Marjane Satrapi : comment affirmer et défendre notre liberté ?

Marjane Satrapi le premier novembre 2022 à Paris ©AFP - JOEL SAGET
Marjane Satrapi le premier novembre 2022 à Paris ©AFP - JOEL SAGET
Marjane Satrapi le premier novembre 2022 à Paris ©AFP - JOEL SAGET
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Qu'est-ce que la liberté ? Est-ce faire ce que l'on veut ? La liberté au sens individuel et au sens politique, est-ce la même chose ? Avec Marjane Satrapi, célèbre artiste franco-iranienne, auteur de "Persepolis" qui ressort cet été au cinéma, et qui a fui l'Iran il y a plus de 20 ans.

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"Je voudrais vous raconter l’histoire de la liberté est plutôt l’histoire d’une femme. Une jeune philosophe occidentale, professeure de philosophie, qui apprend à ses élèves à s’émanciper de cette idée du sens commun, selon laquelle la liberté, ce serait simplement de « faire ce que l’on veut ». Fausse liberté, illusion de liberté, liberté Canada Dry, s’emporte-t-elle devant les yeux éblouis de ses élèves : quand on prétend faire « ce qu’on veut », on est fait déterminé par sa classe sociale nous dit Marx, déterminé par son inconscient, ajoute Freud, par ses instincts, complète Nietzsche, bref en proie à toute une série d’automatismes aveugles qui nous enchainent au moment même où nous nous prétendons libres. On ne fait donc pas « ce qu’on veut », mais ce que notre classe sociale veut pour nous, ce que notre inconscient ou nos instincts veulent pour nous. La liberté, ce n’est donc pas de « faire ce qu’on veut quand on veut », c’est plus que ça, c’est autre chose que ça : une manière d’arbitrer entre ses désirs, une souveraine autonomie, une responsabilité véritable. J’ai dit que ses élèves étaient séduits, éblouis. C’est vrai, à une exception près. Il y a dans la classe ce jeune garçon d’origine iranienne. Il la regarde, il l’écoute et il songe que dans son pays, là bas, une de ses cousines voulait étudier l’anglais mais n’en a pas eu le droit, car c’est désormais une filière interdite aux femmes, comme d’ailleurs l’informatique, la physique nucléaire, l’ingénierie électrique ou tant d’autres. Voilà, là-bas, elles ne peuvent pas faire « ce qu’elles veulent » : elles ne peuvent pas libérer leurs cheveux, elles ne peuvent pas embrasser leur amoureux dans la rue, elles ne peuvent pas se promener en jupes parce qu’il y a des hommes pour qui la beauté des femmes et leur liberté est le plus grand des scandales, la plus haute des agressions. Alors pour lui, pour ce jeune exilé au regard noir, faire ce qu’on veut, faire ce qu’on veut quand on veut, il trouve que c’est plutôt une bonne définition de la liberté. Il n’a pas besoin de prendre la parole, de formuler son objection, il la regarde et ça suffit. Elle croise son regard noir et elle comprend d’un coup, elle a parlé un peu vite. Elle comprend d’un coup que cette réflexion sur l’essence de la liberté est un luxe de privilégiés. Quant on est privé de liberté, on sait très bien ce que c’est.

Pour parler de cette liberté et des manières de la défendre, nous recevons Marjane Satrapi, réalisatrice, dessinatrice et peintre, à qui l’on doit notamment les bandes-dessinées adaptées en films Persépolis ou Poulet aux prunes. Marjane Satrapi nous a rejoint dans la caverne de France Inter, sous le soleil de Platon, pour nous aider à réfléchir à cette si belle et si urgente question : comment affirmer et défendre notre liberté ?"

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Marjane Satrapi, une philosophie cash

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Est-ce que la liberté c'est d'être libre de ses actions, de ses mouvements ou avoir conscience de tous les déterminismes sociaux qui nous empêchent ? Comment affirmer, comment défendre nos libertés ? A-t-on toujours le choix ? Franco-iranienne, Marjane Satrapi a du fuir son pays il y a 23 ans... et pour elle nous avons toujours le choix... puisque : « Le choix ultime pour un être humain c’est d’accepter de mourir, il n’y a pas de choix plus radical que cela. Lorsqu’on en vient à se demander : est-ce que cela vaut que je sois vivante si je dois devenir un traître ou embrasser ce en quoi je ne crois pas, on a toujours le choix de mourir… »

« La liberté, je la dois au manque de liberté, on ne se bat que lorsqu'on ne l'a pas, ou qu'on ne l'a plus. Le problème avec la liberté c’est que le prix ultime à payer pour avoir la liberté totale c’est la solitude. Est-on prêt à la payer ? Moi oui. »

Alors que l'Iran a vécu cette année, et vit encore, de nouvelles vagues de manifestations, pour les droits des femmes suite à la mort de la jeune femme Masha Amini, car elle portait "mal" son voile, le film Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, tiré de sa bande dessinée biographique, ressort le 26 juillet, en version remasterisé au cinéma.

« La démocratie est une culture, ce n’est pas quelque chose que vous offrez aux gens, c’est un long processus. En France on en est à la Vème République, cela a pris plus de 200 ans. »

« Au début de révolution plus de 80% des hommes souhaitaient que les femmes soient voilées, aujourd’hui ils sont plus de 75% à souhaiter que les femmes ne soient pas voilées. Il faut des changements mis bout à bout. Mais la révolution culturelle a déjà lieu et une nouvelle génération est née. »

Un jour dans le monde
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Après les énormes succès de ses BD Persepolis et Poulet au prunes, Marjane Satrapi a décidé de ne plus publier de bande dessinée. Dès lors qu'elle sait faire quelque chose, qu'elle en maîtrise les codes, cela ne l'intéresse plus. Dès lors que la recette fonctionne, elle ne veut plus la reproduire, car c'est d'un ennui mortel selon elle, et c'est enfermant. Elle veut « avoir la frousse. » Autrice, dessinatrice, réalisatrice de films, peintre... Marjane Satrapi ne cesse de se réinventer. Elle incarne une philosophie rock, qui cherche à sortir de l'intranquillité, qui cherche à s'exposer au regard de l'autre...

Marjane Satrapi incarne aussi les grands écarts, elle raconte avoir toujours voulu faire un art populaire, un art accessible à tous, comme un livre, pour qu'il puisse être acheté par tout le monde. Et ensuite, après Persepolis, elle a tenu à se tourner vers son art premier, la peinture, où elle trouve plus de liberté. Lorsqu'elle écrit un livre ou un film, elle écrit pour l'autre, elle s'adresse à l'autre, mais lorsqu'elle est devant sa une toile, elle ne peint pour personne, elle veut chercher la couleur et être seule avec elle-même.

« Quand vous regardez une peinture, vous l’aimez ou vous ne l'aimez pas, c’est aussi simple que ça. Même si je vous donne tout le contexte, toute l’histoire de l’art qui l'a précédé, si vous ne l’aimez pas vous ne l’aimerez jamais. »

« Je trouve que l'art ne trouve de justification que dans lui-même. L’art est la recherche de la réalité à travers le prisme de la beauté. »

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Archives et références

  • Le titre Calm Down de Rema, devenu un hymne de la révolution féministe iranienne
  • Les gravures de Félix Valloton

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