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ReportageLuttes

200 militants bloquent le ministère de la « trahison écologique »

Environ 200 militants ont bloqué l'entrée du le ministère de la Transition écologique, le 6 novembre 2023.

Près de 200 militants écologistes se sont installés le 6 novembre au matin devant le ministère de la Transition écologique, à Paris. Leur but : dénoncer la « trahison écologique » du gouvernement.

Paris 7e, reportage

Le lieu a été tenu secret jusqu’au dernier moment. Au centre de Paris, il était environ 7 h 30, lundi 6 novembre, lorsque plusieurs centaines de militants se sont regroupés près du ministère de la Transition écologique. En une poignée de minutes, les entrées situées sur le boulevard Saint-Germain ont été bloquées.

Sur le trottoir, devant la porte principale, une immense pancarte a rebaptisé le lieu « Ministère de la Trahison écologique ». Juste derrière, des personnes s’affairaient pour ériger un mur de parpaings. Pancartes à la main — « Passoires thermiques, stop aux fausses promesses », « Ni pétrole, ni charbon, ni gaz » —, des chaînes humaines les encadraient. Au-dessus de leurs têtes, trois grimpeurs escaladaient les colonnes et ont accroché une banderole « Fermé pour cause d’inaction climatique ».

Le lieu a été rebaptisé « Ministère de la Trahison écologique ». © Mathieu Génon / Reporterre

À quelques semaines de la révision de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, moment clé dans la direction que prendra la politique énergétique de la France, les associations mobilisées pour le climat ont mené une action ciblée : elles entendent « fermer symboliquement » ce haut lieu de la politique environnementale. Et ce, « jusqu’à ce que la ministre [Agnès Pannier-Runacher] s’active », résume Mangoa, militante d’Extinction Rebellion. En tout, environ 200 militants ont participé à l’action. Ils répondaient à l’appel de huit associations (Greenpeace France, Alternatiba Paris, Dernière rénovation, Les Amis de la Terre, Extinction Rebellion, 350.org, ANV-COP21 et le réseau Sortir du nucléaire).

Le but : instaurer un rapport de force pour dénoncer « l’argent colossal investi » dans les énergies fossiles. À l’heure où la France doit abaisser de plus de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 pour respecter l’Accord de Paris, l’enjeu est de taille pour ces militants déçus des quinquennats d’Emmanuel Macron.

« Le gouvernement ne cesse de nous trahir, dit Gaëlle, militante d’ANV-COP21 emmitouflée dans sa polaire aux couleurs de l’association. Nous sommes face à un réel problème d’écoute. Emmanuel Macron entend tous les appels des lobbies de l’industrie énergétique, mais reste sourd face à ceux des scientifiques. »

La relance du nucléaire est basée « sur l’un des plus grands fiascos industriels français », selon les militants. © Mathieu Génon / Reporterre

Des « signaux désastreux »

Au-delà, il s’agit de « montrer la barrière entre les dirigeants, et nous, citoyens » en menant une opération de désobéissance civile pour « continuer de sonner l’alerte », dit Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.

En guise de « signaux désastreux » envoyés par le gouvernement, l’activiste cite pêle-mêle : l’autorisation de l’installation d’un terminal méthanier flottant au Havre pour importer, entre autres, du gaz de schiste, dont l’effet environnemental néfaste a déjà été largement documenté par les scientifiques.

Mais aussi la relance du nucléaire à travers un plan de construction de nouveaux réacteurs « basé sur l’un des plus grands fiascos industriels français ». Sans oublier la bétonisation liée au projet de nouvelle autoroute A69 de 53 km, qui a pour but de relier Toulouse à Castres.

L’action permettait de « continuer de sonner l’alerte ». © Mathieu Génon / Reporterre

Surtout, les militants fustigent un paradoxe : à montant d’investissement égal, le développement d’énergies renouvelables (éoliennes et photovoltaïque) « permettrait d’éviter quatre fois plus d’émissions de CO2 d’ici à 2050 que la construction d’EPR2, tout en produisant trois fois plus d’électricité sur toute la période », martèle Mathilde, du réseau Sortir du nucléaire. Il faut dire qu’en matière d’énergies renouvelables, la France fait figure de mauvaise élève : c’est le seul pays européen n’ayant pas respecté ses objectifs.

Une action laissant des traces

Vers 8 h 15, les militants se sont déplacés tous en même temps devant une seconde porte, située quelques mètres plus loin. Présents en nombre, les forces de police ont alors tenté de les repousser à coups de gaz lacrymogènes dispersés à quelques centimètres des visages de ces activistes pacifiques. À tel point que militants, journalistes et policiers eux-mêmes ont toussé, les yeux rougis, et qu’un chef a rappelé ses troupes à l’ordre.

Certains fonctionnaires du ministère ont été contraints de rebrousser chemin, et les prises de parole des activistes ont continué. Le collectif artistique engagé pour le climat Le Bruit qui court a entamé une chorégraphie sur fond sonore de spots publicitaires des géants de la grande distribution tels que Carrefour ou E.Leclerc.

Les militants ont été délogués par la Brav-M. © Mathieu Génon / Reporterre

Simon, 28 ans, militant de Dernière rénovation, pointe un autre enjeu : celui de la rénovation énergétique des bâtiments qui nécessite que « 12 milliards d’euros soient investis chaque année ». C’était l’une des promesses d’Emmanuel Macron : rénover efficacement 500 000 logements par an. En 2021, seuls 65 000 d’entre eux l’ont été, soit à peine 13 % de l’objectif annoncé. « Merci d’avoir enfreint la loi et à bientôt, car la lutte continue. Nous n’avons plus que nos corps pour préserver les conditions habitables sur Terre », affirme-t-il.

Vers 10 heures, des membres de la Brigade de répression de l’action violente motorisée (Brav-M) ont commencé à exfiltrer un à un des militants avant de disperser la foule. En fin de matinée, on ne distinguait plus aucune trace de l’opération sur le trottoir du numéro 246 du boulevard Saint-Germain. Les parpaings ont été mis de côté. Les banderoles arrachées. Sur le sol demeurent quelques traces de peinture envoyée par les forces de police pour marquer des militants.


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