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Le Ghana veut interdire la chasse aux « sorcières »

Dans le nord du pays, plusieurs centaines de personnes accusées de sorcellerie sont cantonnées dans des villages ghettos, dans des conditions de misère extrême.

Par  (Abidjan, correspondance)

Publié le 30 octobre 2023 à 18h00, modifié le 17 avril 2024 à 10h30

Temps de Lecture 4 min.

Dans le camp de sorcières de Kukuo, situé dans le district de Namumba South, dans le nord du Ghana le 6 décembre 2016

Le Ghana est l’un des derniers pays au monde à compter encore des prisons à ciel ouvert pour « sorciers ». Six camps de fortune, tous situés dans le nord du pays, où les personnes accusées de sorcellerie sont cantonnées dans des conditions de misère extrême. Les exclus, envoyés dans ces réserves par leur famille pour leur éviter d’être lynchés, y restent jusqu’à la fin de leurs jours, sans encadrement officiel ni aide de l’Etat.

Elles seraient 500 aujourd’hui selon Amnesty International, 870 d’après le groupe de réflexion interconfessionnel Sanneh Institute qui les a recensées en 2021. Des femmes dans 90 % des cas, souvent âgées, veuves ou célibataires. Toutes victimes d’un ostracisme auquel le Parlement ghanéen entend bientôt mettre fin.

Ce dernier a voté le 27 juillet une proposition de loi, portée par le député d’opposition Francis-Xavier Kojo Sosu, visant à protéger les personnes accusées de sorcellerie, en requalifiant en crime leur maltraitance ou leur bannissement de la communauté. Le texte doit désormais être ratifié par le président Nana Akufo-Addo, à qui les organisations de la société civile qui travaillent dans les camps vont envoyer, dans les jours à venir, une lettre ouverte pour l’alerter sur l’urgence de la situation.

Le vote au Parlement en juillet a eu lieu trois ans, presque jour pour jour, après la mort violente et très médiatisée d’Akua Denteh à Kafaba, dans la région des Savanes dans le nord du pays. La victime, dont les médias locaux ont estimé l’âge à plus de 90 ans, avait été accusée de sorcellerie par une prêtresse traditionnelle. Son crime supposé : avoir jeté un maléfice pour empêcher la pluie de tomber.

Lynchages

Une vidéo devenue virale montrait Akua Denteh se faire torturer à mort par deux femmes, dont la prêtresse elle-même, sur la place du village à coups de poing, de fouet et de pierre. Son calvaire a duré plusieurs heures devant une assistance qu’on entend par moments acclamer les bourrelles. L’assassinat, qualifié de « barbare » par le président Nana Akufo-Addo, s’est soldé par l’arrestation de sept personnes.

Les deux meurtrières ont été condamnées en juillet à douze ans de prison, mais les cinq autres accusés, dont le chef du village de Kafaba, ont été acquittés de toutes les charges qui pesaient sur eux. Les spectateurs du lynchage, qui apparaissent pourtant à visage découvert sur la vidéo, n’ont pas été inquiétés. Le cas d’Akua Denteh n’est pas isolé. Deux personnes ont été lynchées le 7 mai à Zakpalsi, dans le district de Mion, dans le nord-est du pays.

Dans la plupart des cas, ces violences restent impunies. « La loi est mal appliquée au Ghana de manière générale, et d’autant plus quand les victimes sont issues des populations rurales pauvres. De plus, l’accusation de sorcellerie est généralement formulée par un membre de la famille de la victime, donc la famille et le village ont tendance à faire pression pour étouffer l’affaire. La proposition de loi veut élargir la responsabilité pénale à tous les acteurs de ce genre de procès populaire », explique John Azumah, directeur exécutif du Sanneh Institute, qui préside une coalition d’organisations de la société civile qui ont travaillé sur le texte et milité pour son adoption.

Tenir les autorités coutumières responsables

Si la loi est ratifiée par le président Akufo-Addo, le fait de lancer une accusation en sorcellerie deviendra passible d’une peine de trois à cinq ans de prison. Exercer la profession de « witch doctor », traduisible ici par « chasseur de sorcières », sera illégal, et les autorités coutumières locales tenues responsables des violences commises à l’encontre des personnes concernées dans leur communauté. Si l’effet dissuasif n’est pas immédiat, la coalition des ONG a promis de fournir une assistance juridique aux personnes ciblées.

L’autre volet de la proposition de loi concerne les femmes déjà accusées de sorcellerie et contraintes à l’exil pour fuir les persécutions. Il prévoit en particulier le démantèlement des camps de fortune où celles-ci sont entassées et livrés à elles-mêmes, sans mesure de protection ni soutien financier.

« Le gouvernement ghanéen n’a pas de structure destinée à protéger les plus faibles, résume John Azumah. Si votre famille vous laisse tomber, vous n’avez plus rien. » Les exilées peuvent parfois travailler aux champs si le village qui jouxte leur camp leur accorde quelques terres. Les autres ratissent la place du marché après le départ des commerçants pour récupérer les fruits et les tubercules tombés dans la poussière.

Les camps comptent aussi des dizaines d’enfants et d’adolescents, souvent envoyés par les familles pour accompagner l’aînée en disgrâce. Non scolarisées, ces victimes collatérales des persécutions sont extrêmement vulnérables face aux violences et aux abus. Un volontaire de Gambaga, dans le nord-est du Ghana, le plus peuplé des six camps, qui y a officié pendant des années, a ainsi récemment été accusé d’avoir violé plusieurs fillettes.

Victimes collatérales

Plusieurs d’entre elles sont tombées enceintes. « Il y a énormément de cas de mariages d’enfants, ajoute John Azumah. C’est une forme de chantage. Dès qu’elles ont 12, 13 ou 14 ans, des hommes de la communauté voisine proposent aux jeunes filles de les épouser, en échange de quoi ils promettent de prendre soin d’elles et de leur grand-mère. »

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Le gouvernement ghanéen avait déjà tenté sans succès de démanteler ces camps en 2014. Mais, cette fois, les acteurs du projet de loi ont bon espoir d’initier un réel changement, en adoptant une approche plus complète du problème. « Punir est une chose, mais il faut aussi sensibiliser les communautés où les accusations de sorcellerie sont récurrentes », professe John Azumah.

Lorsque la sensibilisation a suffisamment porté ses fruits, les pseudo-sorcières exilées peuvent se risquer à retourner dans leur communauté d’origine. Aux autres, une aide sera proposée pour s’installer dans n’importe quel autre village de leur choix. Quant aux enfants, ils devraient être renvoyés à leur famille et scolarisés. Les organismes qui travaillent sur place espèrent parvenir à vider progressivement les camps en trois ans.

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