grande colonie de la Nièvre niche sur ce site, à savoir quarante couples de sternes pierregarins et douze de sternes naines. Combien en restera-t-il le 15 juillet au matin ?

Œufs et poussins abandonnés

L’an dernier, au lendemain des festivités, la LPO locale avait constaté une perte de 25 % des effectifs pour les pierregarins et de 50 % pour les naines. Une partie de ces hirondelles de mer a fui cette nuit-là et n’est jamais revenue, abandonnant œufs et poussins aux prédateurs et à l’hypothermie. « À l’époque, on imaginait que le maire avait compris et changerait ses plans pour 2023 ; on n’avait pas porté plainte. On s’est fait rouler dans la farine », regrette Johann Pitois, amer.

Depuis le 16 mai dernier et l’annonce du maintien du feu à proximité de la colonie, la LPO n’a pas ménagé ses efforts pour convaincre Denis Thuriot de revenir en arrière. En vain. « Nous avons pris un certain nombre de mesures correctives », se défend le maire auprès de Reporterre. Contrairement à 2022, il n’y aura ni lasers qui balaieront l’île, ni feux de Bengale qui retomberont dans la Loire et sur l’île. Et le feu sera déplacé de plusieurs mètres. L’édile insiste aussi sur le fait que tout le périmètre sera interdit au public. L’île sera ainsi protégée de toute intrusion.

« Des mesurettes », estime Johann Pitois, qui plaide pour la seule alternative envisageable : le déplacement du spectacle à 800 mètres « minimum » de la colonie. « Le maire a aussi promis que le feu ne serait pas tiré en direction des sternes. C’est une bonne nouvelle, le feu d’artifice sera tiré à la verticale ! » ironise l’ornithologue.

Une perte de 25 % des effectifs de sternes pierregarins a été constatée par la LPO après le 14 juillet 2022. Pixabay/CC/Georg_Wietschorke

Pour le maire, les crues et les faucons pèlerins sont plus dangereux

Le bruit des pétards et les lumières en pleine nuit risquent non seulement de faire fuir les adultes qui couvent encore, mais aussi d’inciter les poussins, encore totalement dépendants de leurs parents, à sauter à l’eau. « Quant aux jeunes volants, encore inexpérimentés, on peut craindre le pire. Dans l’affolement, certains oiseaux peuvent percuter les ouvrages », ajoute le délégué de la LPO.

Denis Thuriot conteste pour sa part les chiffres des pertes de 2022 : « Les oiseaux sont en grande majorité revenus. Le danger le plus important pour les sternes, ce sont les crues et les faucons pèlerins plus qu’un feu d’artifice de dix-neuf minutes, avance le maire. C’est ce que m’a dit une autre association naturaliste. »

Seulement douze couples de sternes naines nichent sur ce site. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/JJ Harrison

Dans un communiqué national, la LPO rappelle que l’île aux sternes bénéficie d’un arrêté préfectoral de protection de biotope (APPB) depuis 2005. Or, ce texte interdit tout dérangement des sternes pendant leur période de reproduction, du 1er avril au 31 août. D’autres oiseaux protégés, comme le chevalier guignette, la bergeronnette grise et le petit gravelot, nichent aussi à cet endroit. Autant d’éléments qui rendent la décision de la Ville incompréhensible pour la LPO.

« Ces espèces pourraient disparaître du Val de Loire »

La LPO a saisi le tribunal administratif de Dijon en référé, mais ce dernier l’a déboutée, faute de document d’autorisation pour ce type d’évènement. Du côté de la préfecture et de la direction départementale des territoires (DDT), « tout le monde fait l’autruche », fustige Johann Pitois. Et ignore la mobilisation de nombreux citoyennes et citoyens via une pétition en ligne.

« Pour l’heure, je ne suis pas en infraction, rappelle Denis Thuriot. Je suis le maire des sternes, mais je suis aussi le maire des habitantes et habitants. Ce feu d’artifice est un formidable succès. L’an dernier, il a attiré 40 000 personnes. Jamais nous n’avons autant de monde à Nevers. » Sa priorité : relancer une ville en difficulté et remettre en valeur la Loire. 

D’autres villes ont déjà annulé leur spectacle

Nevers n’est pas la seule ville en bord de rivière à héberger des sternes sur ses bancs de sable. Mais Tours (Indre-et-Loire), comme Loireauxence (Loire-Atlantique) ou encore Moulins (Allier) ont su composer avec ces oiseaux marins ces dernières années, en annulant ou déplaçant leur feu d’artifice.

Dans la Nièvre, la LPO n’a désormais plus d’autres choix que d’attendre... et de constater les dégâts a posteriori. Elle a prévu de procéder au comptage des oiseaux avant et après le 14 juillet, accompagnée de l’Office français de la biodiversité (OFB). Elle pourra alors envisager une plainte. Johann Pitois rappelle à quel point les sternes sont fragiles. En 2019, on comptait 158 couples nicheurs sur l’île neversoise. Désormais, il y en a moins de 50. Crues de printemps tardives, orages violents, morts inexpliquées d’adultes... ont décimé la colonie ces dernières années. « En cas d’échecs répétés de reproduction, ces espèces pourraient disparaître progressivement du Val de Loire », prévient la Ligue.

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