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EntretienClimat

« D’ici 2100, l’été pourrait durer près de six mois »

Une personne avec un ventilateur à Lyon lors d'une vague de chaleur, le 23 août 2023.

La France est touchée par une canicule tardive. Petit à petit, l’été gagne de la place sur les autres saisons. L’hiver, lui, disparaît. De quoi constituer notre futur climatique, explique le climatologue Davide Faranda.

Le début d’année s’annonce suffocant sur les bancs d’école. Depuis le 4 septembre, une vague de chaleur tardive a balayé l’Hexagone. Vingt-et-un départements ont été placés en vigilance jaune canicule par Météo-France. Des pointes à 38 °C pourraient être observées en Nouvelle-Aquitaine.

Alors que l’été 2023 a été le quatrième le plus chaud jamais enregistré en France, les saisons sont-elles sur le point de disparaître ? À quoi pourrait ressembler l’automne d’ici quelques décennies ? Réponses de Davide Faranda, chercheur au CNRS à l’institut Pierre-Simon Laplace et spécialiste du lien entre les événements extrêmes et le changement climatique.


Reporterre — Une nouvelle canicule touche la France, en ce début septembre. Est-ce un phénomène inédit ?

Davide Faranda — Il est difficile de tirer le moindre bilan avant la fin de l’événement. Toutefois, on s’attend à des températures exceptionnelles et à une masse d’air 5 à 15 °C supérieure aux normales de saison. Si les projections se confirment, on se dirige vers une canicule d’une intensité remarquable, voire inédite pour un mois de septembre.

Deux facteurs contribuent à faire grimper le thermomètre. Une dépression sur l’Atlantique joue le rôle de tapis roulant pour l’air chaud en provenance d’Afrique. Celui-ci remonte ainsi vers l’Hexagone via la péninsule ibérique. De là, une autre dépression, située au sud de l’Italie, empêche cette masse chaude de s’échapper vers l’Europe de l’Est. Résultat : la chaleur stationne au-dessus de nos têtes.

D’un point de vue atmosphérique, ce phénomène est similaire à la canicule ayant touché la France fin août. La différence ? L’ensemble des modèles de prévision météorologique à notre disposition semble indiquer que l’épisode pourrait persister toute la semaine. Une durée là encore au caractère extraordinaire.


Le changement climatique pourrait-il dérégler le cycle des saisons, jusqu’à leur disparition ?

De nombreux travaux scientifiques ont déjà été menés dans ce sens. En 2021, dans la revue Geophysical Research Letters, l’océanographe Yuping Guan et ses collègues ont étudié l’évolution de la durée des saisons de l’hémisphère nord. Résultat : si rien n’est fait pour enrayer les émissions de gaz à effet de serre, d’ici 2100, l’été pourrait s’étendre sur près de six mois, de mai à octobre.

« L’hiver tend à disparaître »

La saison estivale est bien la seule à grignoter des jours, petit à petit. L’hiver, lui, tend à disparaître et, d’ici quatre-vingts ans, il pourrait ne durer qu’un mois. L’automne et le printemps aussi diminuent doucement.


Comment ces évolutions vont-elles se manifester en France ?

Si la Corse, comme les autres îles méditerranéennes que sont la Sardaigne ou la Sicile, pourrait un jour hériter d’un climat tropical avec une saison des pluies et une saison sèche, la France métropolitaine aura toujours l’influence du jet-stream [courant atmosphérique d’altitude]. Ce courant, dont jouissent les latitudes moyennes, transporte les perturbations de l’Atlantique vers l’Hexagone.

Toutefois, d’après les projections du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], la quantité d’émissions de gaz à effet de serre pourrait faire basculer une portion plus ou moins importante du territoire dans un climat méditerranéen. Autrement dit, celui que l’Espagne, l’Italie et même le sud de la France commencent à entrevoir.


Les transitions entre l’été et l’automne, ou encore le printemps et l’été, pourraient-elles être plus violentes, à l’avenir ?

Oui. Les saisons sont régies par la révolution de la Terre autour du Soleil, et son axe d’inclinaison. Et cela ne changera pas. Autrement dit, au sens astronomique, il y aura toujours un hiver, au cours duquel le pôle Nord sera plongé dans le noir. Grâce à cela, la planète pourra fabriquer de l’air froid chaque année.

Les catastrophes climatiques de l’été 2023. © Louise Allain / Reporterre

Seulement, en descendant vers le sud, celui-ci interagira avec l’air des tropiques, de plus en plus chaud à cause du changement climatique. Les contrastes seront alors beaucoup plus marqués et produiront de l’énergie qui s’évacuera sous forme d’orages, de grêle et de pluies intenses à l’interface entre les deux courants. Un peu partout en Europe, les passages d’une saison à l’autre seront marqués par des épisodes météorologiques de plus en plus extrêmes.


Cet été rallongé, qui pourrait s’installer d’ici quelques décennies, sera-t-il aussi synonyme d’absence de précipitations ?

Cette question est complexe. Dans les projections, la France est encore une fois divisée en deux. Au sud, avec le climat méditerranéen, la quantité de précipitations ne devrait pas réellement changer. En revanche, le nombre de jours de pluie diminuera nettement, et dès qu’il pleuvra… ce sera intense.

Le nord de la France devrait, quant à lui, être davantage pluvieux qu’aujourd’hui. Sous influence de l’Atlantique, son climat pourrait devenir similaire à celui des îles britanniques. Du moins, s’il ne bascule pas dans un climat méditerranéen. Cela dépendra notamment des émissions de gaz à effet de serre. Si celles-ci se poursuivent à un rythme effréné, le centre et le nord du pays pourraient connaître le même sort que le sud.


Vous parlez toujours au conditionnel. À cause du niveau d’incertitude ?

Oui. Au-delà du facteur humain avec le réchauffement de la Terre, les modèles climatiques ne sont pas au point pour prévoir précisément les oscillations des courants-jets. Celles-ci dépendant aussi de multiples facteurs, comme l’état des océans, de la banquise arctique et de l’humidité des sols du continent.

Ici résulte tout l’intérêt de la recherche scientifique. Il faut tenter de trouver où se situera la frontière entre les deux climats… pour savoir dans lequel nous basculerons. Pourquoi ? Parce que ces nouveaux cycles saisonniers apporteront leur lot de difficultés.

S’il ne fait plus froid suffisamment longtemps en hiver, certains moustiques pourraient y échapper. Même chose pour les virus et bactéries, dont les cycles sont bien définis par les saisons. Ces perturbations pourraient ensuite se répercuter sur les humains. Sans parler de la végétation et des cultures, si les floraisons précoces sont balayées par des gels tardifs. Les pertes seraient colossales et les problèmes d’approvisionnement importants. Il faut commencer à s’adapter.

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