Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

Sciences

Comment le changement climatique pourrait réveiller les volcans

En Islande, les volcans entrent plus souvent en éruption quand la couche de glace qui les recouvre est moins épaisse.

Des études récentes montrent que les conséquences du réchauffement climatique pourraient influencer l’activité volcanique.

Des milliers de séismes, des failles impressionnantes, une remontée de magma confirmée à proximité de la surface : l’Islande a vécu en état d’urgence en se préparant, depuis le 9 novembre, à un risque d’éruption volcanique imminente. Dans le sud-ouest de l’île, la ville de Grindavik a été évacuée et un mur a été élevé pour protéger une centrale géothermique d’éventuelles coulées de lave.

L’alerte a depuis été levée mais la situation est particulièrement surveillée puisqu’elle intervient dans une zone très peuplée et à proximité d’installations critiques. Elle n’a toutefois rien de surprenant : l’Islande est entrée dans une nouvelle période d’activité volcanique depuis plusieurs années et compte plus d’une trentaine de systèmes volcaniques actifs. Une question relativement nouvelle fait cependant l’objet de recherches croissantes chez les volcanologues : le changement climatique est-il en train d’accroître la fréquence et l’intensité de ces éruptions ?

Moins de glaciers, plus de magma

La chose est peu intuitive mais la manière dont nous réchauffons l’atmosphère peut avoir des conséquences jusque dans les entrailles de la Terre, là où se forme le magma. Le lien entre les deux ? La perturbation du cycle de l’eau causée par le changement climatique. La glace, l’océan et les pluies reposent ou tombent en effet sur les roches et agissent sur leurs caractéristiques.

« Nous commençons à réaliser que la géosphère et l’hydrosphère sont des composants interconnectés de manière complexe dans le système terrestre, caractérisés par des boucles de rétroaction positives et négatives. Ce sont des mécanismes passionnants, mais mal compris, principalement parce que nous avons commencé à les étudier seulement récemment », prévient Jamie Farquharson, volcanologue, professeur à l’université de Niigata, au Japon.

Le premier effet majeur tient à la fonte des glaciers. La Terre aurait perdu plus de 28 000 milliards de tonnes de glace, rien qu’entre 1994 et 2017, selon une étude britannique de 2020. Et la tendance devrait s’accentuer puisque le réchauffement global devrait faire disparaître au moins la moitié des glaciers restants d’ici la fin du siècle.

La dernière déglaciation a augmenté l’activité volcanique

Or, cette perte de masse entraîne une baisse de pression sur la roche sous-jacente, ce qui facilite la production de magma. « Le magma se forme par fusion du manteau terrestre. Ce passage de l’état solide à l’état liquide se fait soit par hausse de la température, soit par un changement dans la constitution des fluides en profondeur, soit par la baisse de la pression », explique Virginie Pinel, chargée de recherche en volcanologie à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Le processus est bien documenté. Lors de la dernière grande déglaciation, il y a 12 000 ans, le retrait massif des glaciers a entraîné un regain d’activité volcanique, dont les cendres ont été retrouvées par les chercheurs dans les sédiments. Même pour des variations de volumes de glace moindres que lors de ces transitions entre ères glaciaire et interglaciaire, une étude publiée en 2018 dans la revue Geology montrait une corrélation entre l’extension des glaciers en Islande et la fréquence des éruptions sur l’île.

« On ne peut pas encore relier l’activité en Islande avec le changement climatique »

Précision notable : les auteurs identifient une inertie forte, d’environ 600 ans, entre le mouvement des glaciers et la hausse de l’activité volcanique. Un résultat en contradiction avec une étude plus ancienne, parue en 2008 dans Geophysical Research Letters. Les scientifiques s’étaient penchés sur le cas du Vatnajökull, la plus grande calotte glaciaire d’Islande, et avaient calculé que la perte d’environ 10 % de sa masse au XXᵉ siècle avait entraîné une hausse équivalente de la production de magma. De quoi étayer l’hypothèse d’une hausse de l’activité volcanique dès « les prochaines décennies », selon les auteurs.

« Il n’y a pas de consensus sur l’inertie dans la réaction des volcans, le temps de remontée du magma est très variable. Et la fusion en profondeur dépend aussi de conditions mal connues propres à chaque zone. On ne peut pas encore relier l’activité actuelle en Islande avec le changement climatique », tempère Virginie Pinel.

