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Inauguration de plusieurs cellules EVA à Bruxelles : "Offrir un accueil correct aux femmes qui franchissent la porte des commissariats"

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Ce 20 octobre, un point d’entrée EVA était inauguré au sein de la zone de police Nord, plus précisément dans le commissariat d’Evere, en présence de la secrétaire d’État en charge de l’Égalité des Chances Nawal Ben Hamou (PS), ainsi que de Cécile Jodogne (DéFI), Ridouane Chahid (PS) et Emir Kir, les bourgmestres des trois communes de la zone. De nombreuses associations de terrain, partenaires du projet, étaient également présentes dont SOS Viol, SOS Inceste, Touche pas à ma pote et la RainbouwHouse.

EVA, késako ? Derrière cet acronyme se cache le terme "Emergency victim assistance". Il s’agit d’une cellule dédiée spécifiquement à l’accueil des victimes de violences sexuelles ou intrafamiliales. Plus concrètement, il s’agit d’accueillir les victimes, dans des locaux aménagés et adaptés, par des policiers et policières formé·es à ces questions, afin d’éviter toute victimisation secondaire, c’est-à-dire des violences qui s’ajoutent aux violences déjà subies, par exemple des remarques culpabilisantes ou des jugements à propos de l’attitude de la victime.

Lors de cette inauguration, le Commissaire Divisionnaire Olivier Slosse, Chef de Corps de la Zone de Police Bruxelles Nord, a expliqué : "Il faut parfois beaucoup de courage pour franchir la porte d’un commissariat et dénoncer des faits dont on est victime. Avec EVA, nous rendons notre offre de service plus accessible en ajoutant une porte d’accès supplémentaire pour les victimes qui éprouvent des difficultés à nous contacter via les canaux habituels."

La création de ces cellules est prévue dans le plan bruxellois de lutte contre les violences faites aux femmes. La toute première a été créée en 2021, au sein de la zone de police Bruxelles/Ixelles, dans le commissariat central au centre de Bruxelles. La zone de police Midi a suivi la même année, dans le commissariat d’Anderlecht.

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Au moins une cellule dans chaque zone de police

"Il est important d’offrir un accueil correct aux femmes qui franchissent la porte des commissariats. Depuis le premier jour de mon mandat, ce projet est une priorité pour moi. En collaboration avec la police, j’ai commencé en 2019 par rencontrer chaque chef de corps de chaque zone de police bruxelloise afin de pouvoir travailler ensemble à une meilleure prise en charge des victimes qui viennent déposer plainte. Et en rentrant dans les commissariats, on s’est bien rendu compte que ce n’était pas facile, il faut parler au micro, devant une vitre, etc. Le phénomène de la victimisation secondaire peut et doit être évité. Être formé·e à accueillir la parole des victimes de violences, aux concepts de domination, avoir les bons réflexes : il est primordial que les policiers et policières soient aptes à recueillir ces personnes de la façon la plus adéquate et professionnelle possible Nous espérons que les six zones de police que compte la Région bruxelloise posséderont au moins une cellule EVA", explique aux Grenades Nawal Ben Hamou.

"Comme les territoires couverts par ces zones de police sont très vastes, il est possible d’ouvrir des cellules dans différents commissariats d’une même zone. La zone de police de Bruxelles/Ixelles inaugurera d’ailleurs ce 22 novembre sa deuxième cellule EVA, dans le commissariat d’Ixelles, tout près de l’ULB, ce qui nous semble important au vu du récent mouvement Balance ton bar. Et le 12 décembre, nous inaugurerons une cellule EVA au sein du commissariat d’Etterbeek. Cinq zones de police seront donc couvertes, et nous relancerons un appel à projet à ce sujet en 2024 pour poursuivre le travail. Je dois dire que nous sommes bien reçu·es et que le sujet intéresse les policiers et policières, qui ont aussi envie que les choses changent", continue-t-elle.

