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Animaux

Nouvelle-Calédonie : espèces menacées, les requins sont désormais tués

L’abattage de requins-tigres notamment provoque une forte crispation entre les écologistes et les autorités de Nouvelle-Calédonie.

À Nouméa, M. Macron parlera-t-il des requins ? Après plusieurs attaques, la capitale de l’archipel a en effet décidé de procéder à des « prélèvements », au grand dam des associations écologistes.

Du 24 au 26 juillet, Emmanuel Macron est en visite en Nouvelle-Calédonie. Outre l’épineuse question du statut de l’archipel d’outre-mer, il abordera aussi le changement climatique, la montée des eaux et l’érosion du littoral. Un autre sujet écolo pourrait s’inviter au programme : l’abattage de requins-tigres et bouledogues qui provoque une forte crispation entre les autorités locales et les associations écologistes.

Se déroule jusqu’au 26 juillet la quatrième opération de « prélèvements » de l’année dans le lagon — cinq autres sont encore prévues d’ici fin 2023. En juillet, douze requins ont ainsi été tués dont trois requins tigres et neuf requins bouledogues ; au total, plus de 200 animaux ont été abattus depuis le début de l’année.

Ces captures et abattages font suite à trois attaques de squales, dont deux mortelles, survenues à Nouméa depuis janvier. La mairie a pris deux autres mesures : l’interdiction de la baignade depuis le 20 mars sur toutes les plages de la commune — sauf dans une seule zone surveillée — et dans la bande littorale des 300 mètres. Une disposition qui s’appliquera au moins jusqu’au 30 novembre prochain. Enfin, la municipalité a décidé d’installer dans l’année des filets antirequins sur certaines plages.

Baignade interdite

Ces dispositions suscitent de fortes critiques sur place. Les commerçants craignent que l’interdiction de la baignade ait un impact sur l’économie et le tourisme ; certains citoyens dénoncent une atteinte aux libertés individuelles. Le premier arrêté municipal qui interdisait la baignade jusqu’à la fin de l’année a d’ailleurs été retoqué par le tribunal administratif, qui l’a jugé disproportionné. Enfin, les écologistes alertent sur les conséquences dommageables des filets antirequins : ils pourraient empêcher certaines espèces essentielles à l’équilibre du massif corallien de passer, ou bien les emprisonner et les tuer.

Des solutions non létales existent, explique une association à Nouméa. Wikimedia Commons/CC0 1.0/Monofruit

Quant à l’abattage, il est encore plus vivement décrié. « Une tuerie de masse est en cours dans les eaux nouméennes », dénonce Martine Cornaille, présidente de Ensemble pour la planète.

« Des solutions efficaces et non létales visant à améliorer la sécurité des usagers de la mer existent, il faut les mettre en œuvre », insiste-t-elle. Surveillance par drones, équipements à impulsion électrique. Alors que les premières attaques ont eu lieu il y a quatre ans, elle regrette le manque d’études et de moyens de surveillance technologiques et humains. « Même la surpopulation alléguée n’est pas démontrée par le moindre comptage ! Les requins sont donc les victimes expiatoires de l’impéritie des pouvoirs publics. Ce n’est pas acceptable ! »

Sonia Lagarde, la maire de Nouméa, défend sa politique. « Les campagnes de pêche sont faites pour protéger, que cela plaise ou non. Qu’on soit d’accord ou non, cela s’est fait partout ailleurs. En Australie, ils ont pêché 2 000 requins. Cela se fait au Brésil, à La Réunion, etc. », a-t-elle répondu à ses détracteurs lors d’un conseil municipal, le 8 juin dernier, comme le rapporte Actu.nc.

Le requin bientôt vendu pour sa viande ou ses ailerons ?

Encore plus choquant pour les défenseurs des squales, la Province Sud, qui procède elle aussi à des captures, envisage de créer « une filière de valorisation », c’est-à-dire autoriser la commercialisation sous diverses formes (consommation de viande, exportations d’ailerons et d’huile de foie…) des requins capturés, selon La 1re Francetvinfo.

« Comment en l’espace de trois ans notre politique environnementale a-t-elle pu passer de “protection intégrale des requins” à “réouverture du commerce de requins” en Nouvelle-Calédonie ? », s’interroge Sea Shepherd Nouvelle-Calédonie. La Province Sud a en effet retiré les requins-tigres et bouledogues de la liste des espèces protégées le 26 octobre 2021, et ce malgré les avis négatifs du Comité pour la protection de l’environnement et du Conseil scientifique provincial du patrimoine naturel. Le Sénat coutumier s’y opposait également, les requins étant un totem de plusieurs clans dans la culture kanak et océanienne.

Les requins-bouledogues (photo) et les requins-tigres ne sont plus classés parmi les espèces protégées depuis 2021. Wikimedia Commons/CC BY-SA 2.0/Sylke Rohrlach

Cet abattage est-il réellement efficace ? L’ONG s’inquiète des dommages collatéraux : « Marteaux, citrons, gris, pointes noires, nourrices. […] 40 % des requins pêchés depuis début 2023 sont accessoires et non ciblés par les dispositifs. » En clair : les tigres et les bouledogues sont loin d’être les seules victimes.

Des requins attirés par les rejets d’activités humaines ?

Pour de nombreux spécialistes, il faudrait surtout s’attaquer au déversement dans la mer de déchets organiques. Ceux-ci pourraient attirer les requins dans des zones côtières qu’ils ne fréquentaient pas auparavant. C’est une hypothèse avancée par une équipe de scientifiques dans une étude publiée le 10 février 2022. Claude Maillaud, médecin généraliste spécialisé en médecine de plongée et en expertise du dommage corporel, et les coauteurs de l’étude ont répertorié toutes les attaques de requins en Nouvelle-Calédonie entre 1958 et 2020. La hausse du nombre d’attaques est indéniable : entre 1981 et 2000, vingt attaques dont trois mortelles ont été recensées. Des chiffres qui ont doublé durant la période 2001-2020.

Les pratiquants de chasse sous-marine font partie des premières victimes. « La capture d’animaux marins et, en particulier, de poissons au fusil sous-marin est génératrice de stimuli auxquels les requins sont sensibles », expliquent les chercheurs. Les requins seraient notamment attirés par les stimuli acoustiques (bruits, vibrations) et olfactifs, comme ceux consécutifs au saignement de la proie.

La stimulation alimentaire apparaît également comme un facteur d’attaque dans de nombreux autres cas : déchets de poissons des navires hauturiers à leur retour dans le lagon, percolation d’effluves résultant d’activités de chasse à terre, utilisation d’engrais organiques à proximité du rivage, et « plus généralement l’anthropisation du littoral, comprenant une urbanisation mal maîtrisée ». Mais pour régler ce problème, c’est tout le système d’assainissement qu’il faut repenser ainsi que les pratiques des pêcheurs et plaisanciers.

Tuer les requins pourrait enfin avoir des conséquences à plus long terme sur le lagon. « Quand les grands requins sont victimes de la surpêche, les populations de mésoprédateurs [les prédateurs plus petits dont se nourrissent ces requins] deviennent incontrôlables », explique le Fonds international pour la protection des animaux (Ifaw). Les vivaneaux et les mérous vont alors surconsommer leur source de nourriture, à savoir les poissons mangeurs d’algues. « Si l’écosystème ne dispose pas d’une population suffisante de poissons mangeurs d’algues, ces dernières peuvent prendre le dessus, étouffer et tuer le corail », explique l’ONG. Sans requins, le corail est en danger. L’abattage paraît donc aller à l’encontre de tous les intérêts de l’archipel.

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