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Pollutions

Amazon et ses milliers de satellites vont polluer le ciel

Les premiers satellites de la «constellation Kuiper» d'Amazon ont été mis en orbite le 6 octobre/

Amazon veut déployer une constellation de 3 200 satellites de télécommunication pour vendre des connexions à internet. Un projet qui s’ajoute à de nombreux autres, préparant une pollution massive de l’espace terrestre.

Deux nouveaux satellites ont décollé de la base étasunienne de Cap Canaveral, en Floride, dans l’après-midi du 6 octobre (à 20 h, heure de Paris). Destinés à orbiter à quelque 500 km au-dessus de nos têtes, ces deux engins, nommés KuiperSat-1 et KuiperSat-2, ne sont pas des satellites ordinaires.

Propriétés de la multinationale Amazon, ils sont les précurseurs et les cobayes d’un projet bien plus vaste : le déploiement de la « constellation Kuiper », soit plus de 3 200 satellites de télécommunication, avec lesquels Amazon veut vendre un service d’accès satellitaire haut débit à Internet.

Ces deux prototypes KuiperSat-1 et 2 doivent permettre de tester en conditions réelles la connexion et le bon fonctionnement du service. Si ces tests sont concluants, les choses pourraient ensuite aller très vite : le lancement de l’armada de satellites Kuiper doit démarrer dès le premier semestre 2024 et une première offre bêta est prévue pour entrer en service avant fin 2024.

10 milliards de dollars d’investissements

La mise en place de l’ensemble de la constellation, toutefois, prendra quelques années. Amazon s’est engagé auprès du régulateur étasunien des télécommunications à avoir déployé la moitié de ses satellites en 2026, et le reste d’ici 2029. Un projet pharaonique dans lequel l’entreprise a prévu d’investir plus de 10 milliards de dollars.

Si Amazon met autant de moyens et d’énergie dans ce projet, c’est parce qu’elle souhaite rattraper le retard pris sur ses principaux concurrents. Car le marché des constellations de satellites représente un bouleversement majeur en cours dans le monde du commerce aérospatial.

L’évolution des technologies a permis en effet à la fois de miniaturiser les satellites et de baisser drastiquement le coût de leur envoi dans l’espace. Ces conditions favorables ont offert à quelques milliardaires technophiles comme Jeff Bezos (propriétaire d’Amazon) ou Elon Musk (propriétaire de SpaceX) l’opportunité de développer ces constellations en orbite basse.

Pour une meilleure connexion

Avantage : ces orbites sont bien plus proches des utilisateurs, à quelques centaines de km d’altitude, contre 36 000 km pour les satellites géostationnaires traditionnels, ce qui permettrait de réduire considérablement les temps de communication et donc d’améliorer l’offre de connexion.

Inconvénient : ces orbites ne sont, par définition, pas géostationnaires : c’est-à-dire que les satellites ne sont pas fixes au-dessus d’une région terrestre mais tournent très vite autour du globe. Il faut donc en déployer des centaines, voire des milliers, pour offrir une connexion stable et couvrir l’ensemble des zones de la planète.

Des dizaines de milliers de satellites

Première sur le marché, la constellation Starlink développée par SpaceX a déjà lancé plus de 3 600 satellites depuis 2019. Les lancements continuent de s’enchaîner et SpaceX prévoit à moyenne échéance de porter sa constellation à 12 000 entités et pourrait même, à terme, atteindre 42 000 satellites. Même si l’entreprise a récemment annoncé que ce chiffre ne serait probablement pas atteint.

Et les projets se multiplient. L’autre entreprise la plus avancée sur le sujet, OneWeb, en cours de rachat par l’Européen Eutelsat, mise sur une constellation de plus de 600 satellites. La Chine veut également développer sa propre constellation de 13 000 satellites.

Ces chiffres sont d’autant plus vertigineux si on les met en perspective avec l’histoire de l’aérospatial : entre le lancement du premier satellite artificiel, Spoutnik 1, en 1957, et 2017, soit avant l’arrivée des premiers satellites Starlink, l’humanité avait envoyé moins de 8 000 objets dans l’espace, selon le décompte du Bureau des affaires spatiales des Nations unies.

Des débris de plus en plus nombreux et dangereux

Les plus de 30 000 satellites que ces différentes compagnies ambitionnent de déployer dans les prochaines décennies sont source de nombreuses tensions et préoccupations à cause de la pollution qu’ils génèrent. À commencer par la pollution lumineuse, la lumière reflétée par ces satellites gênant considérablement le travail des astronomes et l’observation du cosmos, comme nous l’évoquions déjà dans cette enquête.

À ce sujet, l’un des deux satellites prototypes lancés par Amazon doit tester une méthode pour réduire sa brillance. La multinationale évoque la mise en place d’un « pare-soleil » sur l’un des deux satellites, et la récolte de données pour comparer la réflectivité des deux satellites, sans plus de précision.

Un autre enjeu majeur concerne la multiplication des débris spatiaux. Ces déchets issus d’engins spatiaux orbitant autour de la terre sont au nombre de 36 500 pour ceux de plus de 10 cm, de plus d’un million pour ceux entre 10 et 1 cm, sans compter les 130 millions d’objets compris entre 1 cm et 1 mm, selon le dernier décompte de septembre 2023 de l’Agence spatiale européenne (ESA).

Même minuscules, ces objets orbitant à 30 000 km/h autour de la Terre sont susceptibles de provoquer des dégâts considérables et représentent un danger mortel pour les astronautes en cas de collision. Encore relativement modéré, ce risque augmente avec l’accumulation de déchets.

Des orbites à « nettoyer »

Et les collisions générant à leur tour une myriade de déchets, le risque est que se déclenche une réaction en chaîne, une multiplication exponentielle et incontrôlable de débris. Ce que les astronomes appellent le « syndrome de Kessler ». « Une fois ce point atteint, certaines orbites basses pourraient devenir entièrement inhospitalières », redoute l’ESA, qui extrapole dans un rapport de 2022 le nombre de « collisions catastrophiques » possibles à plus de 200 d’ici la fin du siècle.

Les réflexions et projets, tant pour « nettoyer » les orbites de leurs déchets que pour réguler et limiter leur production, se multiplient à mesure que croît la menace. Preuve que l’enjeu est pris de plus en plus au sérieux : une entreprise de télécommunication a, pour la première fois, été condamnée à payer une amende pour abandon de débris dans l’espace.

Le 2 octobre 2023, la commission étasunienne des communications a annoncé avoir condamné l’entreprise Dish Network à lui verser 150 000 dollars d’amende. Il lui est reproché de ne pas avoir correctement désorbité un satellite en fin de vie, comme la loi étasunienne l’y oblige, et de l’avoir abandonné sur une orbite basse susceptible de générer de nouveaux débris délétères.

Les manœuvres d’évitement comme le nombre de collisions entre débris et satellites ne cessent d’augmenter, alerte l’ESA. « 2 409 nouveaux satellites suivis ont été insérées en orbite autour de la Terre en 2022, un record absolu », note l’agence. Avec le déploiement de la constellation d’Amazon et celles de ses concurrents, ce record ne devrait pas tenir très longtemps.

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