Menu
Libération
Faites ce que je dis...

Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, «assume» ses voyages en avion d’affaires en France

A l'heure de la transition écologiquedossier
Basé à Angers, dont Christophe Béchu fut le maire, le journal local «la Topette» révèle les nombreux vols intérieurs effectués ces derniers mois par le ministre, qui confirme et assure qu’il n’y avait pas meilleure option pour ces trajets.
par Frédéric Autran
publié le 6 décembre 2023 à 8h38
(mis à jour le 7 décembre 2023 à 12h36)

En cette fin de semaine, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, s’envolera pour Dubaï, où il représentera la France à la COP28. Ce déplacement depuis Paris, soit un peu plus de 10 000 kilomètres aller-retour, relâchera dans une atmosphère déjà en surchauffe environ une tonne de CO2. Un bilan carbone loin d’être négligeable mais légitimé par l’importance de la conférence de l’ONU, centre névralgique des négociations climatiques internationales.

Difficile, toutefois, d’en dire autant de tous les déplacements en avion de Christophe Béchu. Et notamment d’une série de vols en avion d’affaires, épinglés par la Topette, un journal d’enquêtes et de reportages basé en Anjou, terre natale du ministre de 49 ans. Dans son dernier numéro trimestriel, publié il y a quelques jours, le média, qui se présente comme «populaire et indisciplinée» et promet «d’égratigner les puissants», relate comment, «en toute discrétion, Christophe Béchu a multiplié ces dernières semaines des vols intérieurs pour ses déplacements officiels».

«Ça la fout mal»

Entre le 31 juillet et le 14 novembre, le journaliste Julien Collinet, auteur de l’enquête, a ainsi identifié six déplacements effectués par le ministre en vol privé, aux frais de l’Etat. Entre Paris et Montpellier, le 31 juillet, pour une rencontre avec les maires de communes frappées par la sécheresse. Entre Angers et Perpignan, le 15 août, pour une visite sur les incendies. Puis le 29 septembre, entre Angers et Grenoble, où il participe au congrès des maires ruraux. Le 13 octobre, entre Paris et Lorient pour un congrès des élus du littoral. Le 23 octobre, entre Angers et Nice, où il va apporter son soutien aux victimes de la tempête Aline. Et enfin, le 14 novembre, entre Calais et Metz, où le ministre se rendait pour le lancement d’une Cop régionale.

C’est le déplacement du 29 septembre qui a mis la puce à l’oreille du journaliste angevin. Ce jour-là, un riverain du petit aéroport d’Angers-Marcé, très peu fréquenté, observe un «barouf» inhabituel. «A l’accueil de l’aéroport, ils ont dit que c’était pour Monsieur Béchu. Ça la fout mal, quand même, pour un ministre de l’Ecologie», ironise cet habitant. D’autant plus mal, note le journal, que la veille, pour le coup d’envoi dans le Morbihan de son «Tour de France de l’écologie», le ministre à la communication contrôlée a bien pris soin de s’afficher sur le réseau social X (anciennement Twitter) «en élève studieux, consultant des dossiers dans un train en direction de la Bretagne».

Le lendemain, peu avant 14 heures, Christophe Béchu décolle donc d’Angers à bord d’un Beechcraft 200 arrivé deux heures plus tôt spécialement… de Toulouse. Car ce bimoteur à turbopropulseur appartient à l’Ecole nationale de l’aviation civile, un établissement public basé dans la capitale de l’Occitanie et placé sous la tutelle de la Direction générale de l’aviation civile, elle-même rattachée au ministère de la Transition écologique. Au moins deux des appareils de l’Enac (le Beechcraft 200 et le Beechcraft C90GTx), utilisés en temps normal pour des vols techniques ou de formation, peuvent aussi servir à des «missions gouvernementales françaises». Dans cette configuration, ils opèrent alors sous les numéros MRN 111 et MRN 112, ce qui permet d’en suivre les déplacements à la trace.

