Le campus de l'université d'Harvard, le 22 avril 2020 à Cambridge, dans le Massachusetts

Harvard, comme de nombreuses universités américaines, facilite l'entrée dans ses rangs d'enfants d'anciens diplômés.

afp.com/Maddie Meyer

C’est une pratique accusée d’avantager les étudiants blancs. Va-t-elle bientôt s’arrêter ? Le gouvernement américain a ouvert une enquête visant la prestigieuse université Harvard et sa pratique permettant aux enfants d’anciens diplômés d’être favorisés dans le processus d’admission.

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Les avocats de trois associations à l’origine d’une plainte à ce sujet ont publié, ce mardi 25 juillet, une lettre du ministère fédéral de l’Education les informant que sa division chargée des droits civiques menait l’enquête, ce qu’a confirmé le ministère au New York Times.

Les avocats du projet Chica, du développement économique de la communauté africaine de la Nouvelle-Angleterre et du réseau latino du Grand Boston ont déclaré que la pratique de Harvard donne une longueur d’avance imméritée aux enfants de riches donateurs et anciens élèves. "Il est important d’éliminer les pratiques qui désavantagent de manière systématique les étudiants de couleur", écrivent les avocats de Lawyers for Civil Rights de Boston avec la plainte de ces trois associations.

La décision majeure de la Cour suprême rendue en juin

Harvard, comme de nombreuses universités américaines, facilite l’entrée dans ses rangs d’enfants d’anciens diplômés. Comme le précise le New York Times, elle donne la préférence aux candidats qui sont des athlètes recrutés, des héritiers, des parents de donateurs ainsi que des enfants de professeurs et de membres du personnel.

Selon les associations plaignantes, 28 % des diplômés de Harvard en 2019 avaient un parent ou un autre membre de la famille diplômé de Harvard. Et, assurent-elles, 70 % des élèves candidats qui bénéficient d’un tel avantage sont blancs.

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Or, dans une décision majeure rendue le 29 juin dernier, la Cour suprême des Etats-Unis a exigé la fin des programmes de discrimination positive lors des admissions universitaires, l’un des acquis de la lutte pour les droits civiques des années 1960 qui avait permis de renforcer la diversité sur les campus.

Joe Biden s’était dit en "fort désaccord" avec la décision de la Cour suprême, et avait appelé les établissements universitaires à ne pas "abandonner" leur engagement envers la diversité. Le président américain avait en outre déclaré que les politiques d’admissions héritées étendaient "les privilèges au lieu des opportunités". Lors d’une conférence de presse, il avait annoncé qu’il avait chargé le ministère de l’Education "d’analyser quelles pratiques aident à créer des corps étudiants plus inclusifs et diversifiés et quelles pratiques freinent cela".

D’ores et déjà, le sénateur démocrate de l’Oregon Jeff Merkley et le représentant démocrate de New York Jamaal Bowman prévoient ce mercredi 26 juillet de réintroduire une législation interdisant aux universités d’accorder un traitement préférentiel aux enfants des anciens élèves et des donateurs.

Harvard prête à revoir sa procédure d’admission

Le bureau des droits civils du département de l’éducation pourrait éventuellement être amené à trouver une médiation avec Harvard, ou bien déclencher une longue bataille juridique comme celle qui a conduit à la décision de la Cour suprême en juin.

Sans attendre, Harvard a fait savoir mardi dans un communiqué que l’université était déjà en train de revoir la façon dont elle admet les étudiants pour s’assurer qu’elle est conforme à la loi, après la décision de la Cour suprême. "Notre examen comprend l’examen d’une gamme de données et d’informations", a déclaré dans un communiqué Nicole Rura, porte-parole de Harvard. "Harvard reste déterminé à ouvrir des portes aux opportunités et à redoubler d’efforts pour encourager les étudiants de nombreux horizons différents à postuler pour l’admission", a-t-elle ajouté.

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Harvard entend donc passer en revue l’ensemble de son processus d’admission pour se mettre en conformité avec la décision de la Cour suprême tout en "renforçant [sa] capacité à attirer et à soutenir une communauté intellectuelle diverse, qui est fondamentale à notre recherche de l’excellence académique".

"Un processus d’admission intrinsèquement raciste"

Comme le rappelle le New York Times, l’université Wesleyan, un établissement d’arts libéraux du Connecticut, a annoncé en juillet par la voix de son président Michael S. Roth la fin des admissions héritées dans son école, affirmant que cette pratique était "un signe d’injustice envers le monde extérieur".

Les pratiques permettant aux enfants d’anciens diplômés de Harvard d’être favorisés dans le processus d’admission ont déjà été étudiées, relate encore le quotidien américain. Dans les années 1980, le bureau des droits civils du département de l’éducation a ainsi enquêté sur des allégations selon lesquelles des candidats américains d’origine asiatique auraient été victimes de discrimination en faveur d’étudiants blancs, selon des documents judiciaires.

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L’enquête avait alors imputé la différence des taux d’admission aux préférences héritées et avait estimé à l’époque que la prestigieuse université avait des raisons légitimes de favoriser les héritages.

"Soyons clairs : les admissions d’héritage et de donateurs ont longtemps servi à perpétuer un processus d’admission à l’université intrinsèquement raciste", a déclaré Derrick Johnson, président de la NAACP, une organisation américaine de défense des droits civiques. "Chaque étudiant talentueux et qualifié mérite d’avoir la possibilité de fréquenter l’établissement de son choix. La discrimination positive existait pour soutenir cette notion. Les admissions héritées existent pour le saper."

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