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Grâce à une réserve, le grand retour du mérou en Méditerranée

Les plongeurs quadrillent la zone pour compter les mérous ainsi que les corbs et les sars tambours qu'ils trouvent sur leur chemin.

Dans le sud de la France, à la frontière avec l’Espagne, la réserve naturelle marine de Cerbère-Banyuls compte ses mérous. Ce poisson symbole de la Méditerranée est de retour dans ses eaux grâce à de fortes mesures de protection.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.


Cerbère-Banyuls (Pyrénées-Orientales), reportage

« Tout le monde a bien son masque, ses palmes et sa ceinture de plomb ? Vous avez vérifié tout votre matériel ? » À bord de l’Onada, le bateau de la réserve naturelle marine de Cerbère-Banyuls, Ronan Rivoal, garde technicien, est impatient de se jeter à l’eau. C’est le dernier jour pour compter les mérous, ce poisson carnivore symbole de la Méditerranée.

Tous les trois ans, une équipe de la réserve, accompagnée de plongeurs du parc naturel marin du Golfe du Lion, de l’université de Perpignan et de l’observatoire océanographique de Banyuls se retrouvent pour évaluer l’état d’une espèce qui a failli disparaître. « Les méros sont un bon indicateur de la situation écologique d’un écosystème. Plus ils sont nombreux, plus il est en bonne santé », assure Ronan Rivoal.

Le bateau s’éloigne doucement du port et longe la côte Vermeille à la végétation brunie par le soleil. L’eau est calme et le ciel azur : les conditions idéales pour la plongée. Après une petite demi-heure de navigation, l’Onada s’arrête non loin des îlots du Cap Canadell. Sur quelques rochers affleurant l’eau sont perchées des mouettes.

Tous les trois ans, une équipe de la réserve naturelle marine compte la population de mérou. © Didier Fioramonti

C’est dans cette zone que les plongeurs vont s’immerger. Au signal, ils se jettent à l’eau, se mettent en ligne puis disparaissent dans les profondeurs. En gardant leur cap grâce à une boussole, ils vont quadriller la zone afin de compter les mérous ainsi que les corbs et les sars tambours qu’ils trouveront sur leur chemin. Un peu plus loin, un autre bateau du parc naturel effectue la même manœuvre. Au total, les plongeurs vont inspecter une zone de 3 hectares en dehors de la réserve pour savoir si les poissons ont colonisé l’extérieur de la zone protégée.

Après une grosse demi-heure, plusieurs parachutes rouges émergent de l’eau. L’Onada récupère ses plongeurs un peu déçus. Seul un mérou a été observé. « Les poissons étaient fuyants, on voit que nous ne sommes plus dans la réserve », remarque Claude Lefebvre, technicien environnemental du parc national de Port-Cros, autre site emblématique pour l’espèce et compteur volontaire de l’expédition. La veille encore, entre cinquante et soixante individus étaient recensés par plongée.

Evelyne Duhappart, plongeuse et membre du groupe d’étude du Mérou se prépare à plonger. Elle vient de Port-Cros, l’un des sites où on peut voir le plus de mérous en France. © Laury-Anne Cholez / Reporterre

Dans les années 1970, le mérou a été décimé par la pêche et la chasse de loisir

Il faut dire que les mérous ont appris à fuir les humains depuis qu’ils ont failli disparaître. Car ce gros carnassier placide est facile à chasser. « Il est un peu bête », sourit Ronan Rivoal. « Il se met dans son trou sans bouger et se persuade qu’on ne le voit pas. » Hélas, son naturel flegmatique a précipité sa perte. Dans les années 1970, le mérou a été décimé par la pêche et la chasse de loisir. Pouvant mesurer jusqu’à 1,20 mètre et peser 35 kilos, il était considéré comme un trophée à l’instar des cerfs pour les chasseurs terrestres. Dans les années 1980, on comptait seulement une dizaine d’individus dans la région.

