Une taxe mondiale sur les milliardaires? L’idée fait son chemin

Après le diagnostic, l’heure du chiffrage: une taxation mondiale à hauteur de 2% du patrimoine des milliardaires générerait plus de 200 milliards d’euros de recettes annuelles mondiales, dont 40 milliards pour les Etats européens, selon un rapport publié par l’Observatoire européen de la fiscalité.

Avec ces travaux auxquels ont contribué une centaine de chercheurs, le laboratoire de recherche dirigé par l’économiste français Gabriel Zucman tente d‘accréditer un peu plus l’hypothèse d’une taxation des plus fortunés, déjà esquissée par plusieurs rapports publiés en France en 2023. 

« Les milliardaires du monde entier ont des taux d’imposition effectifs allant de 0 à 0,5% de leur patrimoine, en raison de l’utilisation fréquente de sociétés-écrans pour échapper à l’impôt sur le revenu », déplore l’Observatoire, financé notamment par l’Union européenne.

Au printemps, l’Institut des politiques publiques avait déjà constaté « une forte régressivité du taux d’imposition global » une fois franchi le seuil des 0,1% de Français les plus riches. Invité de la radio France Inter, Gabriel Zucman a jugé que le transfert de patrimoine vers des sociétés-écrans était « à la frontière entre la légalité et l’illégalité ».

« La loi fiscale française, comme celle de la plupart des autres pays, a des règles générales anti-abus qui disent que les montages et transactions menés avec pour but principal et unique d’échapper à l’impôt sont illégaux », a poursuivi l’économiste de 36 ans, lauréat de multiples récompenses prestigieuses (médaille John Bates Clark, Prix Bernacer). « Or ces sociétés-écrans, ces holdings », où les milliardaires logent leur patrimoine, « n’ont souvent d’autre but que d’échapper à l’impôt », a soutenu Gabriel Zucman. 

L’Observatoire propose donc de mettre en place un impôt minimum mondial sur le patrimoine de quelque 2.800 milliardaires, dont le taux serait fixé à 2%. 

Le principe de ce prélèvement rappelle celui de l’impôt minimum à 15% sur les bénéfices des entreprises, qui se déploie progressivement à travers le monde après la conclusion d’un accord international sous l’égide de l’OCDE, fin 2021.

Recettes « indispensables »

Actuellement, les milliardaires européens ne paient que six milliards de dollars d’impôts par an, assure l’Observatoire.  

Mais en imposant à 2% leur patrimoine, ces recettes fiscales pourraient septupler pour atteindre 42,3 milliards de dollars (40 milliards d’euros) annuels en Europe – un terme qui englobe ici les 27 Etats membres de l’Union européenne, le Royaume-Uni et certains pays d’Europe de l’Est non membres de l’UE.

A l’échelle mondiale, les revenus annuels atteindraient 214 milliards de dollars (plus de 200 milliards d’euros).

Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, qui a préfacé le rapport de l’Observatoire, souligne que ces abondantes recettes « sont indispensables à nos sociétés (…) à l’heure où les gouvernements doivent consentir des investissements essentiels dans l’éducation, la santé, les infrastructures et la technologie. »

Pour financer une autre priorité, la transition écologique, l’économiste Jean Pisani-Ferry et l’inspectrice générale des Finances Selma Mahfouz avaient eux aussi suggéré en mai d’introduire une taxation exceptionnelle sur le patrimoine financier des Français les plus aisés. 

Une piste à l’époque fermement écartée par le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire. Depuis, le ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave a dit vouloir créer un « groupe de travail transpartisan » pour réfléchir à l’imposition internationale des particuliers.

Mais le gouvernement français écarte toujours toute nouvelle taxe nationale sur le patrimoine des plus fortunés, jugeant qu’un tel prélèvement doit se décider au niveau européen ou international. Quand bien même une taxe mondiale verrait le jour, le combat ne serait pas encore gagné, avertit l’Observatoire européen de la fiscalité.

Depuis l’accord de 2021 à l’OCDE, l’impôt minimum mondial sur les sociétés a été « considérablement affaibli », jugent les chercheurs.

L’accord négocié à l’OCDE contient, en effet, une dérogation qui permet aux entreprises d’exclure une partie de leurs actifs et de leur masse salariale de l’assiette de l’impôt. Leur taux d’imposition réel chute donc nettement en dessous des 15% théoriquement prévus.

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