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Libération
Reportage

«J’ai envie d’une revanche» : les féministes de #NousToutes collent 25 000 stickers pro-IVG sur les Vélib parisiens

Pendant toute la soirée de mercredi, des militantes du collectif féministe #NousToutes ont sillonné Paris pour décorer les vélos en libre-service de messages défendant l’avortement. Une contre-offensive après l’opération des anti-choix en juin dernier.
par Marlène Thomas
publié le 28 septembre 2023 à 7h52
(mis à jour le 28 septembre 2023 à 8h18)

La riposte féministe est là, bien visible. En cette journée mondiale de lutte pour l’avortement, les Parisiennes et Parisiens pourront avoir la surprise de découvrir ce jeudi 28 septembre un autocollant ornant le garde-boue de leurs Vélib : «Un enfant c’est un choix, l’IVG c’est un droit». L’opération a duré une bonne partie de la soirée de mercredi. Répartis en six groupes, près de 200 militantes et militants du collectif féministe #NousToutes ont sillonné l’ensemble des stations Vélib de Paris. L’opération est une réplique à l’assaut conservateur du collectif anti-choix «Les Survivants» qui avaient décoré les vélos de stickers contre l’avortement.

Une vingtaine de personnes se rassemblent à 20 h 30, place du Commerce, pour quadriller les XVe et XVIe arrondissements, dans l’ouest de la capitale. «Il faut encore rappeler l’évidence. L’IVG est remise en question par la montée du fascisme en France et dans le monde», s’alarme Elen, 26 ans, en citant la Pologne, la Hongrie, les Etats-Unis. C’est elle qui a imaginé avec le comité local de #NousToutes cette action dès le mois de juin. Une manière aussi de rappeler la nécessite d’inscrire l’IVG dans la Constitution, un projet toujours en suspens. Grâce à une cagnotte de 1 200 euros, 25 000 autocollants reprenant ce slogan historique de la lutte pour le droit à l’avortement ont été imprimés avec pour objectif d’affubler 12 500 vélos en libre-service de ces stickers violets, la couleur des féministes.

«C’est dérangeant si on en met dans les métros ou c’est que les Vélib ?» demande Multi, 19 ans, qui a passé «quatre jours à déchiqueter les autocollants des fachos» en juin. Mais le mot d’ordre est clair : on ne colle que sur les vélos. Les anti-avortement «ont repris le même mode d’action que les féministes, la réappropriation de l’espace public. J’ai trouvé ça insupportable», tonne Margot, militante de 27 ans. Dans la pénombre, les militantes dégainent une carte interactive. Les secteurs sont représentés par couleurs et chaque station y est répertoriée avec un point rouge. «L’idée est de les passer en vert une fois que vous l’avez fait pour qu’on soit efficace», indique Elen.

«Ah c’est la guerre !»

«J’ai envie d’une revanche. En juin, c’était une provocation de la part des anti-choix. Les Vélib sont utilisés par beaucoup de jeunes notamment. C’est pour ça que ça a marché pour eux et que ça marchera pour nous», martèle Antoinette, 24 ans, qui est allée jusqu’à gratter au marqueur les messages anti-avortement trop tenaces pour être décollés.

Après quelques instants de flottement pour que chaque groupe trouve sa direction, les équipes partent à la recherche de vélos. Certains portent encore les stigmates de la campagne anti-IVG, celle des «vilains» comme dit Séverine, militante de 48 ans. «J’espère que nos stickers ne se décolleront pas facilement. Les leurs étaient imposants, à la taille du garde-boue et difficile à décoller», s’inquiète-t-elle. Ce qui prouve que ces groupuscules d’extrême droite «ont des moyens», rappelle-t-elle, avant de lâcher : «On régresse, on est amené à refaire quasiment les mêmes actions que les féministes des années 70.»

En un clin d’œil, les bicyclettes, objet historiquement libérateur pour les femmes, deviennent porte-voix de ce droit fondamental. Des regards curieux s’attardent sur cette drôle d’entreprise. Les militantes se croisent au détour des rues. Anna (1), 23 ans, fraîchement débarquée chez #NousToutes, rapporte : «A notre premier parc, un mec est sorti de son immeuble et il est venu vérifier chaque Vélib. Il n’a pas décollé les autocollants mais peut-être qu’il attendait qu’on parte…» A 23 heures, dans le XVe arrondissement, des stickers avaient déjà été arrachés. D’autres avaient été recouverts d’autocollants de la «Cocarde étudiante», une organisation étudiante d’extrême droite. «On a recollé par dessus», s’indigne Marion (1). Un homme rapidement rejoint par une dizaine de personnes, semblant faire partie de cette organisation, a même menacé physiquement le trio. «On a fini par partir. Si on avait insisté, on se serait pris des coups. Son argumentation, c’était “vous allez tuer des bébés”», témoigne Marion, recontactée par téléphone, photos à l’appui.

Plus tôt dans la soirée, dans un autre groupe, deux jeunes femmes interpellées par ce collage ont, elles, rejoint l’action. Attendant de pouvoir récupérer un Vélib sur lequel une militante est en train de recouvrir un sticker anti-IVG à peine égratigné, une Parisienne résumait sans le savoir la lutte qui s’annonçait dans les rues de la capitale : «Ah, c’est la guerre !»

(1) Les prénoms ont été changés.

Mise à jour : à 8h20 avec de nouveaux éléments de reportage.

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