Les victimes disent quand le travail de la police a été bien fait autour des violences qu’elles ont subies. Cela les marque, parfois encore des années après. C’est la preuve que ce travail policier est très important pour les victimes ! Cela leur permet de prendre conscience de la gravité des faits, ou que cette gravité soit reconnue par une institution

Un suivi et un monitoring de ces cellules sont prévus. Les seuls chiffres disponibles pour l’instant concernent la zone Bruxelles/Ixelles : en 2022, 150 victimes ont été entendues par les deux membres de la cellule EVA. "En 2023, cette cellule a été augmentée à sept membres. On aura les chiffres à la fin de cette année, mais c’est vraiment le nombre de personnes qui détermine le nombre d’audition possible", précise Nawal Ben Hamou.

"On met enfin la victime au centre"

Coralie Heyndrickx et Marielle Jans sont toutes deux inspectrices au sein de la Brigade Judiciaire Centralisée section Mœurs / pédocriminalité. Elles travaillent ensemble au lancement du projet EVA.

Il faut parfois beaucoup de courage pour franchir la porte d’un commissariat et dénoncer des faits dont on est victime

"Au sein de ces cellules, on met enfin la victime au centre. L’accent est mis sur son rythme. Les victimes craignent souvent d’être jugées, il faut offrir un accueil bienveillant par rapport aux faits qu’elle dénonce. Chacun a une sa propre histoire, il faut entendre ce qu’elle a à nous dire avant de pouvoir l’embarquer avec nous dans une autre histoire, celle de la machine judiciaire. Cela manque dans certains commissariats, il faut imaginer : ils doivent parfois gérer en même temps un meurtre, un incendie et une bagarre, ce n’est pas toujours humainement possible d’accueillir cette parole et de laisser la victime lâcher son fardeau", explique Marielle Jans. "Les cellules EVA disposent d’un local d’accueil plus chaleureux, ainsi que d’un local d’audition spécifique. On crée un cocon autour des victimes", renchérit Coralie Heyndrickx.

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Les cellules EVA se distinguent des Centres de prises en charge contre les violences sexuelles (CPVS). Il en existe un en région Bruxelloise, attaché à l’hôpital Saint-Pierre. Les CPVS sont des centres spécialisés dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles, avec un accompagnement holistique, global : psychologique, médical, médico-légal. Ils offrent aussi la possibilité de porter plainte. L’ensemble du personnel présent dans le centre est formé.

Les victimes y sont reçues pour des faits de violences sexuelles qui se sont produits il y a maximum sept jours. "Cela permet par exemple à certains prélèvements médicaux d’être faits. Au-delà de sept jours, les victimes doivent se rendre dans un commissariat", souligne Coralie Heyndrickx. "La différence aussi, c’est que les cellules EVA ne s’occupent pas que des violences sexuelles, mais aussi des violences intrafamiliales. Nous travaillons en étroite collaboration avec le CPVS de Bruxelles car depuis janvier 2023, il y a dans chaque commissariat bruxellois un inspecteur ou une inspectrice formé·e sur ces questions qui est amené·e à effectuer des gardes au sein du CPVS. En plus de son rôle de garde judiciaire, cette personne a un rôle de garde CPVS, car la police est aussi présente au sein de cette structure", complète Marielle Jans.

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Pour Marcel Ares, bénévole au sein de l’association Vie Féminine, la présence policière au sein des CPVS a été soigneusement réfléchie : "J’ai travaillé au lancement du CPVS de Bruxelles, car j’ai été pendant 20 ans psychologue au sein du CETIM, le centre de référence pour les maladies infectieuses. J’étais fréquemment confrontée à des victimes de violences sexuelles. C’est peu souvent raconté mais elles doivent prendre des traitements contre ces maladies, le plus rapidement possible. Le traitement contre le VIH dure un mois, et il y a aussi la question des autres infections sexuellement transmissibles. Dans les CPVS, nous avons fait le choix de ne pas placer la police au centre. La police vient en deuxième ligne, après les médecins, les infirmières et les psychologues, car c’est parfois un obstacle pour les victimes. Ces violences ont souvent lieu dans les familles. Pour certaines, il est très difficile de se dire directement qu’elles vont porter plainte contre quelqu’un qu’elles connaissent et il est fréquent qu'elles refusent de porter plainte. C’est tout un cheminement, ce qui complique le fait d’arriver à pousser la porte d’un commissariat ou même d’une cellule spécifique dans un commissariat."

