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En Afrique du Sud, le « mamie foot » change le regard sur le grand âge

« L’Afrique au centre du jeu » (3/4). Selon la pionnière Mama Beka, qui a organisé une Coupe du monde des mamies dans son village de Nkowankowa, le pays compte aujourd’hui quelque 200 équipes de grands-mères.

Par  (Johannesburg, correspondance)

Publié le 25 octobre 2023 à 20h00, modifié le 01 novembre 2023 à 10h17

Temps de Lecture 3 min.

Lors de la Coupe du monde des mamies, au stade de Nkowankowa, en Afrique du Sud, le 26 mars 2023.

L’Afrique du Sud a organisé deux coupes du monde de football. Celle de la FIFA en 2010, et celle de « mamie foot » en mars 2023. Shakira n’est pas venue chanter Waka Waka lors de ce tournoi international des grands-mères, mais des artistes locaux ont mis l’ambiance. Et les deux événements sont liés, puisque c’est en 2010, pendant le Mondial de football, que des journalistes étrangers s’intéressent au club du troisième âge d’une certaine « Mama Beka » et le font connaître au reste du monde.

Le reportage est diffusé sur les télévisions du Massachusetts, aux Etats-Unis, où Jean Duffy, footballeuse amatrice de 64 ans, et ses coéquipières se sentent instantanément « liées à ces femmes inspirantes » âgées de 40 à 80 ans. Impressionnée, la sportive sexagénaire prend contact avec Mama Beka et se lie d’amitié avec cette figure de Nkowankowa, un township rural du nord-est de l’Afrique du Sud.

Dans la province du Limpopo, tout le monde connaît Rebecca Beka Ntsanwisi, dite « Mama Beka », ancienne présentatrice sur la radio publique SABC, aussi appelée « Mère Teresa » pour ses activités philanthropiques. L’histoire du « mamie foot » en Afrique du Sud remonte au milieu des années 2000, quand elle se met à la marche sur les conseils de son médecin pour affronter un cancer du côlon. Des femmes la reconnaissent et la rejoignent. Le manque d’activité physique de ces femmes, souvent assignées à résidence pour s’occuper du foyer, accentue leurs souffrances.

« Les grands-mères ont presque toutes les mêmes problèmes : mal aux hanches, aux épaules et aux jambes, hypertension, diabète, stress. Et beaucoup d’entre elles font de la dépression à cause d’une vie difficile, confie Mama Beka. Je me souviens d’une femme qui avait perdu quatre de ses enfants du sida et qui devait prendre en charge ses petits-enfants alors qu’elle n’avait pas assez d’argent. »

« L’équipe offre un soutien émotionnel »

Un jour, après avoir marché ensemble, ces femmes se reposent sous un arbre. Des gamins jouent au foot sur le terrain d’en face. Un ballon s’égare à leurs côtés, comme une révélation. « L’une des grands-mères se met à courir pour tirer dans le ballon mais elle le rate, court de nouveau et le rate encore, essaie une énième fois et manque encore la balle. Les enfants étaient hilares ! Ils ont couru dans notre direction pour récupérer la balle et ils ont fini par faire des passes avec les grands-mères », raconte Mama Beka.

Le lendemain, l’une des mamies l’appelle pour lui dire tout le bien que ce jeu lui a fait. Elle a dormi comme un bébé et veut recommencer. La rumeur circule que Mama Beka monte une équipe de foot. « On était dix le lendemain !, se souvient-elle. Les gens me reconnaissaient, ils criaient mon nom, ça prenait de l’ampleur. » Cinq jours après, ils sont 80 à jouer au foot et le club des Vakhegula Vakhegula (« les mamies », en langue tsonga) voit le jour en 2007. Aujourd’hui, la patronne dit compter 200 équipes de « mamie foot » en Afrique du Sud.

« Le foot signifie tellement de choses pour elles », s’émeut Jean Duffy, qui a écrit un livre sur cette histoire, Soccer Grannies. « L’équipe offre un soutien émotionnel, elle leur permet d’affronter ensemble les aléas de la vie », résume l’athlète, qui a participé à la finale de la Coupe du monde des mamies. Une équipe française, Footeuses à tout âge, a également pris part au tournoi. Mais pour Marie-France Gosselet, la présidente du club, l’important « ce n’est pas l’esprit de compétition mais le bien-être des femmes, comme Beka l’a voulu au départ ».

« Ce sont les héroïnes du village »

Le « mamie foot » contribue à changer le regard de la société sur le grand âge. « On n’est pas des bêtes curieuses », confirme Marie-France Gosselet, qui voit les mentalités évoluer. Les tribunes du stade de Nkowankowa étaient remplies de jeunes venus soutenir leurs aînées. « C’est une source de motivation pour des gens plus jeunes comme moi. Si elles peuvent le faire, pourquoi pas nous ? », se réjouissait Tsakani Shihundla, une spectatrice rencontrée sur place. « Il y a des grands-mères qui courent plus vite que toi ! Viens, tu ne pourras pas les suivre », nous taquine Mama Beka au téléphone.

Mais aujourd’hui, c’est après les sponsors qu’elle court. « Mon défi, c’était d’aider financièrement les équipes africaines. Elles n’avaient pas un centime, je devais payer leur transport, m’occuper du logement », rappelle-t-elle. Initialement invitées, les équipes du Togo, de la Guinée, du Lesotho, de la Zambie ou du Malawi n’ont pas pu faire le déplacement. Sa Coupe du monde des mamies l’a endettée, elle doit encore de l’argent à des partenaires et cherche des financements pour voyager en France en juin 2024 et médiatiser sa compétition. Celle-ci reviendra à Nkowankowa, promet Mama Beka. Objectif : 2025.

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« Il devrait y avoir des clubs de mamie foot partout dans le monde », s’enthousiasme Jean Duffy, qui soutient l’organisation d’un nouveau tournoi : « C’était une expérience extraordinaire de voir autant de monde honorer et respecter des femmes âgées jouant au foot. Ça montre à quel point Beka et ses équipes ont fait bouger les choses. Avant, on leur disait de rester à la maison pour s’occuper des petits-enfants. Maintenant, ce sont les héroïnes du village. » « Maradona ! », « Mbappé ! », « Messi ! » Depuis les tribunes, le public s’amusait à renommer les footballeuses aux maillots anonymisés. Ce n’étaient plus des mamies, c’étaient des stars.

Cet article a été écrit dans le cadre d’un partenariat avec la Fondation Visa.

Sommaire de notre série « L’Afrique au centre du jeu »

La série « L’Afrique au centre du jeu » a été publiée à l’occasion de l’événement organisé par Le Monde Afrique à Abidjan le 26 octobre. A deux mois et demi de l’ouverture de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui doit se tenir à partir du 13 janvier 2024 en Côte d’Ivoire, les débats ont notamment porté sur l’inclusion dans le sport, au cœur de ces articles. Retrouvez le programme complet ici.

Présentation de notre série « L’Afrique au centre du jeu » L’Afrique, prochain terrain de jeu du sport mondial ?
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