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"Si vous saviez combien on vous déteste" : la rage à Odessa après la pluie de bombes
Le métropolite Agafangel et plusieurs prêtres orthodoxes devant la cathédrale ravagée.
Oleksandr GIMANOV / AFP

"Si vous saviez combien on vous déteste" : la rage à Odessa après la pluie de bombes

Ukraine

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Relativement épargné depuis le début de la guerre, le splendide centre d’Odessa, ville natale d’Isaac Babel, Anna Akhmatova, Vladimir Jabotinsky, Emil Guilels, David Oïstrakh et Nathan Milstein, a subi une pluie de missiles russes particulièrement destructrice, dans la nuit du 22 au 23 juillet.

Pour la première fois depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022, une dizaine de missiles russes lancés depuis la mer noire contre la cité portuaire d’Odessa ont frappé– dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 juillet – le centre historique de la ville, classé au patrimoine mondiale de l’humanité par l’Unesco en janvier dernier, détruisant partiellement 25 bâtiments. On déplore un mort et une vingtaine de blessés, dont quatre enfants. Outre les immeubles d’habitation, cinq écoles maternelles et un lycée, logés dans des bâtiments historiques, les importants dommages causés à la cathédrale de la Transfiguration, située au cœur de la ville à quelques centaines de mètres de l’Opéra, après qu’un missile a frappé son autel, a choqué l’opinion internationale.

La consternation au sein du clergé

À Odessa, l'archevêque Viktor du diocèse d'Odessa de l'Église orthodoxe ukrainienne a aussitôt appelé le patriarche russe Kirill, chef de l'Eglise orthodoxe russe, dans une lettre publiée sur les réseaux sociaux, à « arrêter les effusions de sang ! ». Avant de lancer: « Le missile béni par vous a volé droit dans l'autel de la cathédrale (..) Vos évêques et prêtres consacrent et bénissent les chars et les roquettes qui bombardent nos villes paisibles. (..) En raison de vos ambitions personnelles, vous avez perdu l'Eglise orthodoxe ukrainienne ».

Fidèle à son habitude, le Kremlin a aussitôt démenti avoir frappé la cathédrale d’Odessa. Son porte-parole Dmitri Peskov a asssuré : « Nos forces armées ne frappent jamais des infrastructures sociales et encore moins des églises (...) Nous démentons ces accusations, c'est absolument faux. Il s'agit ici de tirs anti-missiles (ukrainiens) qui ont été lancés et ont détruit la cathédrale ».

La surprise, en revanche, est venue du métropolite de l'Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou, Agafangel. Venu en personne dans sa cathédrale, qui dépend du Patriarcat de Moscou, pour constater l'étendue des dégats, visiblemement ému, il a dénoncé à la télévision un acte « meurtrier et barbare ». Des critiques inhabituelles de la part de ce haut prélat réputé proche de Moscou.

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La condamnation de l'Unesco

L’Unesco, qui avait placé en janvier dernier le centre historique d’Odessa sur la liste du patrimoine mondial de l’Humanité, a fermement condamné les frappes menées par les forces russes. « Ces terribles destructions marquent une nouvelle escalade de la violence à l'encontre du patrimoine culturel de l'Ukraine. Je condamne fermement cette attaque dirigée contre la culture et j'exhorte la Fédération de Russie à prendre des mesures tangibles pour se conformer aux obligations qui lui incombent au regard du droit international, en vertu notamment de la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et de la Convention du patrimoine mondial de 1972 », a déclaré depuis Paris Audrey Azoulay, sa Directrice générale. Dans les prochains jours, l'Unesco enverra une mission à Odessa pour réaliser une évaluation préliminaire des dégâts.

Localement, la destruction de la Maison des savants, élégant ex-hôtel particulier de deux étages du comte Tolstoï, construit dans la première moitié du XIXème siècle, lieu de nombreux évènements littéraires et artistiques, a davantage ému. Outre la mort de son gardien, fauché alors qu’il sortait du bâtiment, toutes ses fenêtres et ses vitraux ont été soufflés, et les meubles d’époque endommagés.

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« Notre colère sera votre sentence de mort »

Contrairement à la cathédrale, originellement édifiée en 1794, puis dynamitée par les bolchéviques en 1936, et reconstruite en 2003, l'ex-résidence du comte Tolstoï, esprit éclairé et philanthrope, était d’origine. «Tout l’intérieur a souffert. Les vitraux, les fenêtres, les meubles. Beaucoup d’éléments devront être reconstruits en neuf », juge l’historien Oleksandr Babitch, accouru sur les lieux dès qu’il l’a pu, pour sauver ce qui pouvait encore l’être. « Pour l’heure, la priorité est autre : il faut reloger ceux qui ont perdu leur toit et reconstruire les écoles », poursuit-il, estimant qu’en ce qui concerne le Maison des savants, après avoir fini de déblayer les débris, les experts viendront stabiliser et fermer l’édifice, jusqu’à l’heure de la reconstruction, « après la fin de la guerre ».

Filmé en train de sortir une icône des décombres de la cathédrale, le maire de la ville Guennadi Trukhanov a enregistré un message en russe à l’attention des auteurs de cette attaque : « Si vous saviez combien Odessa vous déteste », lâche-t-il. « Vous vous battez contre des enfants, des églises orthodoxes, vos missiles frappent même des cimetières. (..) Vous êtes des créatures sans morale, sans valeurs, et surtout sans avenir. Vous connaissez mal les Odessites. Vous ne nous briserez pas, mais vous nous enragez. Notre colère et la douleur des gens seront votre sentence de mort ».

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne