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Vidéo : la "chasse" aux Haïtiens se poursuit en République dominicaine

Une mère haïtienne qui s’agrippe à son enfant, à travers les grilles d’un camion du service des migrations : cette scène a été filmée début juin à Saint-Domingue, en République dominicaine. Le directeur des migrations a ensuite ordonné le renvoi d’un agent visible dans la vidéo. Selon plusieurs associations, les personnes originaires d’Haïti sont régulièrement victimes de mauvais traitements lorsqu'elles sont arrêtées, et les détentions souvent arbitraires. Plusieurs milliers d'entre elles sont renvoyées en Haïti chaque mois, alors que l’ONU s’oppose à ces retours forcés.

Capture d'écran d'une vidéo tournée début juin à Saint-Domingue, en République dominicaine. On y voit un enfant suspendu aux bras de sa mère, à travers les grilles d’un camion du service des migrations.
Capture d'écran d'une vidéo tournée début juin à Saint-Domingue, en République dominicaine. On y voit un enfant suspendu aux bras de sa mère, à travers les grilles d’un camion du service des migrations. © Compte Twitter "Cañeros Organizados".
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Début juin, des vidéos prises à Saint-Domingue, la capitale de la République dominicaine, ont circulé sur Twitter : on y voit un enfant suspendu aux bras de sa mère, à travers les grilles d’un camion du service des migrations, sous les yeux d’un agent de cette institution. Le véhicule a ensuite démarré.

Vidéo tournée à Saint-Domingue, en République dominicaine, début juin.

Sur les réseaux sociaux, certains ont jugé qu’il s’agissait d’un "cas isolé". D’autres ont fait des commentaires racistes concernant la présence haïtienne en République dominicaine. Mais de nombreux internautes ont également été choqués par la scène.

Vidéo de la même scène tournée à Saint-Domingue, en République dominicaine, début juin.

Face aux critiques, la Direction générale des migrations a indiqué que l’agent visible dans la vidéo avait été renvoyé, soulignant un "manque de tact" et un "comportement arbitraire" de sa part.

Contactée par notre rédaction, elle a également assuré que l’enfant avait été remis à sa mère "à moins de 23 mètres du lieu où la vidéo avait été prise", et que la femme, "en situation illégale", n’avait pas été déportée en Haïti, "pour des raisons humanitaires".

"Toute l’équipe aurait dû être sanctionnée"

Manuel Maria Mercedes, de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH-RD), une ONG dominicaine, estime que le renvoi d’un agent des migrations est insuffisant.

Cette décision a été prise pour faire bonne impression, dans le pays et à l’international, car la scène a choqué. Mais cet agent n’était pas seul : toute l’équipe avec lui aurait dû être sanctionnée. De plus, d’après nos informations, cette femme et son enfant auraient été renvoyés en Haïti.

Des milliers d’Haïtiens expulsés chaque mois, contre l’avis de l’ONU

Environ un demi-million d’Haïtiens vivent en République dominicaine, dont la majorité en situation irrégulière. Plusieurs milliers sont expulsés chaque mois. Du 12 au 19 juin, par exemple, 4 973 Haïtiens ont été renvoyés. L’ONU appelle pourtant régulièrement le pays à cesser ces retours forcés, en raison de la crise sécuritaire, humanitaire, politique et économique en Haïti (retrouvez notre enquête "Haïti : dans l'enfer des gangs" ci-dessous).

"Haïti : dans l'enfer des gangs", une enquête de la rédaction des Observateurs de France 24.
"Haïti : dans l'enfer des gangs", une enquête de la rédaction des Observateurs de France 24. © Observateurs

 

Autre problème : les arrestations en République dominicaine sont souvent arbitraires – puisqu’elles ne touchent pas uniquement des personnes en situation irrégulière – et les mauvais traitements fréquents, comme le dénonce notamment la CNDH-RD.

"Parfois, les gens sont arrêtés uniquement car ils ont la peau noire"

Quand les agents des migrations arrivent à un endroit où vivent des Haïtiens, ils se mettent à l’angle d’une rue et arrêtent tous ceux qui passent par là, quel que soit leur statut, parfois uniquement car ils ont la peau noire. Ensuite, ils les emmènent dans des centres, et ils sont déportés à partir de là. Il arrive qu’ils arrêtent des mères, sans leur donner le temps de chercher leurs enfants. Plus de 500 enfants se sont retrouvés seuls en République dominicaine à cause de cela.