La question des formations

Pour autant, Marcela Ares se réjouit des formations qui seront données aux policiers et policières. "Il est toujours intéressant de former la police, car ils sont en première ligne lors des certains événements et la manière d’intervention peut s’avérer décisive pour la suite, tout cela en plus de créer un autre discours sur les violences au sein de l’institution qu’est la police, bien évidemment. Quand je travaillais au CETIM, et encore aujourd’hui dans les groupes de femmes que j’anime pour Vie Féminine, les victimes disent quand le travail de la police a été bien fait autour des violences qu’elles ont subies. Cela les marque, parfois encore des années après. C’est la preuve que ce travail policier est très important pour les victimes ! Cela leur permet de prendre conscience de la gravité des faits, ou que cette gravité soit reconnue par une institution. Reste à savoir quel sera le contenu de ces formations."

La question des formations est aussi du ressort des cellules EVA. "Nous allons entamer un travail de longue haleine au sein des commissariats pour former nos collègues, les policiers et policières de terrain. C’est compliqué car il y a un grand turn-over, les brigades se modifient rapidement, ce sera donc un travail continu pour les sensibiliser aux questions de violences sexuelles et intrafamiliales", souligne Coralie Heyndrickx. "Je pense que les policiers ont une autre mentalité et sont prêts à entendre ce discours", ajoute Marielle Jans.

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Dans les commissariats, la sensibilisation et la formation dépasseront donc à terme les seules personnes qui s’occupent des cellules EVA : "Il faut le dire, ça, car nous ne pourrons pas prendre en charge toutes les victimes au sein des cellules EVA. On va être débordées, sinon. Les cellules EVA s’adressent spécifiquement aux victimes pour lesquelles il existe des blocages, pour lesquelles pousser la porte des commissariats est impossible. Elles peuvent appeler le numéro ou envoyer un mail et on fixera un rendez-vous ensemble", indique Coralie Heyndrickx.

L’ampleur des violences

L’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes (IEFH) a publié un rapport concernant les Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS). Selon les chiffres récoltés entre 2017 et 2022, plus de 90% des victimes prises en charge sont des femmes, là où plus de 90% des auteurs de violences sexuelles sont des hommes. Le nombre de prises en charge en CPVS a doublé entre 2021 et 2022, passant de 1.662 à 3.287. Chaque jour, ce sont en moyenne 9 personnes qui sollicitent l’aide du CPVS.

L’âge moyen des victimes prises en charge est de 24 ans. Les groupes d’âge sollicitant le plus d’aide sont les mineur·es (à 31,9%) et les 18-26 ans (34,8%). En 2021, 47,8% des victimes de violences sexuelles étaient encore étudiant·es. Ce chiffre a dépassé les 50% en 2022. Dans plus de 60% des cas recensés, l’auteur des faits était connu de sa victime (soit un ex-partenaire, un colocataire, une connaissance ou un membre de la famille).

En Belgique, on estime qu’une femme sur quatre vit ou a vécu des violences conjugales. Plus de deux personnes sur cinq connaissent, dans leur cercle d’amies ou dans leur famille, des femmes victimes de violences domestiques. Les auteurs de ces violences sont, dans la très grande majorité des cas, des hommes.

 


Informations pratiques

Prendre contact avec la cellule EVA de la zone de police Bruxelles/Ixelles.

Prendre contact avec la cellule EVA de la zone Midi

Prendre contact avec la cellule EVA de la zone Nord

Prendre contact avec un CPVS (il existe 9 CPVS sur tout le territoire de la Belgique, ouverts 7 jours sur 7)


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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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