Dévastateur. L’inceste, qui est « une intrusion dans l’intimité de l’enfant à des fins de satisfaction sexuelle », selon Anne Clerc, Déléguée générale de l’association Face à l’inceste, est toujours aussi tabou dans notre société. Invisibilisée et minorée, la parole de la victime a longtemps été complètement inaudible.

En 20 ans, le nombre de victimes d’inceste a triplé. Malgré la parution du livre de Camille Kouchner, « La familia grande », et les révélations sur ce que l’on a baptisé « l’affaire Duhamel » et le hashtag #MeTooInceste, l’omerta persiste. Après la parution d’un entretien exclusif d’Emmanuelle Béart dans le ELLE concernant l’inceste qu’elle a subi, on fait le point sur les chiffres à connaître pour prendre conscience de ce fléau bien plus répandu que ce que l’on croit.

Un Français sur 10 a été victime d’inceste

Un constat glaçant. D’après le dernier sondage Ipsos réalisé pour l’association Face à l’inceste en novembre 2020, un Français sur 10 confie avoir été victime d’inceste, soit environ 6,7 millions de personnes. Cela représente trois élèves dans une classe qui en compte 30. Un chiffre en hausse, puisqu’en 2009, le nombre de victimes s’élevait à 2 millions, selon un premier sondage de l’institut.

Ipsos estime par ailleurs que cette augmentation est en corrélation directe avec la libération de la parole provoquée par le mouvement #MeToo. Si les garçons sont également concernés, il semblerait que les filles en soient les principales victimes, selon le même sondage qui indique que 8 victimes sur 10 sont des femmes. La première agression sexuelle survient en moyenne autour de l’âge de 9 ans.

96 % des agresseurs sont des hommes

Père, oncle, frère, grand-père… dans la majorité des cas, les agresseurs sont des hommes, selon le sondage Ipsos. Une étude de L’Institut national d’études démographiques (Ined), publiée en juin 2023, qui s’appuie elle-même sur une enquête réalisée fin 2021 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), souligne que 35,7 % des femmes victimes d’inceste affirment l’avoir subi par un homme de leur famille.

Une violence intra-familiale sur trois (32,7 %) a été commise par le père ou le beau-père. Les oncles (17,9 %), les cousins (14,4 %) et les frères (14,1 %) sont ensuite les principaux agresseurs. Les garçons sont, eux, le plus souvent victimes de leurs frères (21,8 %), suivis des pères ou beaux-pères (20,7 %), des cousins (17,8 %) et des oncles (16,7 %).

Selon un rapport de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) publié en novembre 2022, 74,4 % des victimes (hommes et femmes), ayant subi l’inceste par un membre de leur entourage ont confié avoir confiance en leur agresseur.

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160.000 enfants agressés chaque année

D’après le rapport de la Ciivise, 160.000 enfants sont victimes d’agressions sexuelles chaque année. Par ailleurs, un enfant meurt tous les cinq jours dans son environnement familial sous l’effet de ces violences sexuelles.

La commission alerte également sur la grande vulnérabilité des jeunes en situation de handicap. Ces derniers ont un risque 2,9 fois plus élevé d’être agressé. Ceux qui souffrent d’une déficience intellectuelle y sont, quant à eux, 4,6 fois plus exposés.

70 % des plaintes classées sans suite

Selon Anne Clerc, Déléguée générale de l’association Face à l’inceste, « 70 % des plaintes déposées pour des violences sexuelles infligées aux enfants font l’objet d’un classement sans suite par le procureur de la République à l’issue de l’enquête ». Le plus souvent au motif que l’infraction est « insuffisamment caractérisée », ajoute-t-elle. Par ailleurs, la voix des victimes est très souvent inaudible par leur famille, alerte l’activiste : « Dans 9 cas sur 10, lorsqu’un enfant révèle l’inceste, la famille prend parti pour l’agresseur et rejette la victime au profit de la cohésion familiale. »

Pour améliorer le traitement judiciaire de ces affaires, la Ciivise appelle à ce que les auditions d’enfants soient menées dans la bienveillance, par un membre des forces de l’ordre « spécialement formé et habilité » avec un stage réalisé avant toute affectation sur un poste lié à ce type d’agression sexuelle.

Le #MeTooInceste a récolté 80.000 messages en deux jours

Lancé le samedi 16 janvier 2021 sur Twitter, le hashtag #MeTooInceste a récolté plus de 80.000 témoignages en moins de deux jours. Dans le sillage de l’affaire Olivier Duhamel, il a été initié par des membres du collectif féministe #NousToutes.

Des milliers d’internautes, en majorité des femmes, ont raconté leur agression sexuelle, parfois en nommant un oncle, un père, un cousin ou un beau-père. Les victimes relatent non seulement les faits, mais aussi l’injonction au silence et l’isolement subi au sein même de leur famille.

L’inceste coûte 10 milliards d’euros par an

Selon un avis de la Ciivise, publié le 12 juin dernier, le coût des violences sexuelles sur les mineurs est d’environ 10 milliards d’euros par an. Sur l’ensemble de ce montant, trois milliards sont des dépenses engagées en réponse immédiate et ponctuelle aux victimes : accompagnement, services de police, de gendarmerie et de justice, prise en charge médicale immédiate.

Mais le plus gros poste de dépense est lié aux conséquences à long terme sur la santé des victimes. La Commission estime à 6,7 milliards chaque année la somme des dépenses induites par le psychotraumatisme et les richesses non créées, dont notamment 2 milliards pour les troubles mentaux, 1 milliard pour les consultations médicales, 2,6 milliards d’euros de dommages liés à des conduites à risque.