L’armée israélienne a-t-elle utilisé du phosphore blanc au Liban ?

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L’armée israélienne a-t-elle utilisé du phosphore blanc au Liban ?

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Plusieurs maisons du village de Dhayra ont pris feu dans la semaine du 16 octobre 2023, lors d’attaques présumées au phosphore blanc
Plusieurs maisons du village de Dhayra ont pris feu dans la semaine du 16 octobre 2023, lors d’attaques présumées au phosphore blanc
© Radio France - Noé Pignède

Depuis le 7 octobre 2023, Israël a renforcé ses opérations aux frontières, et notamment au nord, en territoire libanais, en réponse aux tirs du Hezbollah. Quitte à exposer des populations civiles à des armes interdites, dénonce Amnesty International. Notre correspondant a enquêté sur place.

Dans ce champ proche du village de Dhayra, le long de la frontière avec Israël, des éclats d’obus vert clair jonchent le sol. "Mon terrain a été visé par l’armée israélienne", raconte Oday Abousarie, un agriculteur. Depuis le 8 octobre 2023, les violents bombardements entre les forces de sécurité israéliennes et le Hezbollah libanais ont fait plus d’une centaine de morts.

Au pied des oliviers et des plants de légumes, le fermier, désespéré, nous montre des centaines de débris noirs qui s’enflamment lorsqu’on les piétine. "Ce sont des bouts de phosphore. Tout est contaminé. Ma récolte est bonne pour la poubelle", souffle le jeune homme.

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L’épaisse fumée blanche qui se dégage des résidus d’explosif irrite immédiatement la gorge. Selon trois experts contactés par Radio France, cette autocombustion, au contact de l’oxygène, est caractéristique du phosphore blanc, tout comme les multiples trainées blanches visibles sur les images des attaques, publiées par AP et Amnesty International.

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Enfin, sur certains fragments métalliques, on peut lire l’inscription "WP", possiblement les initiales de "white phosphorus", le nom en anglais de cette substance chimique. "Il y a un faisceau d’indices très concordants", commente Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste des armes chimiques. "Même si cela ne peut être confirmé que par des analyses, cela ressemble beaucoup à du phosphore blanc."

Sur certains fragments métalliques trouvés près de Dhayra, dans le sud du Liban, on peut lire "WP", pour, peut-être, "white phosphorus".
Sur certains fragments métalliques trouvés près de Dhayra, dans le sud du Liban, on peut lire "WP", pour, peut-être, "white phosphorus".
© Radio France - Noé Pignède

L’étude des échantillons est toujours en cours à l’Université américaine de Beyrouth. Le professeur Rami Zurayk attend les résultats. Néanmoins, il a très peu de doutes : "À moins qu’une nouvelle munition, dont nous n’aurions pas connaissance, ait été inventée, il s’agit bien de phosphore blanc."

Utilisée par plusieurs armées pour marquer une cible ou créer un écran de fumée, cette arme peut causer des brûlures, des lésions aux organes vitaux et entraîner la mort. "L’utilisation du phosphore blanc n’est pas interdite. Il ne doit cependant jamais être utilisé à proximité de civils", précise Donatella Rovera, enquêtrice senior pour Amnesty International. "La manière dont les forces israéliennes ont utilisé ces munitions au sud du Liban constitue une attaque indiscriminée."

Une "violation des lois de la guerre"

Radio France a constaté de nombreux résidus noirs autour des habitations de Dhayra. Certaines maisons ont été ravagées par les flammes. Selon Ahmed Benchemsi, directeur de la communication de Human Rights Watch, les détonations aériennes de bombes au phosphore ne permettent pas de cibler avec précision des combattants : "Dans la mesure où l'on utilise une arme qui ne peut pas distinguer les cibles civiles des militaires, [...] c’est une violation des lois de la guerre."

Plus d’un mois après le bombardement, les résidus d'explosifs continuent de s’enflammer à proximité des habitations de Dhayra.
Plus d’un mois après le bombardement, les résidus d'explosifs continuent de s’enflammer à proximité des habitations de Dhayra.
© Radio France - Noé Pignède

Lors des bombardements du 16 octobre 2023, Ibtissem Darwish était chez elle avec son mari. "Tout à coup, on a entendu des explosions", raconte cette femme de 63 ans. "On a senti une odeur de fumée. J’ai dit à mon mari : « éteins ta cigarette ! » Il y avait des flammes devant chez nous. J’ai tenté de les éteindre et je me suis évanouie."

Une dizaine d’habitants de Dhayra ont été transférés aux urgences. Les médecins de l’hôpital libano-italien de la ville de Tyr, qui ont pris en charge la plupart des victimes, ont constaté des "sensations de brûlure et des difficultés respiratoires nécessitant une mise sous oxygène". Leur diagnostic : intoxication au phosphore blanc.

Le 26 novembre 2023, le champ d'Oday Abousarie était encore jonché d’éclats d’obus et de débris noirs toxiques.
Le 26 novembre 2023, le champ d'Oday Abousarie était encore jonché d’éclats d’obus et de débris noirs toxiques.
© Radio France - Noé Pignède

Le Liban entend porter plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU. Contactée par Radio France, l’armée israélienne ne dément pas disposer de munitions contenant du phosphore blanc, “mais ces obus-là sont utilisés pour créer des écrans de fumée, et non pas pour viser, ni pour créer des éléments incendiaires, et surtout pas dans des zones de population dense, et ceci, dans le cadre des exigences du droit international”, affirme Olivier Rafowicz, son porte-parole.

Le Protocole III de la Convention sur certaines armes classiques encadre l’usage de cette munition. Israël n’a jamais ratifié ce protocole. Mais selon Amnesty International, il s’agit avant tout d’une violation des Conventions de Genève, dont Israël est signataire. L’ONG demande l’ouverture d’une enquête pour “crime de guerre”.

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