Douze trajets à vide

«En épluchant les sites spécialisés sur les six derniers mois, en comparant les résultats avec les agendas de Christophe Béchu et les réseaux sociaux», Julien Collinet est donc parvenu à identifier onze vols effectués par le ministre. Un chiffre qui grimpe à 23 si l’on y ajoute les douze trajets à vide effectués par les appareils depuis et vers Toulouse, où ils sont basés. Pour le fameux trajet Angers-Grenoble du 29 septembre, «d’une distance aller-retour à vol d’oiseau d’environ 1 000 kilomètres, l’avion affrété pour l’occasion aura effectué en réalité Toulouse-Angers-Grenoble-Angers-Toulouse, soit pas moins de 2 370 kilomètres», écrit-il.

Que Christophe Béchu quitte régulièrement l’hôtel particulier de Roquelaure, siège de son ministère dans le très chic VIIe arrondissement de Paris, pour sillonner la France, n’a évidemment rien d’illogique ou de critiquable. Surtout pour un ministre déterminé à décliner dans les «territoires» la feuille de route nationale pour la planification écologique. Qu’il le fasse parfois en avion d’affaires, en revanche, ne manque pas d’interroger. Surtout quand des alternatives bien plus respectueuses de l’environnement existent, à l’image de cet aller-retour du 13 octobre entre Paris et Lorient ou du trajet Metz-Paris du 14 novembre, tous faisables en TGV sans perte de temps démesurée.

Sollicité par le journal angevin comme par Libération, le cabinet du ministre n’a dans un premier temps pas donné suite, avant de fournir, après publication, des éléments de réponse par écrit. «La priorité est donnée aux modes de déplacement décarbonés et en particulier au recours au train lorsque cela est possible», précise l’entourage de Christophe Béchu, qui ajoute que «pour les déplacements de moins de 3h, le recours au train est systématique». Ce qui n’a semble-t-il pas été le cas pour le vol Metz-Paris du 14 novembre. D’après le cabinet du ministre, 10% de ses déplacements se font en avion de ligne ou à bord d’appareils de la DGAC. Dans ce cas, ces vols «font l’objet d’une compensation carbone intégrale, prise en charge par l’école nationale de l’aviation civile».

«Je confirme et j’assume»

Sur France Info, l’intéressé s’est défendu mercredi soir de tout recours abusif à l’avion. «Je confirme et j’assume ces vols», a déclaré Christophe Béchu, assurant qu’il n’y avait pas de «meilleure option» pour les trajets épinglés. «Tous ces déplacements sont liés à du travail et si demain, dans les mêmes circonstances, je suis amené à reprendre des avions dans ce cadre-là, je le ferai», a-t-il ajouté, glissant au passage, dans une pique claire à la maire de Paris Anne Hidalgo, ne pas être «parti en vacances trois semaines en Polynésie». Le ministre a assuré en outre appliquer «les règles de la convention citoyenne», à savoir prendre le train lorsqu’il s’agit d’un trajet de moins de trois heures, l’avion au-delà de quatre heures.

Tel un Jean Castex épinglé pour être allé voter en Falcon dans les Pyrénées-Orientales lors du premier tour de la présidentielle de 2022, ou un Emmanuel Macron se rendant en jet privé à un match de rugby à Lille, le cas de Christophe Béchu illustre la difficulté des dirigeants à montrer l’exemple. Alors même qu’ils exhortent les Français à une sobriété grandissante – et par ailleurs plus que nécessaire. Avec plus de 12 000 kilomètres de vol, les six déplacements du ministre de la Transition écologique auraient émis au moins 23 tonnes de CO2, a calculé le journal angevin. Soit l’équivalent des émissions totales d’un Français moyen pendant près de trois ans.

Mis à jour le 6 décembre à 18h35 avec éléments de réponse du cabinet de Christophe Béchu.

Mis à jour le 7 décembre à 12h18 avec interview de Christophe Béchu à France Info et correction sur les émissions moyennes d’un Français.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique