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"Tout le monde ne peut pas se comporter en héros " : 15 mois avec sursis pour avoir filmé la mort en direct
Vue de la cité judiciaire de Rennes. (Image d'illustration)
Hans Lucas via AFP

"Tout le monde ne peut pas se comporter en héros " : 15 mois avec sursis pour avoir filmé la mort en direct

Récit

Par Carole André

Publié le

Trois jeunes gens comparaissaient ce mercredi 19 juillet devant le tribunal correctionnel de Rennes pour avoir filmé et diffusé sur les réseaux sociaux la vidéo d'un homme agonisant dans le métro après une agression à la machette. Parmi eux, une jeune fille de 18 ans qui avait filmé la scène avec son téléphone avant de l'envoyer à sa mère et son petit ami.

La vidéosurveillance fournie par Keolis, la société de transports rennais, est d'une clarté saisissante. On y voit un homme surgir devant les escaliers du métro en se traînant, se vidant littéralement de son sang par l'une de ses jambes, après avoir subi une agression à la machette. Le sang gicle par saccades, laissant de longues traînées écarlates sur le carrelage. Une jeune femme vêtue de noir apparaît, voit le sang, sort son téléphone et descend l'escalier. Elle y trouve en bas un homme gisant dans une mare rouge. Elle remonte immédiatement les marches et trouve des personnes à qui elle explique la situation. « Ces personnes ont prévenu les secours affirme-t-elle à l'audience. J'ai vu la fille faire le numéro de téléphone avant de prendre l'ascenseur avec un autre monsieur. »

Dans l'ascenseur qui mène aux quais, elle envoie la vidéo à sa mère et son petit ami, « par réflexe », parce qu'elle « était choquée », pour « leur montrer ce qu'elle venait de voir ». Le lendemain, la vidéo est sur Twitter et sera visionnée des milliers de fois dans les jours qui suivent, notamment par des collégiens et des lycéens. « On a du mal à comprendre que vous ayez fait une vidéo mais que vous n'ayez pas appelé les secours alors que vous aviez un téléphone dans la main », s'interroge la juge ce 19 juillet. La jeune fille était poursuivie devant le tribunal correctionnel de Rennes pour « non-assistance à personne en danger », « diffusion d'images relatives à la commission d'une atteinte volontaire à l'intégrité de la personne » et « complicité de violence ». Pour tous ces faits, la procureure réclamait 18 mois de prison avec sursis.

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« J'ai vu beaucoup de sang sur le sol et j'ai sorti mon téléphone par réflexe, tente d'expliquer la jeune femme jusque-là sans histoires, et qui travaille dans un restaurant du centre-ville. Je n'ai pas réfléchi et aujourd'hui, je m'excuse auprès de la famille de la victime. » L'enquête a montré que ce n'est pas elle qui avait publié la vidéo sur les réseaux sociaux. Son petit ami, après avoir visionné le film, l'aurait transmis « uniquement à [sa] sœur » qui l'a diffusé en story privée. « C'était pour un usage privé, explique la jeune femme de 22 ans, adepte des réseaux sociaux. Ce n'est pas moi qui l'ai diffusé en public. » Le téléphone du petit ami n'a pas été retrouvé et n'a pas pu être exploité par les enquêteurs. Pour ces faits, les deux jeunes gens, le frère et la sœur, ont été condamnés à six mois de prison avec sursis et à l'obligation d'effectuer un stage de citoyenneté.

Bouc émissaire ?

L'accusation s'est basée sur une loi de 2007 votée à la suite du phénomène de « Happy Slapping », quand des jeunes gens se filmaient dans les cours de récréation en donnant des gifles par surprise. La complicité d'agression peut alors être retenue contre les gens qui filment, en plus de ceux qui commettent l'agression. « Nous ne sommes pas du tout dans ce genre de situation déclare maître Maxime Tessier, l'avocat de la prévenue. Il est inconcevable de dire que cette femme est complice des personnes qui ont attaqué et tué la victime. » Il rappelle également que la jeune femme a fait ce qu'elle a pu dans des circonstances très choquantes. « Tout le monde ne peut pas se comporter en héros ».

Face à cette absence de réaction de la prévenue, la procureure et la partie civile rappellent le comportement exemplaire d'un SDF qui passait par là et qui a tenté de faire un garrot à la victime avec son t-shirt jusqu'à l'arrivée des secours. Maître Tatiana Abachkina, l'avocate de la famille de la victime, précise que la famille doit s'efforcer à chaque instant « de cacher cette vidéo à la mère de la victime, de son fils qu'on a filmé comme une bête de cirque ». Elle ajoute que cette vidéo fait aujourd'hui les choux gras des propagandistes d'extrême droite sur les réseaux, « qui s'en servent pour propager le racisme ».

Pour l'avocat de la prévenue, celle-ci ne peut en aucun cas « être le bouc émissaire d'un phénomène de société et du rapport que nous avons avec nos téléphones et les réseaux sociaux ». D'après lui, « si elle n'avait pas tourné cette vidéo, elle n'aurait jamais été poursuivie ». Les autres personnes présentes sur le quai n'ont d'ailleurs pas été interrogées. On voit sur la vidéosurveillance un homme enjamber la mare de sang pour prendre l'ascenseur. La prévenue affirme « ne plus dormir » depuis les faits et être « complètement dépassée » par les événements. Elle a été reconnue coupable de non-assistance à personne en danger et diffusion sur les réseaux d'images d'une agression violente mais relaxée pour la complicité d'agression. Elle est condamnée à 15 mois de prison avec sursis et à l'obligation d'effectuer un stage de citoyenneté.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne