Un organisme social peut-il traiter différemment ses bénéficiaires selon qu’ils soient jeunes ou âgés, riches ou pauvres, en couple ou célibataire ? C’est la question que pose Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, à la Défenseure des droits, Claire Hédon, dans un courrier diffusé mercredi 6 décembre. L’élu socialiste y réagit à la publication par Le Monde, lundi, d’une enquête racontant comme la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) cible ses contrôles.
En analysant le code source des algorithmes utilisés depuis 2010 par l’organisme, Le Monde a pu établir que plusieurs critères en principe protégés par la loi entrent en ligne de compte dans le calcul du « score de risque » utilisé pour prioriser les contrôles à domicile. Ce sont par exemple l’âge, la composition du foyer, les ressources ou encore la situation de handicap.
« Certaines catégories de populations, déjà en proie aux difficultés, sont particulièrement visées, ce qui représente une double peine à mon sens inacceptable », réagit Stéphane Troussel dans son courrier. Il demande donc à la Défenseure des droits de « statuer sur le caractère discriminatoire des critères utilisés par l’algorithme ».
Sollicitée avant la publication de notre enquête, Claire Hédon n’avait pas souhaité commenter ce dossier. Auditionné en 2020 par la commission d’enquête parlementaire sur la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, son prédécesseur, Jacques Toubon, avait dénoncé « les ciblages discriminatoires, quelle que soit la technologie employée ». Selon l’ancien ministre de la justice, cette pratique est « absolument contraire à l’esprit de la protection sociale, et plus largement de la République ».
Des associations demandent l’abandon du « score de risque »
Le président de Seine-Saint-Denis rappelle également dans sa lettre que ces discriminations touchent en particulier des territoires qui cumulent, comme son département, des difficultés socio-économiques importantes. Il se demande si son territoire, qui affiche un taux de pauvreté nettement supérieur à la moyenne nationale et où 61 % de la population est bénéficiaire de la CAF, pourrait faire l’objet d’un plus grand nombre de contrôles que la moyenne nationale. Ce qui, selon lui, « constituerait une rupture d’égalité territoriale ».
La question est d’autant plus prégnante que l’organisme public utilise certaines données géographiques dans ses calculs. « Il convient d’obtenir des garanties sur le fait qu’un lieu de résidence en Seine-Saint-Denis et/ou dans un quartier défavorisé ne soit pas un facteur aggravant », observe Stéphane Troussel.
La politique de contrôle de la CNAF est jugée néfaste par plusieurs associations. La Quadrature du Net, engagée pour la défense des libertés numériques, et ATD Quart Monde, qui lutte contre la pauvreté, ont demandé à l’organisme d’abandonner son algorithme, jugé « discriminatoire et pauvrophobe ».
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