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Pesticides

Pesticides : le combat des familles d’agriculteurs souffrant de tumeurs

Rassemblement du collectif Soutien aux victimes des pesticides de l'Ouest, début décembre 2023 devant le tribunal à Rennes (Bretagne).

Un collectif breton réclame la reconnaissance des tumeurs cérébrales comme maladie professionnelle liée à l’exposition aux pesticides.

« C’était une battante, raconte son compagnon Jean-Louis. Elle avait des paralysies dans les mains, les jambes mais elle gardait toute sa conscience. » Elle est morte en 2020 à 67 ans — neuf mois ont séparé l’apparition des premiers symptômes de son décès. Comme Odette Gruau, bien d’autres agriculteurs sont touchés par des tumeurs cérébrales.

En Bretagne, le collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, qui a adressé lundi 4 décembre un courrier à la Première ministre Élisabeth Borne, réclame que ces pathologies soient inscrites dans le tableau des maladies professionnelles agricoles. Cela permettrait aux agriculteurs d’être automatiquement reconnus comme souffrant d’une maladie professionnelle s’ils ont utilisé tel ou tel pesticide en lien avec leur pathologie.

Depuis 2020, cinq agriculteurs et une agricultrice du Grand Ouest, du Morbihan au Maine-et-Loire, ont bien obtenu, après leur décès, le classement de leur tumeur comme maladie professionnelle. Mais cela reste exceptionnel. Quatre autres dossiers sont en cours d’instruction.

« À la fin, il ne pouvait plus parler »

Clément Sauvaget est mort à 69 ans d’une tumeur nommée oligodendrogliome. La reconnaissance en maladie professionnelle est arrivée en 2020, onze après son décès. Pour son épouse Michèle, c’est « la reconnaissance de son combat ». Éleveur laitier en Vendée, tout a commencé par des malaises. « Il était persuadé que c’était à cause des produits. Il en manipulait depuis ses 13-14 ans. Il est né en 1940, une époque où les paysans ont voulu moins travailler grâce à la modernisation et sortir d’une vie difficile. » Un an a séparé les premiers malaises et le décès de l’éleveur. « À la fin, il ne pouvait plus parler. Il comprenait ce qu’on lui disait mais il ne pouvait plus s’exprimer, c’était très difficile. »

Les tumeurs cérébrales, comme l’oligodendrogliome de Clément Sauvaget ou le glioblastome de Gérard Leroux, touchent de nombreuses fonctions comme l’équilibre, la capacité à écrire ou à s’exprimer. « Un matin, Gérard m’a dit qu’il n’arrivait plus à écrire, j’ai pensé à un AVC », raconte son épouse Jasmine. Le diagnostic est tombé quelques jours plus tard. Il a rapidement perdu certaines facultés, s’embrouillait dans les chiffres, n’arrivait plus à parler. D’abord éleveur de vaches laitières, il s’était tourné par la suite vers un poulailler industriel de dinde puis la culture de céréales. Gérard est mort fin 2019 à 62 ans, et la reconnaissance en maladie professionnelle a été actée en septembre dernier.

Accompagnement des familles

Christophe Olivier, lui, est décédé à 44 ans. « Quand il traitait, surtout le colza, il avait des vertiges, envie de vomir et de dormir », raconte sa compagne Karine. Il s’agissait des premiers symptômes. Dix-huit mois plus tard, il mourait.

« Il est temps de faciliter la vie des familles » explique l’avocate du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, Hermine Baron. Aujourd’hui, ce sont aux proches de démontrer l’exposition aux pesticides, souligne-t-elle. Trois maladies sont reconnues comme liées aux pesticides : la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et ceux du sang. « La littérature scientifique démontre un lien de causalité entre ces tumeurs et l’exposition aux pesticides », souligne Hermine Baron. Une étude de l’Inserm, publiée en 2021, explique que « les personnes ayant travaillé dans au moins une culture ou un élevage présentaient une élévation du risque de tumeur. Les risques étaient plus élevés pour certaines cultures : pois fourrager, betteraves, pommes de terre. »

Dans sa thèse en santé publique soutenue en 2018, Clément Piel souligne par ailleurs la dangerosité des pesticides issus de la famille des carbamates dans le développement de ces tumeurs. L’inscription des tumeurs cérébrales aux tableaux des maladies professionnelles offrirait une « protection renforcée des travailleurs, assurant un accès plus rapide aux indemnisations et aux soins nécessaires » souligne le courrier adressé à la Première ministre. Car les tumeurs vont vite. Hermine Baron résume : « Nous avons très peu de temps pour connaître les personnes malades, elles partent trop vite à cause de la rapide progression de la maladie. »

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