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« En Europe, l’excision est interdite, mais des jeunes filles n’échappent pas à “la saison des mutilations” »

« AFRIQUE INTIME ». Plus de 200 millions de fillettes et de femmes dans le monde ont survécu à des mutilations génitales. Hibo Wardere, réfugiée somalienne au Royaume-Uni, est l’une d’elles. Elle mène désormais le combat contre ces pratiques.

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Publié le 03 décembre 2023 à 19h00, modifié le 10 mai 2024 à 14h04

Temps de Lecture 3 min.

Hibo Wardere, réfugiée somalienne au Royaume-Uni, a survécu à la mutilation génitale qu’elle a subie enfant. Elle est désormais engagée dans la lutte et la sensibilisation contre cette pratique qui concerne 200 millions de fillettes et de femmes dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La première fois que j’ai raconté mon excision, j’avais 42 ans. Je suivais au Royaume-Uni une formation pour devenir assistante pédagogique et j’avais un devoir à rendre. J’ai écrit sur ce jour terrible, à jamais gravé dans ma peau. Je me revoyais, en Somalie, dans la cour d’école, à l’âge de 6 ans, moquée par mes camarades de classe car je n’avais pas été excisée. D’ordinaire, l’excision intervient vers 3 ans ou 4 ans mais j’étais si frêle que ma mère a attendu. J’écrivais, et me retrouvais dans cette cabane, entre les mains de cette exciseuse, assise par terre, prête à couper, sans anesthésie.

Elle m’a attrapé les cuisses. Je la regardais jeter ma chaire par terre. Je voyais ses mains, pleines de sang. J’ai crié jusqu’à en perdre la voix. Puis j’ai dormi. C’est ainsi qu’on me décrivait la mort. Les gens dorment. Je voulais mourir. Tout a changé depuis ce jour. Je n’ai plus eu confiance en ma mère, en ces femmes qui m’entouraient à Mogadiscio. Elles qui m’avaient bercée et donné tant d’amour. Je me suis sentie trahie, abandonnée.

Les premiers jours, la douleur était atroce. Je ne pouvais plus faire pipi comme avant. L’urine sortait sous forme de gouttelettes. Je n’avais plus de sexe, mais une plaie ouverte, enveloppée de sel. J’en voulais à ma mère. Mais, pour elle, c’était une manière de me protéger. L’excision est un gage d’honneur. Elle est la condition pour se marier, avoir des enfants – ce qui est au cœur de notre identité en tant que femme dans cette société patriarcale.

« Le traumatisme coupe des sensations »

A 18 ans, quand je suis arrivée à Londres, j’ai consulté une gynécologue. Je parlais si mal anglais qu’elle a fait venir une traductrice, une Somalienne, qui m’a reproché de dire ma peine à la gynécologue. Pour elle, je faisais honte à ma famille, à ma communauté. Heureusement, la médecin a compris et lui a demandé de nous laisser seules. J’ai saisi l’ampleur de ma mutilation.

L’exciseuse avait tout coupé, le clitoris, les petites lèvres et sectionné les grandes lèvres. C’est ce qu’on appelle une infibulation, une mutilation génitale de type 3 selon le classement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les médecins ne peuvent rien réparer. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est ouvrir la peau qui a été refermée sur le vagin. Vous pouvez ainsi uriner et avoir vos règles normalement. Il est possible de ressentir du plaisir dans l’acte sexuel, mais cela demande du travail. Il faut se reconnecter à son corps, à ses organes génitaux pour ressentir du plaisir. Le traumatisme de la mutilation coupe des sensations.

Quand la directrice de l’école a lu mon texte, elle a été très émue et m’a invitée à en parler publiquement. Je suis intervenue dans des écoles. Puis la presse m’a interviewée. C’était le début de ma libération. Depuis, je n’ai cessé d’agir pour éduquer et sensibiliser à cette question. J’interviens dans les lycées, auprès des médecins, de la police, des juges… Depuis 2021, je suis à la tête d’une association caritative Educate not mutilate, que j’ai créée avec d’autres femmes. Je poursuis le travail que j’ai commencé avec Orchid Project, une ONG basée au Royaume-Uni qui vise à mettre fin à l’excision.

« Une tradition qui n’a aucun fondement religieux »

Avec eux, j’ai eu l’occasion d’aller au Sénégal et de rencontrer une communauté qui a décidé d’abandonner cette pratique. Pendant ce voyage, j’ai rencontré une ancienne exciseuse. Au début, je n’arrêtais pas de trembler, de pleurer. Puis elle m’a prise dans ses bras. Ça m’a permis de conclure mon expérience traumatique. Je n’ai plus jamais rêvé de mon exciseuse.

Aujourd’hui, je continue d’intervenir partout où on m’appelle. Je le fais pour protéger ces jeunes femmes qui risquent de subir ce que j’ai vécu. En Europe, l’excision est interdite mais des jeunes filles n’échappent pas à la « cutting season », « la saison des mutilations », pendant les vacances, où elles retournent dans leur pays d’origine.

Je sais à quel point il est difficile de parler de ces sujets. On est considérée comme traître à sa communauté. On risque d’être harcelées. Je le fais pour ces jeunes filles qui subissent une tradition qui n’a aucun fondement religieux. Ce sont elles qui me donnent la force de continuer. Et pour moi, c’est bon signe. Ça veut dire que le message est assez fort puisqu’il atteint ses détracteurs.

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