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Eau et rivières

L’oxygène des rivières baisse de façon alarmante

Privés d'oxygène en raison de la sécheresse, des milliers de poissons morts ont été retrouvés sur les rives du Tigre, en Iraq en juillet 2023.

L’oxygène dans l’eau des rivières baisse à un rythme alarmant, révèlent des scientifiques. De quoi générer de gros dégâts sur les écosystèmes.

Le réchauffement climatique fait suffoquer les océans, les lacs… et aussi les rivières. C’est ce que montre une étude publiée le 14 septembre dans la revue scientifique Nature Climate Change. L’équipe de chercheurs s’est penchée sur le sort de 796 rivières étasuniennes et européennes. Leurs résultats indiquent que l’oxygène en disparait à un rythme alarmant. Entre 1981 et 2019, près de trois quarts des cours d’eau étudiés ont vu leur taux d’oxygène baisser. Les conséquences de ce phénomène sur les écosystèmes des rivières pourraient être dramatiques.

La communauté scientifique s’inquiète depuis plusieurs années de la perte d’oxygène dans les écosystèmes aquatiques, précipitée (entre autres) par l’augmentation globale des températures. La capacité de rétention de l’oxygène par l’eau dépend en effet de sa température, expliquait en 2021 à Reporterre Stephen Jane, chercheur à l’université Cornell (États-Unis) : « Plus l’eau est chaude, moins elle peut en absorber. »

Entre 1960 et 2010, le taux global d’oxygène dans le milieu marin a dégringolé de 1 à 2 %, selon un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Dans les eaux de surface des lacs d’Europe et d’Amérique du Nord, il a en moyenne baissé de 5,5 % depuis 1980. Le phénomène était cependant, jusqu’à présent, « moins escompté dans les rivières », signalent les auteurs de l’étude publiée dans Nature Climate Change. Leur écoulement rapide est en effet supposé faciliter les échanges gazeux entre l’eau et l’air, et la grande quantité de lumière qui y pénètre augmenter la photosynthèse, productrice d’oxygène.

87 % des rivières se sont réchauffées

Afin de déterminer si les rivières étaient elles aussi en proie à la désoxygénation, les scientifiques ont utilisé un programme d’intelligence artificielle. Les données observationnelles dont ils disposaient étaient trop parcellaires pour pouvoir être utilisées directement.

En combinant des données éparses relatives à la température, au taux d’oxygène, aux précipitations et à l’état des rives au cours des quarante dernières années, ce programme leur a permis de « reconstruire », jour après jour, l’évolution de près de 800 rivières.

Les résultats obtenus sont un « coup de semonce », juge dans un communiqué Li Li, professeur à l’université d’État de Pennsylvanie et coautrice de cette étude. 87 % des rivières étudiées se sont réchauffées entre 1981 et 2019 (de 0,16 °C par décennie aux États-Unis, en moyenne, et de 0,27 °C en Europe centrale). Sur la même période, 70 % d’entre elles ont perdu en oxygène. Les cours d’eau les plus mal en point ont vu leur taux d’oxygène chuter de 1 à 1,5 % tous les dix ans, un rythme largement supérieur à celui des océans.

En dessous d’un certain niveau d’oxygène, de nombreuses espèces (ici des saumons en Alaska) sont étouffées. Publicdomainpictures/CC0/Scott Lee

Les chercheurs ont observé que les rivières urbaines se réchauffaient plus rapidement que les autres, et que celles situées en zones agricoles perdaient plus vite leur oxygène. La faute, supposent les scientifiques, aux fertilisants agricoles à base de phosphore et d’azote. Leur rejet dans l’eau peut en effet provoquer des proliférations d’algues, qui surconsomment l’oxygène présent — notamment lors de leur décomposition —, et finissent par asphyxier le milieu.

D’autres régions bientôt à l’agonie

Cette dynamique pourrait s’aggraver dans les années à venir. Selon les projections des chercheurs, le rythme de désoxygénation des rivières pourrait être 1,6 à 2,5 fois plus élevé d’ici la fin du siècle. De quoi générer de gros dégâts.

En dessous d’un certain niveau d’oxygène (estimé par les auteurs à environ trois milligrammes par litre), les cours d’eau sont considérés comme « hypoxiques ». De nombreuses créatures aquatiques — notamment les truites et les saumons — sont incapables d’y survivre et meurent en masse, étouffées. Des « zones mortes » de ce type ont déjà été observées dans l’océan, au large du golfe du Mexique, et dans le lac Érié, situé à l’est des États-Unis.

Nos émissions de gaz à effet de serre pourraient condamner de nouvelles régions à l’agonie. La rivière de Brooker Creek en Floride compte par exemple 204 jours d’hypoxie par an, signalent les chercheurs dans leur étude. Dans un scénario d’émissions de gaz à effet de serre « intermédiaire » (SSP2-4.5), elle pourrait en déplorer 5,7 de plus par décennie. Si l’humanité opte pour une consommation très importante des combustibles fossiles (SSP5-8.5), cette même rivière pourrait être frappée, tous les dix ans, par 6,9 jours supplémentaires d’hypoxie par rapport à la moyenne historique.

Ces résultats devraient d’autant plus nous alarmer qu’ils pourraient être sous-estimés, précisent les chercheurs. Les données grâce auxquelles ils ont construit leur modèle ont en effet été collectées en journée, au moment où la lumière du soleil permet aux plantes aquatiques de produire, via la photosynthèse, un maximum d’oxygène. Durant la nuit, le taux de ce précieux élément chimique pourrait être plus bas. Et donner une vision encore plus lugubre de l’avenir de nos rivières.

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