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Justice

L’ONG Anticor bel et bien privée de son agrément en appel

La cour administrative d’appel de Paris a confirmé ce jeudi 16 novembre le retrait de l’habilitation pour l’ONG de porter plainte au nom de l’intérêt général en matière de délinquance financière et de lutte contre la corruption.
par LIBERATION
publié le 16 novembre 2023 à 13h02
(mis à jour le 16 novembre 2023 à 13h30)

Anticor plus que jamais dans la tourmente. La cour administrative d’appel de Paris a confirmé ce jeudi 16 novembre l’annulation de l’agrément de l’association française lui permettant d’intervenir dans des dossiers de lutte contre la corruption. Cette décision en deuxième instance est allée dans le sens du jugement du tribunal administratif de Paris qui, en juin, avait annulé un arrêté signé en avril 2021 par le Premier ministre d’alors, Jean Castex, renouvelant pour trois ans l’agrément accordé à Anticor.

«Cette décision confirme une nouvelle fois que l’association Anticor est victime de la rédaction erronée de l’arrêté signé par Jean Castex en 2021», déplore l’ONG dans un message publié sur X (anciennement Twitter). Et ce, «alors que les services de la Première Ministre Elisabeth Borne confirmaient qu’Anticor remplissait bien les conditions d’octroi de l’agrément», souligne l’association. «C’est vraiment n’importe quoi, c’est une situation complètement ubuesque», a réagi auprès de l’AFP la présidente de l’association, Elise Van Beneden. L’association n’exclut pas un nouveau recours devant le Conseil d’Etat.

Comme Transparency international ou Sherpa, Anticor était l’une des trois ONG habilitées à porter plainte au nom de l’intérêt général en matière de délinquance financière et de lutte contre la corruption. L’objectif est de contourner l’inertie parfois proverbiale de la justice : «Anticor agit là où le ministère public choisit de ne pas le faire», proclame-t-elle. Mais en juin, lors de l’ultime audience devant le tribunal administratif, la rapporteure publique avait «proposé l’annulation de l’agrément» d’Anticor, pour «absence de transparence».

Cette décision avait un effet rétroactif au 2 avril 2021, date du dernier renouvellement triennal accordé à l’ONG, ce qui risque de poser problème sur les plus de 150 procédures pénales engagées par Anticor depuis deux ans.

Habituellement, les tribunaux n’interviennent pas dans cet agrément triennal, qui relève d’une décision administrative prise par le ministère de la Justice – ou par Matignon : lors de son dernier renouvellement en avril 2021, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti avait dû se déporter car Anticor avait préalablement porté plainte contre lui devant la Cour de justice de la République.

Opposant interne

Dans le cas présent, c’est sur recours d’un opposant interne que la justice avait été saisie : Claude Bigel, ancien vérificateur des comptes de l’association, exclu en septembre 2020, après avoir alerté le ministère de la Justice sur ce qu’il estimait être une obscurité dans la comptabilité. Il s’en est expliqué trois mois plus tard dans le JDD : «J’ai refusé d’accepter les comptes hors bilan en ce qui concerne le bénévolat.» Pourtant, il avait certifié les comptes 2019 sans état d’âme, avec ces mots : «Un grand merci à la trésorière et votre expert-comptable pour leur collaboration. Aucune objection à ne pas approuver les comptes d’Anticor.»

En juin, lorsque l’annulation de l’agrément avait été décidée, Anticor avait immédiatement réagi, estimant qu’une «atteinte grave à la démocratie, ainsi qu’aux libertés associatives», avait été portée. Début octobre, l’administrateur d’Anticor, Eric Alt, définissait l’ONG comme «une association en lutte» dont l’agrément permet «de saisir un juge d’instruction quand les parquets n’ont pas envie d’engager des poursuites, de demander des actes, d’intervenir en audience pour défendre la société civile».

Créée en 2002, Anticor est impliquée dans plus de 160 procédures dont l’attribution du Mondial de football au Qatar, l’enquête pour prise illégale d’intérêts visant le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, ou celle contre Eric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République, raison pour laquelle le renouvellement était signé par Jean Castex et non le ministre de la Justice. Des plaintes d’Anticor ont entraîné des poursuites concernant la cession de la branche énergie d’Alstom à General Electric et une enquête préliminaire dans les contrats russes d’Alexandre Benalla. Sans l’agrément, il lui sera très difficile de déclencher de nouvelles poursuites et sa présence sera remise en cause dans les affaires où l’association s’était constituée partie civile après avril 2021.

Mise à jour : à 13 h 09, avec l’ajout de la réaction d’Anticor.

Mise à jour : à 13 h 30, avec l’ajout de la réaction de la présidente de l’association, Elise Van Beneden.

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