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La nouvelle «polémique Benzema», plus révélatrice qu’il n’y paraît

CHRONIQUE. Les clins d’œil du footballeur à sa pratique religieuse seraient pour ses détracteurs autant de preuves de son peu d’amour pour la France. Ce qui ulcère une grande partie de l’électorat et en fait donc une cible de choix

Karim Benzema lors d’un match à La Mecque. 28 août 2023. — © IMAGO/Khalid Alhaj/MB Media
Karim Benzema lors d’un match à La Mecque. 28 août 2023. — © IMAGO/Khalid Alhaj/MB Media

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La semaine française aura une nouvelle fois été marquée par une polémique à l’accroche en apparence anecdotique mais qui met le feu aux poudres. Dans une petite phrase bien calculée, l’ambitieux Gérald Darmanin a accusé sans apporter de preuve le Ballon d’or Karim Benzema d’être «en lien notoire avec les Frères musulmans». Le ministre de l’Intérieur pensait illustrer ainsi de manière spectaculaire le «djihadisme d’atmosphère» contre lequel il entend lutter. L’ancien attaquant des Bleus par intermittence (à cause des controverses à répétition) avait posté un message envoyant toutes ses prières «pour les habitants de Gaza, victimes une fois de plus de ces bombardements injustes». Le ministre lui reprochait, et à travers lui à une partie des «quartiers» et de La France insoumise, de ne rien avoir dit pour les victimes israéliennes du Hamas.

Il n’en fallait pas plus pour créer la controverse de la semaine, la gauche estimant que l’on avait quitté «l’Etat de droit pour entrer dans l’ère du soupçon» et une sénatrice de droite allant jusqu’à demander la déchéance de nationalité du joueur d’origine algérienne. Rappelons qu’il est né et a grandi à Lyon, tout comme sa mère.

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L’avocat de Karim Benzema a fait savoir que le joueur allait porter plainte contre le ministre et les politiciens qui l’ont attaqué sur ce sujet. Le footballeur «n’a jamais eu la moindre relation» avec les Frères musulmans, a affirmé son représentant, ajoutant qu’il avait choisi de vivre en Arabie saoudite, pays qui qualifie cette organisation de terroriste.

Mais la polémique et les menaces n’ont pas empêché Gérald Darmanin de remettre de l’huile sur le feu tout au long de la fin de semaine dernière. Il a notamment affirmé qu’il ne retirerait ses propos que si le sportif «tweetait» pour «pleurer également» la mort de l’enseignant tué par un jeune radicalisé dans le nord de la France.

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On le voit, le débat français vole toujours aussi haut qu’une passe à ras de terre. Mais on pourrait aussi se demander si cette nouvelle «polémique Benzema» n’en dit au fond pas plus que bien d’autres invectives de ces derniers jours.

D’un côté, un joueur qui a quitté le Real Madrid pour s’engager dans un club d’Arabie saoudite à grand renfort de communication et de posts Instagram en tenue traditionnelle. Il n’a évidemment jamais fait la promotion de l’islamisme radical. C’est par ailleurs son droit de réagir sur les réseaux sociaux quand il le souhaite. Ce qui lui est véritablement reproché, comme à l’époque où il refusait de chanter La Marseillaise, c’est de préférer la culture de ses ancêtres. Et ce, du haut de ses millions de followers. «Le footballeur utilise sa communication sur les réseaux sociaux comme un vecteur d’influence au profit d’un soft power arabo-musulman», fait remarquer Le Figaro. Ses clins d’œil à sa pratique religieuse seraient pour ses détracteurs autant de preuves de son peu d’amour pour la France. Ce qui ulcère une grande partie de l’électorat et en fait donc une cible de choix pour ceux qui chassent sur ces terres.

La jambe droite du «en même temps» macronien

De l’autre côté, un ministre de l’Intérieur ayant lui aussi des origines maghrébines et populaires, et qu’on pourra donc difficilement accuser de racisme. Gérald Darmanin peut porter haut la ligne droitière dont Emmanuel Macron a besoin pour répondre aux peurs d’un pays qui ne lui a pas donné de majorité parlementaire. La priorité du ministre est d’ailleurs de rapidement faire voter sa loi immigration qui ne pourra passer qu’avec l’aval de la droite qu’il doit donc séduire. L’hyperactif et talentueux premier flic de France, souvent comparé à Nicolas Sarkozy, a le profil (et le poste) idéal pour incarner la jambe droite du «en même temps» présidentiel. Puis, le moment venu, embrasser plus à droite encore dans un paysage politique qu’il faudra recomposer post-Macron.

Pendant ce temps se diffuse cette impression que l’on assiste à un débat sur ce que devrait être un bon descendant d’immigrés. Et pendant que le ministre reproche au footballeur de «tweeter de manière sélective», les islamistes radicaux et l’extrême droite continuent chacun de leur côté à ramasser les fruits de cette ambiance délétère.

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