En matière de déportations, le gouvernement a lancé une chasse aux sorcières, sans tenir compte des accords internationaux, de la Constitution et de la loi sur la migration. Nous ne sommes pas opposés aux déportations, mais elles doivent se faire dans le respect de l’État de droit.

@imigranhaitienenrd

malgre dam nan endispoze neg pa bal regle anyen pou yo nn kettt mesye Dirijan yo di on bgy pou peyi a nn mesye 🥺🥺🤦‍♂️🤦‍♂️

♬ son original - IMIGRAN HAITI RD
Autre vidéo montrant une femme - qui semble évanouie - être mise dans un camion du service des migrations.

"Cette situation s’explique notamment par l’existence d'un discours antihaïtien en République dominicaine"

Edwin Paraison, directeur exécutif de la Fondation Zile, une autre organisation dominicaine, tient un discours semblable.

Récemment, on a vu un homme être malmené et jeté dans un fourgon [voir vidéo ci-dessous, NDLR] : a priori, c’était juste un touriste. [Notre rédaction n’a pas pu vérifier cette information de source indépendante, NDLR.]

@rodelin270 #haitiantiktok #flips #work #africa ♬ sonido original - Rodelin
Vidéo tournée à Saint-Domingue, en République dominicaine, montrant un homme malmené par des policiers dominicains. Il leur demande de vérifier son passeport à plusieurs reprises.

Il arrive fréquemment que des Haïtiens résidant au Canada ou aux États-Unis soient arrêtés lorsqu’ils viennent en République dominicaine en tant que touristes. En effet, beaucoup ne se rendent plus en Haïti à cause de la crise, et voyagent en République dominicaine pour voir leurs proches restés vivre en Haïti. Fin 2022, l’ambassade américaine a même publié une alerte destinée aux citoyens afro-américains, concernant ces arrestations basées sur la couleur de peau.

En 2021, il y avait aussi eu un scandale concernant des femmes haïtiennes enceintes arrêtées dans des hôpitaux pour être expulsées.

Communiqué de l’ambassade d’Haïti en République dominicaine en 2021, concernant les femmes enceintes renvoyées en Haïti.

Depuis plus d’un an, les policiers et les militaires sont aussi impliqués dans les opérations migratoires. C’est problématique car ils ne sont pas formés à ces questions... Outre les bousculades et les bastonnades injustifiées, des Haïtiens nous ont rapporté des vols – d’argent ou de téléphones portables – commis par des militaires qui étaient entrés chez eux.

@imigranhaitienenrd

men kijan yap mal trete yon haitien nan imigrasyon yo padan yo pral voyel nan peyi'l ui mesye ohhhh

♬ son original - IMIGRAN HAITI RD
Un homme noir bastonné en présence de militaires dominicains.

Autre problème : les agents des migrations réclament parfois de l’argent aux Haïtiens arrêtés pour les libérer, entre 2 000 et 2 500 pesos [entre 32 et 40 euros, NDLR], à l’intérieur des camions.

Selon moi, cette situation s’explique notamment par l’existence d'un discours antihaïtien dans le pays, chez certains politiques, alors que la main-d'œuvre haïtienne est incontournable dans l’agro-industrie, le bâtiment... Par exemple, certains pensent que les Haïtiens vont finir par être plus nombreux que les Dominicains. Ce discours a gagné du terrain ces dernières années et met le gouvernement sous pression, ce qui l’empêche de gérer la question migratoire de façon pragmatique et solidaire.

Dans le passé, la République dominicaine a déjà été sérieusement critiquée sur le plan international. Par exemple, en 1937, un massacre d’Haïtiens a été commis. [Plus de 20 000 d’entre eux ont été tués, après la décision du président dominicain d'éliminer ceux travaillant dans les plantations du pays, NDLR.] Autre exemple : en 2013, le tribunal constitutionnel a décidé de retirer la nationalité dominicaine aux personnes nées entre 1929 et 2013 de parents étrangers.

De son côté, le gouvernement dominicain estime que la politique migratoire des pays relève "de la compétence de chaque gouvernement" et qu’il ne veut pas être la "solution" au "problème haïtien".

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