Au Togo, deux journalistes arrêtés pour diffamation d'un ministre

Loïc Lawson à gauche et Anani Sossou à droite Capture d'écran de la chaîne YouTube Mises à jour au Togo

L'arrestation et l'emprisonnement de deux journalistes togolais à la mi-novembre témoignent de la précarité des droits des journalistes dans ce pays d'Afrique de l'Ouest.

Le 15 novembre 2023, Loïc Lawson, directeur de publication du  journal de presse écrite Flambeau des démocrates et Anani Sossou, journaliste indépendant sont arrêtés à la suite d'une plainte pour diffamation déposée par Kodjo Adedze, ministre togolais de l'urbanisme, de l'habitat et de la réforme foncière.

Une affaire de 400 millions FCFA

Tout commence avec une affaire de cambriolage au domicile du ministre. La date précise de l'incident n'est pas connue, mais l'information liée au vol circule sur les médias togolais depuis le 5 novembre. A cette date, les deux journalistes relaient l'affaire sur les réseaux sociaux avec des précisions sur un montant de 400 millions de FCFA (soit 666 302 dollars américains) qui auraient été volés. Le 5 novembre 2023, Anani Sossou publie sur sa page Facebook:

Le même jour, le média Flambeau des démocrates publie sur son compte X (ex-twitter):

Selon le journal LeMonde, le ministre a certes déclaré un cambriolage auprès de la police mais le montant n'est pas rendu public. L'autorité gouvernementale a porté plainte suite aux publications des deux journalistes. Ces derniers étaient revenus sur leurs déclarations dans une autre publication Facebook, le 12 novembre, expliquant que le montant publié à l'origine sur les réseaux sociaux était surestimé :

Suite à la plainte déposée par le ministre, le journaliste Loïc Lawson avait réagi en écrivant sur son compte X (ex-twitter):

Convoqué à la Brigade de recherches et d’investigations (BRI) de la Police nationale de Lomé, le 13 novembre 2023, les deux journalistes sont d'abord placés en garde à vue avant de passer devant le procureur de la République le 14 novembre. Le lendemain, ils sont conduits à la prison civile de Lomé pour diffusion de fausses nouvelles et d’incitation à la révolte.

Pourtant, le code de la presse et de la communication du Togo prévoit dans son article 60 le recours à l’Observatoire Togolais des Médias (OTM) et à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) qui sont des mécanismes d’auto-régulation, pour résoudre les différends liés à la diffamation.

Ce code de la presse n'inclut pas les réseaux sociaux dans sa définition des médias, mais mentionne la procédure à suivre dans le cas de journalistes utilisant les réseaux. Ainsi, l'article 156 déclare:

Tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse, qui a eu recours aux réseaux sociaux comme moyens de communication pour commettre toute infraction prévue dans le présent code, est puni conformément aux dispositions du droit commun.

Dans le cas des deux journalistes, c'est donc le code pénal qui s'applique, et en particulier l'article 290 du code pénal togolais qui stipule:

La publication directe, ou par voie de reproduction d'une allégation ou imputation qualifiée de diffamation, est punie d'une peine d'emprisonnement d'un (01) à six (06) mois avec sursis et d'une amende de 500.000 francs CFA (soit 830 dollars américains) à 2.000.000 francs CFA (3 327 dollars américains) ou de l'une de ces deux peines.

Des appels à libération

Depuis la convocation des deux journalistes, les organisations et associations de défense des droits des journalistes ne cessent d'appeler les autorités togolaises à la libération de Loïc Lawson et Anani Sossou. Le 15 novembre, le Patronat de la presse togolaise (PPT), à travers un communiqué, manifeste son indignation:

Le PPT rappelle qu’en matière d’enquête pour faire la lumière sur une affaire de cambriolage, relayée à travers le monde et par des professionnels des médias, la privation de liberté ne doit pas être la règle. Il appelle par conséquent à la mise en liberté des confrères incarcérés pendant que les investigations continuent.

Dans une interview accordé à Tv5monde, Edem Gadegbeku, secrétaire général de l'Union internationale de la presse francophone au Togo (UPF-Togo), dont Loïc Lawson est le président, plaide pour la libération des journalistes et invite les autorités à revoir les textes du code de la presse et de la communication.

Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) demande également leur libération:

Les autorités togolaises doivent libérer immédiatement et sans condition les journalistes Loïc Lawson et Anani Sossou, et réformer les lois et règlements du pays afin de garantir que le journalisme ne soit pas criminalisé.

Le même appel à la libération a été fait par Reporters sans frontières sur leur compte X:

Les hommes politiques togolais se joignent également à ces appels: Gerry Taama, président du parti le Nouvel Engagement Togolais (NET) sur sa page Facebook écrit un message dans lequel il soutient les deux hommes :

C'est sur son compte X (ex-twitter) que Nathaniel Olympio, acteur politique publie son message de soutien:

Rappel du précédent de 2021

L'évènement que vit la presse togolaise aujourd'hui est significatif car il rappelle la mise en prison de deux autres journalistes fin décembre 2021 pour outrage à l’autorité, incitation à la haine et de diffamation. A l'époque, feu Joël Egah et Ferdinand Ayité sont arrêtés puis placés sous mandat de dépôt à la prison civile de Lomé. Bien que libéré provisoirement, Ferdinand Ayité a fui le pays pour éviter la condamnation à une peine de prison. Dans la foulée, il a été lauréat du prix international de la liberté de presse en 2023 dont la remise a lieu le 17 novembre à New York. Dans son discours, il a évoqué le cas de ces confrères en détention:

« Je voudrais… adresser un message de solidarité à tous ces journalistes indépendants du Togo, qui travaillent dans des conditions assez difficiles. Mes pensées vont en ce moment à nos deux collègues Loïc Lawson et Anani Sossou, qui sont au moment où nous parlons en détention », a déclaré Ferdinand Ayité  @Ferdi_Ayi, lauréat du Prix international de la liberté de la presse 2023, dans son #IPFA discours d'acceptation.

Lire: Au Togo, un journaliste primé pour sa lutte contre la corruption doit néanmoins vivre en exil

D'une façon générale, la liberté de la presse au Togo s'améliore: comparativement à l'année 2022 où le pays est 100è sur 180 pays dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté d'expression, le pays fait un bond de 30 places en 2023 et y occupe la 70è place. Mais comme le montre cet exemple, cela ne signifie pas que tous les journalistes soient protégés dans l'exercice de leurs fonctions.

Les organisations de la société civile se demandent d’où sont issus de tels montants en espèces au domicile du ministre et réclament une enquête pour que l'affaire soit élucidée.

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