Au-delà de la production de magma, la fonte des glaciers, même plus modeste que lors des grandes déglaciations, peut jouer sur le transport et le stockage souterrain de cette roche en fusion. L’étude des volcans Grímsvötn et Katla, toujours en Islande, avait fait conclure à une étude en 2010, dans le Geophysical Journal International, que leurs éruptions étaient liées au cycle annuel des glaciers et intervenaient l’été, lorsque la moindre couverture neigeuse diminuait la pression sur la chambre magmatique.

Les pluies extrêmes fracturent les roches

Les bouleversements climatiques de l’eau liquide ont également un impact sur nos volcans. La montée du niveau des mers, provoquée par le changement climatique, augmente la pression sur la croûte terrestre et, potentiellement, sur le manteau. Le phénomène fait aussi partie de ceux listés comme influençant la production, le transport et le stockage du magma, dans une étude de 2022 du Bulletin of Volcanology recensant ces différents facteurs. L’effet, encore peu étudié, joue cependant probablement bien moins que le retrait des glaciers, selon les scientifiques.

Les pluies extrêmes, en revanche, font l’objet d’une attention particulière. Ces phénomènes, aussi voués à augmenter en fréquence et en intensité avec le changement climatique, sont corrélés à un surplus d’activité volcanique dans de nombreux cas étudiés, via différents mécanismes potentiels, « opérant de l’échelle de la minute à celle du millénaire », précise l’étude de 2022.

En saturant les sols en eau, la pluie peut y augmenter la pression et favoriser des failles et fractures propices au déclenchement d’éruptions. « Si ces hypothèses sur lesquelles je travaille se confirment, ces fissures pourraient faciliter le déplacement de magma en profondeur. D’autres dangers, moins hypothétiques, sont aussi liés aux précipitations, comme l’effondrement des pentes de volcans souvent instables, favorisés par ces pluies extrêmes et entraînant d’autres risques par la suite », souligne Jamie Farquharson.

Le risque est d’autant plus concret que certaines régions, comme le Japon, les Philippines ou les Antilles concentrent beaucoup de volcans actifs et sont aussi concernées par les multiplications à venir des pluies extrêmes. Mais savoir quand et avec quelle intensité tout cela va se produire reste une gageure. « C’est très complexe. Notre documentation sur les éruptions volcaniques devient de moins en moins complète à mesure que nous remontons dans le temps. Or, pour les volcanologues, comprendre le passé est essentiel pour comprendre l’avenir. Chaque système volcanique est en outre spécifique et nous devons progresser sur la compréhension des mécanismes à l’œuvre », ajoute le chercheur.

Des populations de plus en plus vulnérables

Malgré toutes ces incertitudes, une hausse d’activité volcanique ne serait évidemment pas sans conséquences. Notamment sur le climat lui-même. Car les particules crachées par les volcans ont un effet réfléchissant sur la lumière solaire et contribuent ainsi à… refroidir le climat. Or, même à taux d’éruption constant, le réchauffement de l’atmosphère pourrait modifier la manière dont se comportent ces particules.

« Le changement climatique accélère par exemple le déplacement de masses d’air de la haute atmosphère des tropiques vers les pôles et pourrait augmenter la capacité réfléchissante des aérosols volcaniques. Pour les éruptions les plus intenses, leur capacité de refroidissement pourrait être diminuée, mais on projette l’effet inverse pour les éruptions moins intenses, qui sont plus fréquentes. Le bilan final n’est donc pas clair et on doit pousser la recherche sur ces questions. Dans tous les cas, les volcans refroidissent le climat d’une amplitude de l’ordre de 0,1 °C sur le long terme, donc même un doublement ou une suppression de leur effet ne bouleverserait pas les projections du Giec », détaille Thomas J. Aubry, chercheur à l’université de Cambridge (Royaume-Uni) et premier auteur d’une étude de 2021 sur le sujet.

Quoi que les volcans nous réservent, les chercheurs soulignent aussi que leurs éruptions auront lieu à l’avenir dans un contexte où nous serons, nous, de plus en plus vulnérables. « Pour ne prendre que l’exemple de la montée des eaux, notamment sur les îles volcaniques, les populations vont être amenées à quitter les côtes submergées et à se rapprocher toujours plus des volcans. Même à activité volcanique inchangée, notre vulnérabilité risque d’augmenter », alerte Virginie Pinel.

Fermer Précedent Suivant

legende