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ReportageLibertés

Dans les Alpes-Maritimes, un marquis privatise 90 % de la nature

Cette parcelle de forêt est désormais interdite au public. 90 % des espaces naturels de Villeneuve-Loubet sont ainsi privatisés.

Dans les Alpes-Maritimes, un espace naturel de 700 ha est désormais interdit au public. Le marquis propriétaire des terres a embauché des gardes pour faire respecter cette réglementation, issue d’une loi adoptée en février 2023.

Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), reportage

Le panneau est accroché au sommet d’un chêne. Il est si neuf qu’il brille, si rouge qu’il attire l’œil. Ici, Elise Hess-Rapp stoppe son chemin. Il est défendu d’aller plus loin. La forêt privée de Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes, est désormais interdite d’accès. « Propriété privée, stipule le panneau. Interdit aux promeneurs, cavaliers, motos, VTT. » Une nouvelle loi permet au propriétaire des terres, le marquis de Panisse-Passis, de prohiber le passage sur les sentiers. Plus de 1 700 personnes ont signé une pétition « contre l’interdiction de se balader dans la nature de Villeneuve-Loubet ».

Elise Hess-Rapp venait dans la forêt « au moins deux fois par semaine ». Pour un footing tranquille, un trail plus physique, une balade dominicale. « C’est juste à côté de la Côte d’Azur bétonnée, mais on a l’impression d’être à la campagne , fait-elle remarquer, à l’orée du sentier. Il y a différents écosystèmes : des vallées sombres, des pelouses, des mares, de la garrigue. » Le sommet culmine à 206 mètres, « un volcan âgé de 30 millions d’années », indique un écriteau d’information.

En vert, les espaces naturels privatisés par le marquis à Villeneuve-Loubet, dont les limites de la ville sont en rouge. © Pétition Elise et Jérôme Hess

Comme 75 % des forêts françaises, ce bois est privé. Ses 700 hectares appartiennent au marquis de Panisse-Passis. « C’est un tiers de la surface de la ville et c’est 90 % des espaces verts, compte Jérôme Hess, compagnon d’Elise, tous deux à l’initiative de la pétition. C’est 15 hectares de nature pour 16 000 Villeneuvois contre 700 pour une famille. Si demain tout le monde veut faire pareil, on ne pourra plus se balader en France. »

Le couple, qui habite près de la forêt, souhaite comprendre pourquoi il ne peut plus s’y rendre. « C’est révoltant, incompréhensible. Ce n’est pas justifié », dit Elise.

Gardes et PV

Depuis le 2 février 2023, une loi prévoit que « dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui […] constitue une contravention de la 4e classe ». Le marquis a ainsi embauché des gardes. Ils seraient au moins deux, selon Elise et Jérôme ; un chiffre que ne peut confirmer la mairie. Selon le couple, pour le moment, les gardes ne font que de « l’information » mais pourraient dresser des PV.

À Villeneuve-Loubet, les chasseurs peuvent encore entrer sur les terres en s’acquittant d’un droit. Les centres équestres s’inquiètent pour leurs randonnées, les courses pédestres se questionnent sur les futures autorisations de passage, les VTTistes ont perdu leur terrain de jeu. Les gardes particuliers ont exigé la fermeture du portail séparant la forêt et une entreprise de services informatiques.

Le marquis possède 90 % des espaces verts de la ville. © Mathilde Frénois / Reporterre

Salarié sur ce grand site, Ambroise avait l’habitude de faire son footing en suivant les sentiers du bois. Maintenant, il fait des détours. « Je m’adapte, dit cet ingénieur. C’est fermé depuis trois semaines. Je comprends que c’est une propriété privée. Mais pas les raisons. On n’a pas eu plus d’explications que l’application bête de la loi. »

Elise et Jérôme Hess aussi cherchent les fondements de la décision. « On a plein d’hypothèses, dit-elle. Peut-être que les promeneurs jettent des déchets, peut-être qu’on gêne les chasseurs. On ne sait pas. »

La nature privatisée

La mairie, qui ne souhaite pas s’exprimer, a annoncé la saisie du député de la circonscription, l’élu RN Bryan Masson. Deux députés Nupes se sont déjà emparés du dossier. Le 7 novembre, Lisa Belluco et Jérémie Iordanoff ont déposé une proposition de loi pour la « dépénalisation de l’accès à la nature ». Le cas de Villeneuve-Loubet connaît un précédent en Chartreuse. Là-bas aussi, un marquis privatise la montagne et des randonneurs s’insurgent.

À Villeneuve-Loubet, Jérôme Hess a habité à 100 mètres des terres du marquis entre ses 5 et 23 ans. Depuis qu’il est revenu s’installer dans cette commune des Alpes-Maritimes, il y pratique la randonnée et le trail. « C’est un terrain privé, c’est sa propriété, on ne le remet pas en cause, dit le directeur commercial de PME de 41 ans. On a essayé de contacter le marquis et ses trois enfants par e-mail et LinkedIn. Il faut trouver des solutions localement pour débloquer la situation. » Le marquis n’a pas répondu ni ne s’est exprimé publiquement sur ce sujet.

M. Hess mise notamment sur l’inscription des chemins au plan départemental de randonnée, sur le rachat des terres par les collectivités, sur un changement de loi. Pour que Villeneuve-Loubet reste fidèle à son slogan : « Cœur nature de la Côte d’Azur. »

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