Aujourd’hui, selon les premières estimations issues de la semaine de comptage, près de 700 spécimens fraient dans les eaux limpides de la côte Vermeille. Une victoire pour le mérou ainsi que pour tout son écosystème. « C’est est une espèce à haut niveau trophique, c’est-à-dire en haut de la chaîne alimentaire. Si elle se développe, c’est qu’elle dispose de l’alimentation et des ressources nécessaires pour rester », explique Virginie Hartmann, responsable scientifique de la réserve et organisatrice de la semaine de comptage. Et donc que l’ensemble des poissons, crustacés, et autres animaux marins sont aussi en bonne santé.

Cette croissance a un effet pervers : les pêcheurs réclament aujourd’hui la ré-autorisation de la chasse au prétexte que la population de mérou serait trop nombreuse. « L’homme veut sa place dans la régulation des grands prédateurs mais les espèces se régulent toutes seules. Elles ne vont pas surprédater leur habitat », assure Virginie Hartmann. « S’il n’y a pas assez de nourriture, la population change de secteur ».

Les plongeurs de l’Anada juste avant leur descente. © Laury-Anne Cholez / Reporterre

En 1993, un premier moratoire a été instauré, renouvelé en 2013. Il arrive à échéance en fin d’année. Les associations de protection espèrent son renouvellement afin de pérenniser le rétablissement de l’espèce. L’État devrait rendre sa décision dans les prochaines semaines.

Le mérou est grégaire, hermaphrodite et pas vraiment belliqueux

En attendant, les mérous repeuplent doucement mais sûrement le reste de la côte. Ce poisson à l’allure débonnaire, avec la bouche tombante qui semble toujours faire la grimace, est un animal grégaire. Une fois qu’il a trouvé son trou dans le coralligène, un amoncellement d’algues calcaires propice à la biodiversité, il ne déménage plus. Territorial, le mâle protège son harem en chassant tous ses concurrents. Pas vraiment belliqueux, les autres mâles s’en vont alors coloniser de nouvelles cavités, emmenant parfois des femelles dans leur sillage. Mais le rythme est lent, faute à une maturité sexuelle tardive. Hermaphrodites, les mérous naissent femelles avant de devenir mâles quand ils ont entre cinq et douze ans. « Ce type de reproduction ralentit les dynamiques de recolonisation », explique Philippe Lenfant, professeur d’écologie marine à Perpignan et président du groupe d’étude du mérou.

Hermaphrodites, les mérous naissent femelles avant de devenir mâles quand ils ont entre 5 et 12 ans : « Ce type de reproduction ralentit les dynamiques de recolonisation © Didier Fioramonti

Cela fait trente ans que cette association accumule des données sur l’espèce, dans la réserve de Cerbère-Banyuls, mais aussi à Port-Cros, dans les Calanques ainsi qu’en Corse. Cet historique permet de démontrer l’importance des réserves dans la régénération du mérou et de son écosystème. Encore faut-il que les mesures de préservation soient suffisamment strictes. À Cerbère-Banyuls, une zone de protection renforcée crée en 1981 s’étend sur 10 % des 650 hectares du site. À l’intérieur, pas de pêche, pas d’ancrage, pas d’immersion, ni en bouteille, ni en apnée. « C’est un espace qui favorise la reproduction et qui fait gagner cinq ans de production de biomasse. On y trouve des poissons en plus grand nombre et qui sont beaucoup plus gros car moins stressés », assure Jean-François Planque, responsable pédagogique de la Réserve Marine de Cerbère-Banyuls.


Un argument de poids en faveur de la réserve. Sa taille va d’ailleurs doubler, passant de 650 hectares à 1 680 hectares avec deux nouvelles zones de protection renforcée. Cet agrandissement s’est fait en concertation avec tous les usagers : plongeurs, plaisanciers, entreprises de promenade en mer et de kayak, associations de protection de l’environnement ainsi que les pêcheurs professionnels et de loisir. « On est arrivés à un scénario qui fait le plus consensus possible », assure Frédéric Cadène, conservateur de la réserve naturelle marine de Cerbère-Banyuls. Reste à soumettre le dossier à l’État et à passer les différentes étapes administratives pour une mise en place de l’extension d’ici 2025. Elle profitera aux mérous, aux sars tambours, aux corbs et à toute la faune et flore aquatique qui demeure encore gravement menacée par les activités humaines.

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